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L’Église orthodoxe ukrainienne a-t-elle vraiment rompu ses liens avec Moscou ?

Temps de lecture : 4 minutes

Ukraine – Dans les derniers jours de mai une nouvelle sensationnelle a circulé dans les médias internationaux : l’Église orthodoxe ukrainienne a rompu ses liens avec le patriarcat de Moscou et a mis fin à l’obéissance au patriarche Cyrille ! 95 % des représentants de l’Église, y compris les évêques, les représentants de monastères, le clergé diocésain et les laïques présents au concile local qui s’est tenu le 27 mai au monastère de Feofaniya à Kiev, auraient voté pour la modification du statut de l’Église orthodoxe ukrainienne pour souligner « son autonomie et son indépendance ».

Actuellement en Ukraine, il existe deux églises orthodoxes. L’une, c’est l’Église orthodoxe d’Ukraine créée en 2018 de l’union de deux Églises orthodoxes ukrainiennes et dont l’autocéphalie (l’indépendance par rapport au patriarcat de Moscou) a été reconnue en 2019 par le patriarcat œcuménique de Constantinople et le patriarcat d’Alexandrie, décision qui a valu un schisme entre le patriarcat de Constantinople et celui de Moscou. L’autre, c’est l’Église orthodoxe ukrainienne relevant du patriarcat de Moscou. Elle fait donc partie de l’orthodoxie russe. Dans le contexte de la guerre la situation de cette deuxième Église est devenue très compliquée en Ukraine. En février, le patriarche de Moscou et de toutes les Russies Cyrille s’est d’abord tu sur l’agression contre l’Ukraine et il a ensuite pris ouvertement le parti de Vladimir Poutine, apportant à l’invasion russe une dimension religieuse et même mystique. Onuphre, le métropolite de Kiev et de toute l’Ukraine affilié au patriarcat de Moscou, a à ce moment-là condamné la guerre et la position du patriarcat de Moscou. Néanmoins, après cette première réaction, il est resté silencieux pendant deux mois, jusqu’au 12 mai, quand le synode de l’Église a publié un document accusant le gouvernement du précédent président Petro Porochenko et surtout sa politique religieuse ainsi que l’Église orthodoxe d’Ukraine d’avoir provoqué l’agression militaire de la Russie par leurs actions visant à réduire l’influence en Ukraine de l’église affiliée à Moscou.

Cette déclaration était selon toute probabilité une réaction à une proposition de loi avancée par plusieurs députés pour interdire l’activité de l’Église orthodoxe ukrainienne. L’administration du président Zelensky s’est opposée à cette initiative mais a par exemple autorisé le clergé autocéphale à prendre possession de deux bâtiments dans l’enceinte du monastère de la Laure de Grottes de Kiev, le siège de l’Église orthodoxe ukrainienne rattachée au patriarcat de Moscou. Cette Église se trouve aussi confrontée à une forte pression de ses fidèles qui réclament de plus en plus ouvertement la rupture les liens avec Moscou. Faute de réaction de sa part, entre le début de la guerre et la fin mai, 400 paroisses, 120 prêtres et moines et 2 monastères ont rejoint l’Église autocéphale d’Ukraine.

Les hiérarques de l’Église ont-ils donc écouté la voix du peuple et se sont-ils réellement engagés sur la voie de l’indépendance vis-à-vis du patriarcat de Moscou, comme le prétendent de nombreux commentateurs ? Dans un article publié sur le site Internet conservateur polonais wPolityce.pl et intitulé « L’Église orthodoxe ukrainienne, contrairement à ce qu’affirment les médias, n’a pas du tout rompu avec le patriarcat de Moscou », le journaliste Grzegorz Górny a analysé en détail la déclaration du conseil de l’Église orthodoxe ukrainienne adoptée à l’initiative du patriarche Onuphre le 27 mai au monastère de Feofaniya où se trouve sa résidence. Górny attire l’attention sur la symétrie dans l’évaluation des événements en Ukraine contenue dans ce document où la guerre est condamnée en tant que telle mais l’agresseur n’est pas désigné. La phrase interprétée comme marquant une rupture avec Moscou et citée par tous les médias est très laconique et n’a aucun effet réel : « Nous sommes en désaccord avec la position du patriarche Cyrille de Moscou et de toute les Russies sur la guerre en Ukraine. »

« Les participants au Concile n’ont donc pas condamné Cyrille, ne l’ont pas accusé d’hérésie, d’ethnophylétisme (principe nationaliste utilisé en ecclésiologie pour élever un groupe national particulier au sein de l’Église) ou d’instrumentalisation de la religion à des fins politiques, n’ont pas exprimé un vote de défiance ou de désobéissance à son égard, mais ont simplement déclaré qu’ils n’étaient pas d’accord avec lui. Dans les faits, cependant, il n’en ressort rien », commente Grzegorz Górny.

Ils n’ont bien entendu pas non plus proclamé l’autocéphalie mais uniquement approuvé les modifications du statut administratif de l’Église orthodoxe ukrainienne qui, selon les documents du concile, « témoignent de la pleine indépendance et de l’autonomie de l’Église orthodoxe ukrainienne ». Cette suppression des références au patriarcat de Moscou dans le statut de l’Église doit être interprétée dans le contexte politique actuel où toutes les organisations religieuses en Ukraine dépendant d’organisations ayant leur siège dans l’État agresseur sont menacées de liquidation et de confiscation de leurs biens. Les nouvelles dispositions statutaires doivent donc protéger l’Église affiliée à Moscou contre ce risque. En même temps, même face à la guerre, aucun processus de réconciliation avec l’Église orthodoxe d’Ukraine – l’Église autocéphale du patriarcat de Kiev – n’a été engagé et les extraits du document du concile consacrés à l’église autocéphale sont une attaque contre le patriarcat de Constantinople qui, par la reconnaissance de l’autocéphalie de Kiev, « a approfondi les malentendus et conduit à une confrontation physique ». Le document contient aussi une liste de conditions inacceptables pour l’Église orthodoxe d’Ukraine telles que l’annulation de l’autocéphalie pour ouvrir la voie du dialogue entre les deux communautés orthodoxes en Ukraine.

Alors que la publication du document du concile a suscité la joie des journalistes et des commentateurs ukrainiens et la frustration du camp opposé, la réaction du patriarcat de Moscou face aux décisions prises à Kiev a été particulièrement calme. Le patriarche Cyrille a même constaté qu’il comprenait la situation difficile de l’Église orthodoxe ukrainienne et il a reconnu qu’« Onuphre et l’épiscopat doivent agir le plus sagement possible pour ne pas compliquer la vie de leurs fidèles ». En même temps, le synode de l’Église orthodoxe russe, en réponse aux décisions du concile qui s’est tenu à Kiev, a adopté une résolution confirmant que toutes les modifications du statut de l’Église orthodoxe ukrainienne doivent être soumises à l’approbation du patriarche Cyrille. Moscou fait comprendre que ces décisions ne sont pas définitives et qu’elles ont été prises sous la pression du gouvernement, des médias, des schismatiques et bien évidemment des nationalistes.

Andreï Kuraïev, prêtre et théologien orthodoxe russe très connu, est également sceptique quant à l’importance et la pertinence des déclarations du concile de Kiev. « Il est fort probable que cette « déclaration d’indépendance » s’avère fausse. Ils ne vont pas changer leur statut, ils vont faire traîner les procédures et vont s’en occuper pendant 40 ans », a-t-il conclu.

Quant au métropolite de Kiev et de toute l’Ukraine, Épiphane, qui est le primat de l’Église orthodoxe d’Ukraine, il a déclaré que l’Église orthodoxe ukrainienne du patriarcat de Moscou restait en union avec « le meurtrier » Cyrille et il a estimé que cette supposée rupture des relations n’était qu’un leurre à l’intention des médias dans le but de maintenir le statu quo et retenir les fidèles.

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