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Rapport Delbos-Corfield : guerre ouverte contre la Hongrie

Temps de lecture : 8 minutes

Article original publié en hongrois sur le site Corvinák en hongrois le 7 novembre 2022.

On aurait tendance à penser que le rapport Delbos-Corfield accepté par le Parlement européen le 15 septembre 2022 serait un document factuel, rapportant la situation telle qu’elle est. Mais il n’en est rien, il s’agit d’un véritable tir ciblé.

Union européenne – Rien de plus instable qu’une assemblée révolutionnaire. L’histoire française en donne l’exemple canonique. De 1789 à 1793, les États généraux convoqués par le roi Louis XVI évoluent en une furieuse dictature, à la guerre civile et à la guerre déclarée à l’Europe. Le 20 avril 1792 la guerre est déclarée au « roi de Bohème et de Hongrie ». L’enfer est pavé de bonnes intentions, et cette descente aux enfers s’est accomplie au rythme de proclamations généreuses. Le progrès, l’égalité, la liberté, l’humanité.

230 ans plus tard, l’histoire se répète en farce et en miniature à Strasbourg avec les attaques menées contre la Hongrie. La comparaison n’est que très partielle. Mais les prétentions et les illusions des représentants français d’autrefois se retrouvent dans celles du Parlement européen aujourd’hui.

Donnons d’abord son relief à la situation actuelle. Depuis trente mois un chapitre tragique de l’histoire européenne s’écrit sous nos yeux. Toutes les contradictions que couvaient l’Occident, depuis trente années d’apogée états-unienne, semblent éclore comme les œufs du dragon. Déjà, la négation des peuples et des cultures culminait avec le déchaînement migratoire ; le nivellement de l’homme en individu neutre, au point de s’assigner son genre, semblait l’aboutissement de l’égalité moderne. À partir de mars 2020, le Covid met en évidence la dépendance commerciale de l’Occident face aux pays émergents, mais surtout des angoisses millénaristes et la docilité des masses. L’arrêt périodique de l’économie et l’expédient de dettes colossales entraînent la récession et l’inflation. L’exacerbation des tensions dans l’est de l’Ukraine débouche sur la guerre en février 2022. Décidée dans l’urgence, une politique de sanction contre la Russie entraîne l’effondrement programmé de l’économie européenne.

C’est dans ces circonstances exceptionnelles qu’il faut replacer le rapport Delbos-Corfield, adopté par le Parlement européen le 15 septembre 2022. Il s’agit d’un simple rapport intérimaire sur « la proposition de décision du Conseil constatant, conformément à l’article 7, paragraphe 1, du traité sur l’Union européenne, l’existence d’un risque clair de violation grave, par la Hongrie, des valeurs sur lesquelles l’Union est fondée ». On s’attend à lire un bilan d’étape factuel : on trouve un véritable brûlot.

Une guerre ouverte contre la Hongrie

Le rapport Delbos-Corfield exige une capitulation complète de la politique hongroise, pourtant plébiscitée par une solide majorité d’électeurs le 3 avril dernier.

L’article 2 du rapport décrit la situation globale de la Hongrie comme une « menace systémique » pour les valeurs visées à l’article 2 du Traité de l’UE.

Ce vague répond au vague de l’article 2 du Traité de l’UE, qui dispose simplement ceci :

« L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes. »

Aucune preuve concrète ne soutient l’accusation, l’article 2 du rapport mentionne des « faits et de tendances » […] « pris dans leur ensemble ». L’accusation repose sur une interprétation biaisée à outrance de l’article 2 du Traité de l’UE, et les violations supposées sont donc loin d’être reconnues comme telles par l’ensemble des États membres.

Justement, le Parlement européen remet en cause les prérogatives du Conseil de l’UE. Il affirme dans l’article 3 du rapport que l’unanimité de celui-ci ne doit pas être requise, ni pour « constater des cas de violations graves des valeurs sur lesquelles l’Union est fondée », ni « pour fixer les échéances de la mise en œuvre concrètes des recommandations ». Le Conseil de l’UE est même accusé de violer l’état de droit en ne sanctionnant pas la Hongrie. Enfin, le Parlement prétend exercer une véritable tutelle sur le Conseil : il s’agit d’une tentative de putsch d’un colégislateur de l’Union sur un autre. On peut y trouver sans difficulté une « menace systémique » pour l’équilibre interinstitutionnel de l’UE.

Mais c’est la Hongrie qui est accusée, à l’article 4, du « démantèlement systémique » de l’état de droit. Cette critique holistique rend illusoire que la mise en œuvre de « recommandations » ciblées puisse mettre un terme au conflit.  Le rapport évoque l’« interdépendance entre les différentes violations des valeurs ». Aussi la Hongrie semble-t-elle incurable. Si un inquiétant durcissement systémique s’opère dans notre époque, il s’agit indéniablement de l’unanimisme totalitaire de l’idéologie libérale que partagent Bruxelles et Washington. Ce système n’admet pas qu’on lui résiste.

À l’article 5, la Commission est invitée à mener une véritable guerre économique contre la Hongrie récalcitrante : gel des fonds structurels et refus d’approuver le plan hongrois de relance. Or, ces fonds proviennent soit du contribuable européen – donc notamment hongrois – soit de l’emprunt consenti de manière collective par les États membres de l’UE. Compte tenu de la situation économique, cet assèchement des ressources porte un grave préjudice au peuple hongrois, pour avoir désigné les représentants de son choix. Rappelons également que si la Hongrie est bénéficiaire nette du budget de l’UE, cet excédent ne compense qu’en partie les revenus du capital prélevés chaque année par les entreprises étrangères sur le travail hongrois. La Hongrie est donc un contributeur net à la prospérité du continent.

Pour donner le change à cette hostilité de fait contre le peuple hongrois, le rapport (article 6) appelle au soutien de la « société civile ». Nous pouvons définir cette dernière comme l’expression autorisée de l’opinion publique selon les critères de l’élite libérale internationale. La Commission est appelée à « aider » la société civile, notamment à travers le programme « Citoyens, égalité, droit et valeurs ». L’usage politisé de l’argent public est donc encouragé par le Parlement européen, mais sous la houlette du pouvoir non élu qu’est la Commission européenne. Un exemple éloquent de « démocratie encadrée » plébiscitée par le Parlement européen concerne la Conférence sur l’avenir de l’Europe. Le Parlement se réfère à la proposition n°25 pour souligner l’importance de l’état de droit.

Ainsi, la Commission tamise à sa guise des contributions récoltées au nom de centaines de millions de citoyens européens et prétend détenir le blanc-seing du peuple européen contre les gouvernements élus.

Une base juridique fragile et grandiloquente

Pas moins de 14 visas assurent la base juridique de ce rapport, dont certains désignent plusieurs textes (« vu les traités internationaux relatifs aux droits de l’homme des Nations unies et du Conseil de l’Europe »). Cette profusion est commune aux rapports parlementaires. Cependant, tant de visas semblent placer la Hongrie face à la civilisation, l’humanité, la conscience universelle… alors que le texte ne s’appuie explicitement que sur l’article 2 et l’article 7, paragraphe 1 du traité de l’UE. Et nous avons observé combien était abusive l’exploitation de ces articles. C’est une véritable lampe d’Aladin : il suffit de frotter n’importe quel texte juridique aussi abstrait que sibyllin pour qu’apparaisse un génie offrant d’infinis recours contre le bon sens et la réalité des choses.

Rien n’est innocent sous le rabot de ces articles formels. Toute singularité nationale, toute aspérité politique, tout ce qui décèle une forme originale et une énergie rebelle doit être détruit. La force du rapport ne réside pas dans la pertinence des références invoquées mais dans une forme d’impudeur et de malhonnêteté à prendre à témoin n’importe quoi.

Les références juridiques entendent placer le Parlement au rang de juge universel et rejettent la Hongrie au ban de l’humanité.

L’idéologie déchaînée de Bruxelles

Les éléments les plus instructifs de ce rapport résident cependant dans les considérants qui contiennent la motivation des articles. Ils couvrent tout le spectre de la dérive idéologique que traverse l’UE.

Florilège.

H. Le Parlement considère que les compétences exclusives des États membres tombent sous l’autorité de l’Union européenne dans la mesure où les « valeurs » de l’UE sont en jeu. Autrement dit, il n’y a plus de compétences exclusives des États membres au moyen d’un simple tour de passe-passe.

L. Le Parlement européen assène la doctrine multiculturaliste comme une évidence : « la coexistence pacifique de différents groupes ethniques a des effets positifs sur la richesse culturelle et la prospérité de la nation ». Qu’en pensent les peuples d’Europe ?

M. Le parlement lie l’article 2 aux sanctions prises contre la Russie dans le cadre de la guerre en Ukraine. Ainsi l’article qui dispose que l’UE est fondée (entre autres) sur la liberté, la tolérance et la justice implique soudain des mesures économiques, militaires et énergétiques d’extrême conséquence dans le cadre d’un conflit entre deux pays extérieurs à l’Union.

O. L’état d’urgence est incriminé comme une réalité spécifique à la Hongrie, et non comme une évolution structurelle en Occident au moins depuis le Patriot Act aux États-Unis en 2001. Il s’agit encore d’un deux poids, deux mesures. Par ailleurs, à cet accroissement du pouvoir de l’exécutif dans de nombreux pays répond celui des institutions non élues et de la tutelle internationale. C’est particulièrement le cas dans l’UE, avec la dette contractée par les États membres de manière conjointe et la conditionnalité du versement des fonds structurels. Cette férule plus sévère ne retient pas l’attention du Parlement européen.

Q. Aux antipodes des exemples de cécité flagrante, le rapport fait preuve d’une minutie comique en regrettant que l’exposé des motifs de tel texte de loi hongrois ne comporte « que trois pages ». Sur le fond, les parlementaires s’alarment de la « concentration des pouvoirs d’urgence entre les mains de l’exécutif qui ne peut être considérée comme un signe encourageant ». L’efficacité de la décision politique est suspecte, surtout si son orientation est conservatrice ; le lot d’un État national devrait logiquement être l’impuissance et la neutralisation.

R. En 2021, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, une officine du Conseil de l’Europe, trouve à redire au degré d’autonomie locale dans les collectivités de Hongrie. Sans étude sur le degré exact d’autonomie, le Parlement prend à témoin cet avis pour redouter un centralisme écrasant. L’argument gagnerait en pertinence si on disposait d’une comparaison avec la situation de la Catalogne ou le pouvoir considérable de l’exécutif en France à travers les préfets. Cet élément du rapport parmi d’autres illustre combien le Parlement européen fait feu de tout bois et mêle une précision apparente à une absence de rigueur et de probité.

S. Les parlementaires dénoncent le système électoral et la carte électorale en Hongrie. Le deux poids, deux mesures crève ici les yeux. Il dévoile crûment le formalisme de tout système électoral, qui est l’apanage de la démocratie de masse. Aux antipodes du cas hongrois, « l’optimisation » électorale permet généralement d’évincer les aspirations populaires majoritaires. À rebours, la prime à la majorité permet en Hongrie d’offrir une majorité consolidée aux deux tiers plutôt qu’une majorité simple. En ressort la stabilité politique, perçue dans toute la tradition politique comme un bien et suspectée aujourd’hui du pire.

Quinze considérants concernent l’idéologie du genre, que la Hongrie serait coupable de ne pas promouvoir ! Ce serait un inventaire interminable et fastidieux de relever toutes les erreurs, approximations ou biais idéologiques contenus dans ce rapport. Cet exercice avait d’ailleurs été réalisé par la Hongrie en 2018 pour présenter aux parlementaires européens tous les éléments contestables contenus dans le rapport Sargentini. Mais il semble que l’obsession idéologique du Parlement européen a atteint un point de non-retour.

L’Europe qui sort de l’histoire et l’Europe qu’appelle notre temps

En résumé, le rapport présentée par le député écologiste Gwendoline Delbos-Corfield est un torrent d’imprécations. Il est détaillé et confus à la fois ; il affiche une partialité et une mauvaise foi sidérante avec les formes de la correction juridique.

Cette offensive du Parlement européen à l’encontre de la Hongrie n’est pas une nouveauté, mais les circonstances ont changé. Désormais, la guerre en Ukraine confronte les pays européens à des difficultés bien supérieures. Ce qui n’attiédit pas l’ardeur punitive du Parlement européen. Les épreuves ne suscitent pas la solidarité mais servent de levier pour imposer aux nations acculées une pression fédéraliste et progressiste accrue.

Comme Saint-Just clamait sous la Révolution « pas de liberté pour les ennemis de la liberté », l’élite au pouvoir affirme « pas d’état de droit pour les ennemis de l’état de droit ».

Une telle attitude indique un mal profond. En faisant de la Hongrie un épouvantail, le Parlement offre une caricature sinistre de l’Europe et réduit l’UE à un épouvantail néfaste.

C’est une tendance qui délégitime l’UE et appelle un modèle de substitution. La responsabilité de la Hongrie est énorme : car c’est de l’exemplarité de sa conduite que dépend la pertinence d’un modèle européen alternatif. L’histoire s’accélère, l’heure pourrait venir plutôt qu’on ne l’imagine.