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Next Generation EU – Le jeu dangereux de l’UE avec la Pologne

Sovereignty.pl est un site d'opinion en langue anglaise avec des chroniqueurs et commentateurs conservateurs polonais qui écrivent sur les grands sujets alimentant le débat public dans leur pays.

Temps de lecture : 5 minutes

La Pologne pourrait-elle perdre l’accès, en raison du différend concernant le système judiciaire polonais qui dure depuis des années, non seulement aux fonds de la « facilité pour la reprise et la résilience » Next Generation EU, qui sont toujours retenus par la Commission européenne, mais aussi aux fonds de cohésion dont elle a tellement besoin et qui lui ont été promis dans le cadre financier 2021-27 de l’UE?

Un article d’Olivier Bault publié en anglais sur Sovereignty.pl. Pour voir la version intégrale en anglais sur Sovereignty.pl, cliquez ici.

Plus gros bénéficiaire du budget de l’UE jusqu’à présent, l’ancien pays du bloc de l’Est a beaucoup à perdre après deux décennies de croissance économique dynamique en tant que membre de l’Union européenne, qu’il a rejointe en 2004. Cependant, ceux qui apprécient les 70 ans d’intégration européenne ou attachent de l’importance à la démocratie et à l’État de droit ont également de bonnes raisons de s’inquiéter, car le conflit entre Varsovie et Bruxelles pourrait avoir des conséquences très graves, pas seulement sur le plan économique et pas seulement pour les Polonais.

La situation actuelle est assez extraordinaire : en 2023, un État membre de 38 millions d’habitants dont le PIB par habitant représente 46 % de la moyenne de l’UE (selon les chiffres Eurostat pour 2021) se voit refuser l’accès à un plan « de reprise et de résilience » mis en œuvre à l’échelle de l’UE avec pour objectif déclaré de « sortir plus forts de la pandémie, de transformer nos économies et nos sociétés et de concevoir une Europe au service de tous », avec un budget global de 750 milliards d’euros (la moitié sous forme de subventions et l’autre moitié sous forme de prêts mis à la disposition des différents pays). À l’origine, ces fonds devaient être dépensés dans les années 2021-2026 pour se remettre de la dépression des années 2020-21 liée à la pandémie de Covid-19, et c’est exactement ce qui se passe dans des pays beaucoup plus riches comme l’Allemagne (avec un PIB par habitant à 133% de la moyenne de l’UE), la France (113%), l’Italie (93,2%), l’Espagne (78,6%), et d’autres encore. À la fin du mois de mars 2023, la Commission européenne se vantait sur son site internet d’avoir déjà déboursé 145 milliards d’euros pour les pays de l’UE dans le cadre de la « facilité pour la reprise et la résilience » (FRR). La Commission a ainsi transféré 2,25 milliards d’euros de subventions à l’Allemagne, 12,52 milliards d’euros à la France, 28,95 milliards d’euros de subventions et 37,94 milliards d’euros de prêts à l’Italie, 31,04 milliards d’euros de subventions à l’Espagne et même 12,14 millions d’euros de subventions au minuscule Luxembourg, le pays le plus riche de l’Union européenne, dont le PIB par habitant représente 347 % de la moyenne de l’UE. Outre la Pologne et la Hongrie, seuls l’Irlande, les Pays-Bas et la Suède n’avaient pas encore reçu de fonds de la FRR à la fin du premier trimestre 2023. Mais pour ces trois pays d’Europe occidentale, ce n’était pas dû au blocage des fonds par la Commission européenne, mais au fait que leurs gouvernements n’avaient pas encore prélevé de fonds sur la FRR.

En théorie, sur les 750 milliards d’euros prévus pour la FRR du plan Next Generation EU, la Pologne devrait avoir accès à 58,1 milliards d’euros (23,9 milliards sous forme de subventions et 34,2 milliards sous forme de prêts). Se pourrait-il qu’elle n’obtienne aucun de ces fonds, mais qu’on lui demande malgré tout de participer au remboursement des emprunts correspondants de l’UE dans les années 2028-2058 ainsi que de contribuer davantage au budget européen pour couvrir les subventions allouées aux pays plus riches d’Europe occidentale ? Et est-il possible que la Pologne, sans avoir elle-même accès au programme de prêts du plan Next Generation EU, doive néanmoins payer sa part de cette nouvelle dette commune de l’UE si, par exemple, l’Italie ou la Grèce n’est pas en mesure de rembourser les prêts reçus ?

Les mêmes questions peuvent être posées pour la Hongrie qui s’est vu promettre 7,2 milliards d’euros de subventions et qui a droit à 9,6 milliards d’euros de prêts, mais dont les fonds sont également retenus par la Commission européenne.

Cette situation est d’autant plus surprenante que, comme l’a reproché la Cour des comptes européenne dans un rapport publié le 8 mars 2023, « dans le cas des projets d’investissement financés par la FRR, le versement des fonds n’est pas subordonné au respect des règles nationales et européennes, contrairement aux autres programmes de financement de l’UE ».

En outre, selon le rapport de la CCE, ce n’est que « dans les années à venir » que « la Commission a l’intention d’examiner si les contrôles effectués par chacun des 27 sont adéquats » et de « s’assurer que les systèmes de contrôle nationaux permettent bien de prévenir, de détecter et de corriger les cas de fraude, de corruption, de conflit d’intérêts et de double financement », la Commission étant alors « habilitée à recouvrer tout montant provenant de ces activités illicites si le pays concerné ne le fait pas ».

Il semble toutefois que les choses se passent différemment pour la Pologne et la Hongrie, à qui l’on demande de satisfaire un grand nombre de jalons avant de pouvoir effectuer un quelconque paiement. La Pologne, par exemple, a dû insérer 116 jalons dans son plan national de relance et de résilience pour obtenir l’approbation de la Commission, qui a été obtenue le 1er juin 2022, malgré l’opposition de cinq commissaires : Didier Reynders, un libéral belge en charge de la justice, Věra Jourová, une progressiste tchèque en charge des « valeurs » et de la « transparence », qui est également vice-présidente de la Commission, Margrethe Vestager, une libérale danoise en charge de la concurrence, Ylva Johansson, une sociale-démocrate suédoise en charge des affaires intérieures (dont l’immigration), qui est troisième vice-présidente exécutive de la Commission, ainsi que Frans Timmermans, membre du Parti travailliste néerlandais et premier vice-président de la Commission en charge de l’action pour le climat. Timmermans menait la croisade contre la Pologne et la Hongrie dans la précédente Commission Juncker, en tant que premier vice-président chargé des questions d’État de droit. Reynders, Jourová et Timmermans, en particulier, ont ensuite insisté sur le fait que la Pologne ne recevrait pas de fonds avant d’avoir satisfait tous les jalons mentionnés dans son plan national de relance et de résilience. L’approbation formelle de la Commission était néanmoins une condition préalable au feu vert du Conseil pour le déboursement des fonds… à la discrétion de la Commission européenne. Parmi les jalons de la Pologne, certains concernent l’organisation du système judiciaire polonais et imposent des changements très profonds, d’une nature que l’on ne retrouve dans aucun autre plan de relance national.

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L’utilisation actuelle des fonds Next Generation EU et des fonds de cohésion, avec le nouveau « mécanisme d’État de droit » déjà déclenché contre la Hongrie par la Commission européenne, pour faire chanter la Pologne et la Hongrie et les contraindre à se soumettre ne devrait laisser personne indifférent ailleurs dans l’Union européenne. La situation est d’autant plus délétère que les fonds européens Next Generation EU sont également censés être utilisés en réponse à la guerre en Ukraine. Selon les termes mêmes de la Commission européenne, « les fonds sont utilisés pour relever les défis les plus importants auxquels l’Europe est confrontée et pour soutenir ceux qui en ont besoin. Au lendemain de l’agression de la Russie contre l’Ukraine, le budget de l’UE a été mobilisé pour fournir une aide d’urgence ainsi qu’un soutien en Ukraine et dans les pays de l’UE, et pour atténuer les conséquences humanitaires de la guerre. »

Il va sans dire que dans la situation actuelle, le chantage financier de la Commission, qui prive la Pologne de fonds de relance et de résilience qui dont elle aurait grand besoin en ce moment, contraste fortement avec l’énorme contribution de cet État membre, y compris en termes financiers, au soutien à l’Ukraine et à l’accueil de millions de réfugiés. Soit dit en passant, cela fait le jeu de la Russie de Poutine.

Sur le long terme, cela risque de faire voler l’Union européenne en éclats ou, au contraire, de conduire à une UE fédérale mais non démocratique, où les électeurs n’auront plus guère d’influence sur les lois de leur pays puisqu’ils seront gouvernés par une élite éclairée composée de juges nommés par d’autres juges, avec, au sommet, une Cour de justice de l’Union européenne toute-puissante qui ne sera contrôlée par personne.

(…)

Traduit par le Visegrád Post