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En Pologne, des juges soutenus par l’UE en lutte contre la souveraineté parlementaire

Sovereignty.pl est un site d'opinion en langue anglaise avec des chroniqueurs et commentateurs conservateurs polonais qui écrivent sur les grands sujets alimentant le débat public dans leur pays.

Temps de lecture : 5 minutes

Mettant à profit leur pouvoir de chantage financier face aux bénéficiaires nets du budget de l’UE dans l’ancienne Europe de l’Est, les institutions européennes imposent progressivement le principe de primauté des jugements de la Cour de Justice de l’UE sur les constitutions nationales des États membres.

 

Article publié originellement en anglais sur Sovereignty.pl. Pour voir la version intégrale en anglais sur Sovereignty.pl, cliquez ici.

 

Le 5 juin 2023, la Cour de justice de l’Union européenne a de nouveau affirmé, dans un arrêt contre un ancien pays du bloc de l’Est , en l’occurrence la Pologne, que n’importe quel juge de ce pays doit être autorisé à évaluer la conformité de toute loi nationale avec le droit de l’UE, avec les principes généraux d’État de droit et avec l’exigence d’« assurer une protection juridique effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union » (article 19 du traité sur l’Union européenne). Selon la jurisprudence récente de la CJUE, ce pouvoir doit être exercé par les juges sous la supervision directe de la CJUE et doit primer sur la constitution nationale et la cour constitutionnelle du pays membre de l’UE.

Ce nouveau principe de la jurisprudence de l’UE est apparu pour la première fois dans un arrêt de novembre 2019 contre la Pologne et a été énoncé explicitement pour la première fois dans un arrêt de décembre 2021 contre la Roumanie : « Le principe de primauté du droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation ou à une pratique nationale selon laquelle les juridictions de droit commun nationales sont liées par les arrêts de la cour constitutionnelle nationale. »

Cette attaque majeure des juges de la CJUE siégeant à Luxembourg contre la souveraineté des 27 États membres a été largement ignorée par les médias des pays d’Europe occidentale dont les cours constitutionnelles ont pourtant, par le passé, affirmé la suprématie de la constitution nationale et de l’interprétation qu’elles en font. Les institutions de l’UE ont toutefois jusqu’à présent évité un conflit frontal avec ces pays, car elles ne jouissent pas à leur égard du même pouvoir de chantage financier exercé sur les grands bénéficiaires nets du budget de l’UE dans la partie orientale du bloc.

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Le cas polonais se joue autour de deux questions principales : la première concerne la validité des nominations judiciaires effectuées par le président Andrzej Duda parmi les candidats présentés par le Conseil national de la magistrature (KRS) du pays après la réforme de 2017 de cet organe chargé de superviser le pouvoir judiciaire ; la seconde concerne la création d’une chambre disciplinaire au sein de la Cour suprême polonaise dans le cadre de la réforme de cette juridiction, qui a également été adoptée en 2017.

Avec le soutien de la Commission européenne, et bien que le Tribunal constitutionnel polonais ait confirmé, en avril 2020, la conformité de la réforme avec la constitution polonais, certains juges polonais ont remis en cause la validité de cette réforme, et ont utilisé à plusieurs reprises la procédure préjudicielle de l’UE pour renvoyer la réforme devant la Cour de justice de l’Union européenne.

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Lors de formations organisées par le Barreau de Varsovie (Okręgowa Rada Adwokacka, ORA), l’association de juges Iustitia (qui s’est farouchement engagée contre les réformes judiciaires de 2017) et la Fondation Helsinki pour les droits de l’homme (qui est en partie financée par l’Open Society Foundations de George Soros), les juges polonais ont été encouragés à envoyer systématiquement des questions préjudicielles à la CJUE sur leur capacité à statuer sur toutes sortes d’affaires lorsque, selon eux, leur indépendance en tant que juges n’est plus assurée à la lumière des réformes adoptées par le Parlement. Normalement, les questions préjudicielles posées à la CJUE doivent être liées à l’application du droit communautaire dans l’affaire spécifique sur laquelle une juridiction est appelée à statuer, et la cour européenne devrait rejeter toute question posée en termes généraux, sans lien direct avec une affaire donnée. Néanmoins, dans le cas de la Pologne, les juges de Luxembourg ont maintenant changé leur pratique et admettent la plupart des renvois de ce type.

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Ce n’est que dans de rares cas, lorsqu’un juge va trop loin et que le renvoi préjudiciel est trop visiblement entaché d’irrégularité, que la CJUE les rejette encore. C’est ce qui est arrivé à l’un des juges les plus connus engagés dans cette lutte ouverte avec le gouvernement et le parlement polonais au sujet des réformes adoptées en 2017. Le très médiatique juge Igor Tuleya a été l’un des deux juges dont les questions préjudicielles ont été rejetées par la CJUE en mars 2020 pour avoir été formulées en termes trop généraux et sans lien direct avec le droit de l’UE.

Le renvoi préjudiciel de Tuleya a d’autant plus choqué l’opinion publique polonaise qu’il a entraîné la suspension pendant plus d’un an et demi, dans le contexte de procès déjà fort longs en Pologne, de la procédure dans une affaire d’enlèvements brutaux et de tortures par le crime organisé. Elle a également permis à deux criminels d’être libérés dans l’attente de la décision préjudicielle de la CJUE. En outre, au moment où le procès a pu être repris par le tribunal régional de Varsovie en 2020, un témoin repenti qui jouait un rôle clé dans l’accusation avait lui aussi été enlevé !

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Une autre façon pour certains juges polonais non élus, en particulier ceux appartenant à Iustitia, de combattre les réformes adoptées par les représentants élus des électeurs siégeant au parlement a a consisté à remettre en question les décisions d’autres juges au motif que ces juges, qu’ils appellent « néo-juges », ont été nommés après la réforme du conseil judiciaire KRS, qu’ils appellent le « néo-KRS » (le préfixe « néo » étant destiné, dans les deux cas, à contester leur statut).

Un exemple de ce type de comportements nous est donné par Paweł Juszczyszyn, juge au tribunal régional d’Olsztyn et membre de Iustitia, l’association des juges à la pointe du combat de l’opposition contre les réformes judiciaires des conservateurs.

Dans une affaire civile dans laquelle il était censé examiner une affaire en appel en 2019, le juge Juszczyszyn a décrété qu’il devait d’abord vérifier si le juge de première instance était habilité à statuer sur la question. Il affirmait en effet que l’arrêt de la CJUE de novembre 2019 signifiait que tous les juges en Pologne étaient désormais habilités à effectuer de telles vérifications vis-à-vis des juges nommés par le président Duda parmi les candidats proposés par le KRS réformé.

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Cette remise en question, supposément à la lumière du droit européen, du droit constitutionnel exclusif du président de nommer les juges ne s’est pas répandue que parmi les juges militants de rang inférieur. Certains des « vieux » juges de la Cour suprême de Pologne (qui est une cour de cassation et ne doit pas être confondue avec le Tribunal constitutionnel) refusent toujours de siéger avec ceux qu’ils appellent les « néo-juges », ce qui a entraîné des retards supplémentaires dans le travail des tribunaux polonais. Certains de ces juges plus anciens à la Cour suprême ont également tendance à annuler les jugements rendus par les cours civiles et pénales lorsque l’un au moins des juges chargés de prononcer un jugement a été nommé après la réforme du KRS.

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En agissant de la sorte, et malgré (ou peut-être justement à cause de ?) l’anarchie de fait que cela entraîne dans les tribunaux polonais, les juges rebelles bénéficient du soutien de la Commission européenne et de la CJUE, qui – comme dit plus haut – considèrent désormais que tout juge en Pologne devrait avoir la capacité, à la lumière du « droit de l’UE » et des principes généraux de l’Union, de remettre en question la légitimité de tout autre juge.

La Commission européenne refuse notamment de transférer tout argent lié au plan de relance Next Generation EU tant que la Pologne n’aura pas annulé pas toutes les procédures disciplinaires engagées contre des personnes telles que les deux juges susmentionnés et tant que la loi polonaise n’aura pas été modifiée de manière à donner aux juges la capacité de remettre en question la légitimité d’autres juges à la lumière des principes généraux de l’UE. Pourtant, ceci n’existe nulle part ailleurs dans l’UE et constituerait une violation flagrante de la constitution polonaise !

 

Version intégrale (en anglais) sur Sovereignty.pl.

 

Traduit par le Visegrád Post