Quand il s’agit d’expliquer les causes de l’athéisation de l’Europe, on oublie souvent les siècles de pression politique et intellectuelle pour exclure la religion de la vie de nos sociétés. La normalisation de la violence politique contre la religion – masquée sous des slogans de démocratisation et de sécularisation de l’État – est perceptible partout.
Un article de Tomasz Rowiński, rédacteur en chef du magazine Christianitas et du site internet christianitas.org, publié en anglais sur Sovereignty.pl. Pour voir la version intégrale en anglais sur Sovereignty.pl, cliquez ici.
Dans les diverses opinions que l’on peut lire sur la sécularisation et l’athéisation progressives de l’Europe, il est surtout fait référence aux motivations individuelles à l’origine de ce phénomène. L’impression qui en ressort est que la religion perd de sa crédibilité d’une manière qui serait socialement naturelle parallèlement au développement de la science, de la richesse, ainsi que d’autres systèmes symboliques permettant de donner plus de sens à la vie. Il n’est quasiment pas fait mention des pressions politiques et intellectuelles exercées au cours des siècles écoulés pour exclure la religion – d’abord le catholicisme, puis le christianisme de manière plus générale – de la vie des gens. Parmi les explications très diverses du déclin de la religiosité en Europe, cette raison politique est le plus souvent passée sous silence. Cela n’est pas surprenant dans la mesure où la responsabilité du recours à une violence plus ou moins camouflée contre les institutions religieuses incombe à ces mêmes forces progressistes qui dominent aujourd’hui la politique européenne.
La normalisation de la violence politique contre la religion – masquée sous des slogans de démocratisation et de sécularisation de l’État – est perceptible partout. Même dans un pays comme la Pologne, ce n’est plus seulement la gauche, mais aussi les libéraux qui demandent que l’on mette fin au catéchisme à l’école publique. Pourtant, il n’y a pas si longtemps, en 1961, quand les communistes au pouvoir en Pologne ont mis fin au catéchisme à l’école, c’était considérée comme une attaque contre la nation polonaise. Il est clair que ce type de décision n’était pas une simple décision politique, mais qu’elle visait à initier un processus d’affaiblissement de l’éducation religieuse parmi les jeunes générations. Une éducation qui était perçue comme contre-culturelle et qui est perçue de manière très similaire aujourd’hui.
Aujourd’hui, bien sûr, tout est justifié par l’impératif démocratique. Quand les Polonais sont devenus l’une des nations les plus actives d’Europe avec le développement de l’économie capitaliste, il est devenu évident que la religiosité allait diminuer, au moins dans une certaine mesure. Les raisons paraissent simples. Tout d’abord, la recherche compréhensible de la richesse rétrécit la perception de la vie et en laïcise les objectifs. Un tel phénomène a été observé chez les protestants américains tout au long des XIXe et XXe siècles et a été décrit par les sociologues. Pour les citoyens du Nouveau Monde, la richesse est d’abord devenue un signe de la bénédiction divine avant de se transformer en une fin en soi. Par ailleurs, le capitalisme a modifié le rapport entre le temps consacré au travail et celui consacré à d’autres activités. En conséquence, la transmission religieuse au sein des familles a été largement rompue en Pologne, ce qui a beaucoup affaibli la religiosité des jeunes générations. Ce phénomène, qui se réalise sur une période très courte, avait déjà eu lieu dans d’autres régions d’Europe ou d’Amérique, mais souvent dans des conditions et avec des dynamiques un peu différentes. De fait, en Pologne aussi la pression politique en faveur du retrait de la religion de l’espace public s’est accrue, car les croyants sont de moins en moins nombreux. Au lieu de cela, diverses idéologies ont été et son encore promues qui, si elles sont plus minoritaires encore que la religion chrétienne, représentent mieux les intérêts d’une partie au moins des élites politiques. Des pressions se font par exemple sentir pour que les propagateurs de ces idéologies aient accès aux écoles publiques. Ce manque de symétrie et de justice avec lequel la religion est traitée dans le système social moderne n’est en aucun cas naturel. Il s’agit d’une sorte de discrimination bien ancrée à l’encontre du christianisme en Europe, qui trouve ses racines dans plusieurs siècles d’éradication de la religion, mais aussi dans l’affaiblissement des institutions ecclésiastiques.
On pourrait multiplier les citations de sociologues pour qui le problème de la religion reste une sorte de boîte noire dont les éléments échappent à l’entendement. « On peut parler d’un éloignement de la religiosité institutionnelle, les jeunes sont réticents à participer aux formes traditionnelles. Il y a quelque chose qui ne leur convient pas, ce qui ne veut pas dire que leur religiosité ne se manifeste pas sous d’autres formes », expliquait en Pologne la sociologie Marta Kołodziejska, sociologue des religions, après la publication des résultats de l’enquête sociale européenne (ESS) 2020. En fait, Kołodziejska n’a rien clarifié en affirmant que, pour les jeunes, « il y a quelque chose qui ne leur convient pas ». Pourtant, la véritable explication semble plutôt évidente : le long processus de déracinement des peuples européens de leur culture religieuse chrétienne fait que les générations suivantes ne comprennent tout simplement plus le langage – rituel, théologique, philosophique – qui était à la base de la formation spirituelle de l’esprit européen. En même temps, depuis le XXe siècle, on remarque un processus de renouveau de la piété au sein du catholicisme et ce renouveau se fonde précisément sur les traditions catholiques plus anciennes, à la fois rituelles et théologiques. Ce processus est apparu sous la forme d’un « mouvement liturgique » d’élite dans la seconde moitié du XIXe siècle, grâce à des personnalités telles que le Français Dom Prosper Guéranger, restaurateur de l’ordre des bénédictins, avant de s’étendre à un cercle beaucoup plus large d’intellectuels catholiques au cours de la première moitié du XXe siècle. On peut donc supposer que la capacité à comprendre (ou non) les contenus religieux est un élément important de la religiosité individuelle. Mais si la religion est exclue de la société, elle s’affaiblit au niveau des statistiques.
Si nous examinons les documents laissés aux catholiques par le Concile Vatican II dans les années 1960, nous constatons que le premier d’entre eux est la constitution sur la liturgie « Sacrosanctum Concilium », dont une exigence importante était de rendre le rituel catholique plus compréhensible. Cela peut être considéré comme une tentative de contrer à la fois l’érosion religieuse et les effets de la violence antireligieuse qui faisait de plus en plus de ravages en Europe. La confiscation des écoles de l’Église, la démolition des édifices religieux, la dispersion des moines, les meurtres de prêtres, les ingérences outrancières des dirigeants séculiers dans les affaires religieuses, le déclenchement de guerres sous la bannière de la religion : tout cela s’est déroulé en Europe à partir du XVIe siècle au moins et a participé d’une violence ouvertement antireligieuse. Ainsi, lorsque nous assistons aujourd’hui à des discussions sur la « mort de Dieu » – un débat qui dure depuis des décennies –, nous ne devons pas oublier leur caractère largement abstrait. La religiosité des nations et des individus est enracinée dans la culture. Les réflexions des philosophes et des théologiens qui se déroulent sans en tenir compte ne font que détourner l’attention du public des vraies raisons du recul de la foi religieuse.
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Le soutien politique apporté aujourd’hui par le pape François au Parti démocrate américain, favorable à l’avortement et d’extrême gauche sur les questions sociétales, semble s’inscrire dans la continuité d’un processus de décomposition du catholicisme qui sape la crédibilité de la religion en la réduisant à un irrationalisme partisan, en accord précisément avec le récit antireligieux de la modernité. On pourrait même dire que l’Église elle-même rejoint la violence systémique et institutionnelle de la civilisation occidentale contre elle-même. De cette manière, l’institution de l’Église ne fait que confirmer, aux yeux du public, son côté superflu et le caractère inévitable de sa chute, dont beaucoup sont convaincus. Ce type de violence antireligieuse camouflée est l’une des caractéristiques inhérentes de la modernité libérale.
Version intégrale (en anglais) sur Sovereignty.pl.
Traduction : Visegrád Post