Par la Rédaction.
Quelle recomposition des groupes au Parlement européen après 2019 ? Jeu d’échecs en Europe centrale, activisme de Salvini, repositionnement des populistes d’Europe occidentale, conséquences du Brexit et interrogations sur le Fidesz et l’ANO.
Après avoir reçu Viktor Orbán en Italie en août 2018, Matteo Salvini s’est déplacé en Pologne à Varsovie le 9 janvier 2019, où il a rencontré le chef du parti au pouvoir Jarosław Kaczyński. Il y a affirmé que l’Italie et la Pologne seraient les « protagonistes du nouveau printemps européen ». Le Premier ministre hongrois Viktor Orbán a qualifié cette alliance entre l’Italie et la Pologne comme « l’un des plus grands événements qui pouvait marquer ce début d’année. » D’autres chroniqueurs évoquent à l’inverse un Salvini qui « navigue à vue » dans ses recherches d’alliances politiques au niveau européen.
Pendant que Matteo Salvini rencontrait les dirigeants du PiS, Luigi Di Maio – la figure de l’autre partenaire de la coalition gouvernementale italienne, du Mouvement 5 étoiles – rencontrait le leader populiste polonais Paweł Kukiz pour conclure un accord en vue des prochaines européennes. Peu de temps après que M. Di Maio ait exprimé son intérêt à s’associer avec une éventuelle émanation politique des Gilets Jaunes en France.
Ces rencontres sont l’occasion de faire le point sur les jeux d’alliance européens à quatre mois des élections européennes.
Des élections à fort enjeu ?
S’il est un sujet sur lequel à peu près toutes les sensibilités politiques en Europe semblent se mettre d’accord, c’est celui de l’importance des élections européennes de mai 2019. Avec un affrontement entre deux tendances représentées (au moins symboliquement) l’une par le président français Emmanuel Macron, l’autre par le Premier ministre hongrois Viktor Orbán.
Macron et Orbán n’ont pas manqué de se désigner mutuellement comme représentants du camp d’en face : en visite à Bratislava Macron a qualifié les gouvernants hongrois et polonais comme étant des « esprits fous » qui « mentent à leurs peuples », tandis que dès le mois d’août Orbán en déplacement en Italie pour rencontrer le Ministre de l’Intérieur Matteo Salvini ciblait Macron comme le leader des forces politiques soutenant l’immigration.
En septembre 2018, venu à Strasbourg en personne pour intervenir au sujet du rapport Sargentini contre la Hongrie, Orbán avait de nouveau évoqué les échéances de mai 2019 : « Nous Hongrois sommes prêts pour les élections européennes de l’an prochain, où enfin les gens pourront décider du futur de l’Europe, et pourront ramener la démocratie dans la politique européenne. »
Si le Parlement européen n’est pas la seule instance dirigeante de l’Union européenne et qu’il est peu probable que les élections de mai 2019 débouchent sur un changement radical au sein de l’UE, son importance symbolique (seule instance démocratique de l’UE) et son rôle dans les institutions (notamment en début de mandature, pour l’investiture des Commissaires européens) ne sont pas à négliger.
Viktor Orbán a en janvier 2019 réaffirmé son ambition que dans chaque institution de l’Union européenne émerge une majorité hostile à l’immigration. La première étape étant le Parlement européen, puis la Commission européenne et enfin le Conseil européen, à mesure que les élections parlementaires nationales mettraient au pouvoir des gouvernements hostiles à l’immigration de masse.
Le rapport de forces actuel et les conséquences prévisibles du Brexit
Depuis la mise en place d’un Parlement européen élu au suffrage universel en 1979, les deux groupes majoritaires du Parlement sont le PPE (Parti Populaire Européen, démocrate-chrétien) et celui des sociaux-démocrates, et ils ont pour habitude de constituer ensemble une majorité qui partage à intervalles réguliers la présidence du Parlement.
En janvier 2019, la répartition des 750 députés s’établit ainsi :
– PPE : 218 députés (dont ceux du Fidesz hongrois)
– sociaux-démocrates : 186 (dont les élus du SMER slovaque et de PSD roumain)
– ECR (Conservateurs et Réformistes Européens) : 74 (dont 19 députés polonais, parmi lesquels les élus du PiS au pouvoir, et 19 conservateurs britanniques)
– ALDE (Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe, groupe dirigé par Guy Verhofstadt) : 68 (dont les 4 élus issus de l’ANO tchèque)
– Verts/ALE : 52
– GUE (Gauche Unitaire Européenne) : 52
– ELDD (Europe de la liberté et de la démocratie directe) : 43 (dont 19 élus du UKIP britannique et 14 élus du Mouvement 5 étoiles italien)
– ENL (Europe des Nations et des Libertés) : 34 (dont 15 élus du RN français, 4 du FPÖ autrichien, 6 de la Lega Nord italienne)
– non-inscrits : 23
Ce rapport de forces actuel donne une majorité absolue (qui est de 375 sièges) au PPE et aux sociaux-démocrates, qui ensemble rassemblent 404 des 750 eurodéputés. On peut également compter parmi les éléments solides de la majorité « pro-Bruxelles » les députés libéraux de l’ALDE.
Plus à gauche, les groupes Verts et GUE sont globalement pro-européens et pro-immigration, leurs nuances ou désaccords avec les tendances majoritaires pouvant plutôt se situer ponctuellement sur les questions environnementales, de libre-échange économique (Traité transatlantique, CETA), voire sur la question des relations UE-Russie pour ce qui concerne le groupe GUE.
À la droite du PPE, on trouve 3 groupes parlementaires :
– le groupe ECR, qui est parvenu à devenir de justesse la troisième force politique du parlement en 2014, notamment en ralliant la NVA flamande ; ce groupe rassemble globalement des conservateurs et autres chrétiens-démocrates en rupture de ban avec le PPE, voire quelques populistes de droite ; il conserve toutefois ses distances avec les élus qui pourraient être qualifiés d’extrême-droite, avec notamment en mars 2016 l’exclusion des députés de l’AfD allemande
– le groupe ELDD, dont les deux piliers sont les élus du UKIP britannique de Nigel Farage et les italiens du Mouvement 5 étoiles ; début 2017, la tentative de départ des élus italiens de 5 étoiles vers le groupe libéral ALDE s’est soldée par un échec avec le refus du groupe ALDE de les accueillir ; outre ses deux poids lourds, le groupe ELDD compte notamment plusieurs députés français ayant quitté le RN (FN) mais aussi l’ancien président lituanien Rolandas Paksas
– le groupe ENL, qui n’a pas pu voir le jour dès 2014 en raison de la difficulté à rassembler des parlementaires de 7 pays et s’est constitué en cours de mandature, grâce au ralliement d’une ancienne élue du UKIP britannique et de deux élus polonais du KNP devenus intégrables après l’éviction de leur ancien leader Janusz Korwin-Mikke
Un nouveau groupe ELDD « fourre-tout » avec le Mouvement 5 étoiles ?
Le Brexit va fortement bouleverser la donne pour les groupes situés à la droite du PPE. L’avenir du groupe ELDD est le plus concerné par le départ des Britanniques et l’instabilité de positionnement du Mouvement 5 étoiles.
Jusqu’à présent, le groupe ELDD (qui s’appelait EFD durant la mandature 2009-2014) a essentiellement été l’instrument de Nigel Farage qui s’en est servi comme tribune pour promouvoir le Brexit. En sa qualité de président de groupe, Nigel Farage était en mesure d’effectuer de longues interventions au premier rang du Parlement, ce sont il s’est servi pour se rendre célèbre au Royaume-Uni et au-delà.
En dehors du UKIP et de 5 étoiles, le groupe ELDD est essentiellement constitué d’alliés de circonstance sans une cohérence idéologique forcément très forte. C’est ainsi que ce groupe s’est constitué en 2014 en récupérant une députée du FN français en rupture avec son parti ou les Démocrates Suédois – initialement alliés au FN français mais choisissant finalement de s’associer avec un Farage aux apparences moins radicales. Notons aussi que ce groupe a manqué de disparaître suite au départ d’une députée lettonne et a récupéré en 48h un député polonais (Robert Iwaszkiewicz) issu des listes du difficilement fréquentable Janusz Korwin-Mikke. Preuve du caractère flexible de la stratégie de Farage, au service d’un objectif unique : lui assurer une tribune pour promouvoir son message politique.
Il semblerait donc que le désir principal de Farage était de ne pas être dans le même groupe avec Marine Le Pen, aussi bien pour des raisons d’image que pour ne pas avoir à cohabiter avec une autre personnalité forte dans le même groupe.
Le Mouvement 5 étoiles italien semble désireux de conserver le groupe ELDD qu’il avait pourtant essayer de quitter en 2017. En raison de son poids politique, le Mouvement 5 étoiles prendrait inévitablement le leadership de ce groupe.
Plusieurs alliés ont déjà été trouvés en vue de la réalisation de cet objectif : outre les polonais du mouvement Kukiz, le Mouvement 5 étoiles affirme avoir conclu des accords avec le parti croate Živi zid décrit comme populiste et le parti libéral finlandais Liike Nyt.
Comme lors de la mandature 2014-2019, le futur éventuel groupe ELDD mené par le Mouvement 5 étoiles accordera une liberté totale de vote à ses membres, ce qui devrait favoriser sa capacité à recruter des électrons libres pour réunir les 7 nationalités nécessaires à la constitution d’un groupe.
Le groupe ENL va aussi devoir jouer sa survie
Le groupe ENL compte actuellement 8 nationalités. S’il restait en l’état, il compterait tout juste les 7 nationalités requises après le retrait du Royaume-Uni. Or il n’est pas certain que tous ses membres seront réélus (notamment les élus polonais du KNP) ou resteraient au groupe ENL (le positionnement de la Lega de Salvini étant pour le moment incertain). D’autres alliés pourraient toutefois venir en renfort, avec par exemple la possible entrée au Parlement européen du parti nationaliste tchèque SPD dirigé par Tomio Okamura.
Il n’est pas impossible que le groupe ne parvienne pas à se reconstituer en raison de la contrainte du nombre de nationalités à rassembler (le contingent d’élus du RN français suffit presque à lui seul à obtenir les 25 élus nécessaires). Tout va dépendre de comment des partis comme la Lega italienne ou le FPÖ autrichien vont de positionner : ils sont devenus durant la mandature 2014-2019 des partis de gouvernement, ce qui pourrait les rendre plus acceptables aux yeux de potentiels partenaires se trouvant essentiellement dans le groupe ECR.
Toutefois, il n’est pas sûr non plus que les poids lourds du groupe ECR aient intérêt à ce que des poids lourds comme le RN français (qui peut espérer envoyer de nouveau une vingtaine de députés au Parlement européen en mai 2019) soient totalement laissés pour compte après les élections et se retrouvent sans groupe parlementaire, en raison du soutien sans faille de ces élus aux gouvernements polonais ou hongrois lorsque ceux-ci ont fait l’objet de vote à leur encontre au Parlement européen ces dernières années.
L’avenir du groupe ECR et l’improbable groupe commun eurosceptique
Quant au groupe ECR, s’il n’est pas menacé de disparition avec le départ des conservateurs britanniques, il sera néanmoins affaibli par le départ des 19 députés britanniques. Pour parvenir à conserver son rang de 3ème force politique du Parlement européen, le groupe ECR va donc devoir s’élargir à de nouveaux partenaires, d’autant que le groupe ALDE pourrait se voir renforcer par les élus du parti présidentiel français LREM qui n’existait pas encore en 2014.
Un renfort pour le groupe ECR pourrait venir de France avec le parti Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan, actuellement non-représenté au Parlement européen et associé jusqu’alors avec l’ELDD de Nigel Farage, et qui vient de conclure un accord avec le groupe ECR. Sous réserve que le scrutin de mai 2019 accorde plus de 5% des voix à la liste que conduira Nicolas Dupont-Aignan, ce que les sondages laissent présager.
Jan Zahradil, eurodéputé tchèque et « Spitzenkandidat » du groupe ECR pour la Commission Européenne a également évoqué la Ligue du Nord italienne comme potentiel nouveau partenaire du groupe ECR. Mais il semble écarter des coopérations avec le Rassemblement National (ex-FN) français ou l’AfD allemande, évoquant notamment des divergences de vue géopolitiques entre les partisans de l’atlantisme et les partis russophiles.
Si la question de la Russie est en partie vraie, en particulier pour la Pologne, elle ne saurait toutefois constituer le seul argument, surtout si l’on prend en compte le positionnement russophile assumé de Matteo Salvini qui ne l’a pas empêché d’être reçu à Varsovie. En réalité, les gouvernants hongrois et polonais semblent s’autoriser à établir des rencontres officielles avec des dirigeants de partis politiques d’Europe occidentale qualifiés de populistes ou d’eurosceptiques dès lors que ceux-ci font partie de la coalition gouvernementale en exercice et qu’une telle rencontre peut être présentée comme inter-gouvernementale. Il en a ainsi été des rencontres de Viktor Orbán avec le vice-chancelier autrichien Strache (leader du FPÖ) ou le vice-Premier ministre italien Salvini, et maintenant il en est de même pour la rencontre entre Kaczyński et Salvini.
À l’inverse, bien qu’ils restent loyaux à l’endroit de leur partenaire français du RN (ex-FN) avec lequel ils siègent au Parlement européen au sein du groupe ENL jusqu’à la fin de la mandature 2014-2019, les leaders de la Lega italienne et du FPÖ autrichien ont ces derniers mois montré davantage d’intérêt à s’afficher avec Orbán ou Kaczyński. Comme en témoigne l’absence de grandes figures comme Salvini (qui a envoyé un message vidéo) ou Strache (représenté par Harald Vilimsky) lors d’une réunion européenne organisée par le RN à Nice le 1er mai 2018.
Est-ce à dire que le ralliement de la Lega au groupe ECR après les élections de 2019 est en bonne voie ? En tous cas, l’allemand Manfred Weber, désigné par le PPE pour concourir à la succession de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission européenne, n’a pas manqué de faire savoir qu’il verrait d’un bon œil le ralliement de la Lega à ECR, impliquant l’abandon du groupe ENL où se trouve le RN de Marine Le Pen.
Et Salvini, derrière une apparente dispersion, semble surtout vouloir ne se fermer aucune porte, puisqu’il maintient de bonnes relations aussi avec Marine Le Pen, qu’il a accueillie en Italie en octobre pour annoncer un « Front de la Liberté » en vue des européennes 2019.
Certaines voix, notamment celles de Salvini ou de l’AfD allemande ont exprimé leur souhait de voir émerger après 2019 un groupe eurosceptique commun qui rassemblerait les effectifs que l’on peut actuellement trouver éparpillés parmi les groupes ECR, ELDD et ENL. Un tel groupe pourrait dépasser la centaine d’élus.
La probabilité qu’un tel groupe unitaire voie le jour est toutefois faible, en raison notamment de l’impact que cela pourrait avoir sur certains de ces partis de gouvernement au niveau national de s’associer avec certaines formations considérées comme trop marginalisées ou marginalisantes.
Si la perspective de voir le PiS se retrouver dans le même groupe parlementaire que le RN ou le Vlaams Belang ne semble pas à l’ordre du jour, Olivier Bault note toutefois qu’ « une évolution se fait sentir au sein du PiS quant à l’attitude vis-à-vis du Mouvement national français et de Marine Le Pen. »
En effet, lors de votes du Parlement européen contre les gouvernements polonais ou hongrois, ceux-ci ont toujours pu compter sur le soutien des élus du groupe ENL et cherchent donc – sans pour autant s’associer politiquement avec eux – à maintenir la cordialité de leurs relations avec ces formations politiques.
On peut donc imaginer comme scénario deux groupes (si le groupe ENL parvient à se reconstituer) à la droite du PPE après 2019, avec une coordination informelle entre ces groupes, d’autant que la plupart des partis euro-critiques ont globalement renoncé à leurs velléités de sortie de l’UE ou de la monnaie commune. Et un éventuel groupe ELDD en position de franc-tireur, et sans ligne politique claire (pour rappel, les élus européen du Mouvement 5 étoiles ont voté en faveur du rapport Sargentini contre la Hongrie).
Interrogations sur le Fidesz hongrois et l’ANO tchèque
Le maintien du Fidesz au sein du PPE fait l’objet depuis plusieurs mois de nombreux débats et spéculations. Jean-Claude Juncker lui-même a déclaré que selon lui le Fidesz n’a plus sa place au PPE, tandis que Manfred Weber a voté le rapport Sargentini contre le gouvernement hongrois.
Même en Hongrie, la question est parfois soulevée, comme ce fut le cas lors d’une question posée par le public lors de l’Université d’été 2018 de Tusványos où Viktor Orbán prononce chaque année un discours d’analyse politique générale.
Toutefois, le Fidesz n’est pas totalement isolé au sein du PPE et jouit encore d’appuis solides, comme celui de son président Joseph Daul. Lors du vote du rapport Sargentini, le Fidesz pouvait encore compter sur plusieurs alliés fiables comme les élus de Forza Italia, du HDZ croate ou du SDS slovène.
Quant à Viktor Orbán, sa communication sur le sujet est inflexible : il n’est pas question pour lui de voir le Fidesz quitter le PPE.
Quant au PPE, en dépit de la gêne d’une partie de ses rangs à conserver le Fidesz en son sein, l’enjeu est également de rester le groupe majoritaire au Parlement européen. En dépit du faible poids démographique de la Hongrie au sein de l’Union, les résultats électoraux du Fidesz font que la délégation hongroise du PPE est, en termes numériques, la cinquième du PPE.
Or l’hypothèse d’une exclusion du Fidesz impliquerait le départ d’une douzaine de parlementaires (vraisemblablement vers ECR, qui ne manque pas de dire qu’il y serait le bienvenu) voire d’autres partenaires. Hypothèse qui serait dommageable pour le PPE, mais aussi pour la stratégie d’Orbán qui semble être d’amener ses partenaires sur sa ligne plutôt que de se marginaliser sur la scène européenne.
Notons aussi l’influence forte du Fidesz sur les députés hongrois minoritaires de Roumanie (du parti RMDSZ-UDMR) voire de Slovaquie (si l’un des deux partis hongrois, le MKP, proche du Fidesz, parvient à maintenir sa représentation au Parlement européen). Dès lors, le poids potentiel du Fidesz est en réalité d’une quinzaine de députés (les 12 du Fidesz, les 2 de l’UDMR en Roumanie et le député du MKP en Slovaquie).
Si le Fidesz se retrouvait exclu et parvenait à emmener avec lui ses alliés hongrois minoritaires, ainsi que d’autres partenaires italiens, croates ou slovènes, alors le PPE pourrait disposer d’un nombre de députés plus faible que le groupe social-démocrate (d’autant qu’il est probable que la CDU allemande ou LR en France aient de moins bons résultats électoraux qu’en 2014).
En tout état de cause, aucun mouvement du Fidesz ou du PPE ne semble devoir intervenir avant l’élection européenne et les étapes qui suivront (notamment sur la nomination des commissaires européens).
L’autre interrogation, elle plus fondée, sera de savoir où siègeront les députés européens du parti gouvernemental tchèque ANO d’Andrej Babiš, le Premier ministre tchèque. En effet, ceux-ci siègent actuellement dans le groupe ALDE dirigé par Guy Verhofstadt. Ils ont voté en faveur du rapport Sargentini contre le gouvernement hongrois, ce qui a provoqué la colère d’Andrej Babiš, qui s’est nettement désolidarisé du vote des députés européens de l’ANO, précisant qu’ils ne seraient plus élus dans un an, se désolant de leur vote mais précisant que leur vote n’engage qu’eux.
Difficile d’imaginer que lors de la prochaine mandature les nouveaux élus de l’ANO siègent de nouveau au sein du groupe ALDE. En raison du positionnement hostile de leur leader aux quotas de migrants et à sa solidarité affichée avec Orbán, on peut imaginer comme une option que les nouveaux députés de l’ANO siègent au sein du groupe ECR.
Quid des populistes de gauche d’Europe centrale et orientale ?
À gauche, la présence au sein du groupe des sociaux-démocrates du SMER slovaque (le parti majoritaire de la coalition de gouvernement) et du PSD roumain soulève parfois des interrogations, en raison de l’orientation « populiste » de l’exercice du pouvoir de ces deux formations. Par le passé, le SMER a plusieurs fois été lourdement critiqué en raison des alliances gouvernementales passées en Slovaquie avec des partis de droite nationaliste (notamment le SNS).
Lorsqu’il évoque la situation globale en Europe, le candidat à la présidence de la Commission européenne Manfred Weber ne s’y trompe pas et n’oublie pas les socialistes roumains du PSD : « Si je regarde le paysage politique européen aujourd’hui, je vois Salvini en Italie, Kaczynski en Pologne, les socialistes roumains et Orbán. Nous pourrions évidemment souhaiter autre chose, mais la réalité est là. »
Si trois des quatre eurodéputés du SMER étaient identifiés comme des personnes fiables par les réseaux de George Soros, force est de constater que ceux-ci – en dehors de Boris Zala – n’ont pas systématiquement suivi les consignes de leur groupe sur les votes relatifs à la situation en Hongrie ou en Roumanie.
La situation du SMER et du PSD est analogue à celle du Fidesz avec le PPE : en dépit de certaines divergences, personne ne semble avoir intérêt à un divorce qui affaiblirait le groupe social-démocrate et marginaliserait les exclus.
Si la situation du SMER au sein du groupe social-démocrate ne semble pas susciter d’interrogations, il sera en revanche intéressant de voir comment va évoluer la situation avec les élus du PSD roumain alors qu’un premier vote du Parlement européen a eu lieu contre le gouvernement roumain et que la Roumanie vient de prendre la présidence tournante de l’Union européenne.
Autre option (strictement théorique en l’état) pour ces populistes de gauche en cas de rupture avec le groupe social-démocrate : un rapprochement avec l’éventuel futur groupe ELDD sous la direction du Mouvement 5 étoiles.
Des coordinations au-delà des groupes politiques ?
Il est donc très peu probable que la coordination des diverses oppositions aux orientations de l’Union européenne puisse se cristalliser au sein d’un seul groupe parlementaire lors de la mandature 2019-2024 du Parlement européen.
Il n’est au demeurant pas certain que cela serait profitable aux velléités réformatrices, étant donné qu’un PPE et un groupe social-démocrate épurés de leurs trublions seraient certes numériquement quelque peu affaiblis mais pourraient – avec le groupe libéral ALDE – constituer un bloc central majoritaire ne souffrant plus de contestations internes.
Car même avec une possible poussée des populismes, il apparaît encore probable que l’addition des groupes social-démocrate, ALDE et PPE dispose d’une majorité confortable au Parlement européen, y compris si l’on devait y retrancher des partis comme le Fidesz ou le PSD.
À moins que des phénomènes politiques difficilement contrôlables comme le Mouvement 5 étoiles en Italie ou le mouvement des Gilets Jaunes en France (dont il est impossible de prédire s’il aura une incarnation électorale, et si oui laquelle) n’émergent ailleurs en Europe et contribuent à la fragilisation des majorités traditionnelles.
Sauf bouleversement des équilibres actuels, la voie de la réforme pourra ponctuellement prendre forme au travers de coordinations dépassant le clivage des groupes politiques, voire des traditions politiques nationales. À ce titre, le rejet du rapport contre le gouvernement roumain par les députés européens du Fidesz (alors que les eurodéputés du PSD avaient majoritairement voté le rapport Sargentini deux mois plus tôt) constitue un modèle de pragmatisme politique. Notons toutefois que le vote des députés PSD contre la Hongrie a été particulièrement critiqué par de nombreux partisans de la ligne du leader du PSD Dragnea, et qu’il est envisageable (comme en Tchéquie) que les nouveaux europarlementaires PSD seront davantage triés sur le volet pour leur accord avec la ligne de leur parti.
Il n’est d’ailleurs pas à exclure que le mépris des Occidentaux et de Bruxelles pour les gouvernants d’Europe centrale et orientale constitue la meilleure façon d’amener ces derniers à renforcer leur solidarité et leur identité politique au-delà du V4, le tout avec l’appui des populistes occidentaux qui vantent leur gouvernance.