Roumanie, Timișoara – Dr. Nicolae Ţăran (2/2) : la société roumaine est favorable à la politique menée par Orbán et la Pologne.
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Dr. Nicolae Ţăran : Nous sommes maintenant confrontés à un problème auquel la Roumanie n’a jamais eu à faire face dans l’Histoire ; le risque de dépopulation, un nouveau problème que la Roumanie ne sait pas comment gérer. 3,5 millions de personnes ont émigré, et il y a un accroissement naturel négatif. La dépopulation est le problème le plus sérieux auquel la Roumanie a affaire, pas la pauvreté, qu’elle a déjà géré dans le passé. Il n’y a pas de politique gouvernementale, et ni la société civile ni l’Église ne sont engagées dans la conscientisation du problème. C’est ça la Roumanie, et la distanciation avec les politiques de la Russie et de la Hongrie en la matière sont évidentes.
Dans le groupe de Visegrád, la dépopulation et le danger de l’émigration ne sont pas si aigus. Les dirigeants du V4 ont agit bien plus pour l’intérêt public.
Bodgan Radu Herzog : Est-ce parce qu’en Roumanie la vieille méthode britannique d’achat des élites locales a trouvé un sol fertile ? Cette façon de « résoudre » les choses est en même temps devenu un paradigme généralisé. Est-ce dû à la tradition phanariote ?
Dr. Nicolae Ţăran : Oui. C’est incroyable de voir à quel point les gens acceptent tout, même des baisses drastiques de salaires, sans protester.
BRH : Ca serait du fatalisme ?
Dr. Nicolae Ţăran : Peut-être. Et en même temps, il est maintenant avéré que l’argent économisé sur les salaires a été utilisé pour des remboursements frauduleux. La justice essaye actuellement de récupérer l’équivalent d’un milliard de dollars.
BRH : Est-ce que la Roumanie peut trouver une solution en interne ou seulement dans un contexte international ?
Dr. Nicolae Ţăran : La situation qui s’est développée en Europe et en particulier le courage des dirigeants, des populations et de la société civile des pays du Visegrád est aussi un facteur positif pour la Roumanie. Pour les gens, c’est similaire à la situation de 1956, qui a également eu une très bonne influence sur la Roumanie, rapport aux abus et à la violence du nouveau régime. Le courage des Hongrois a provoqué l’admiration des Roumains. Malheureusement, c’en est resté à un rapport d’homme à homme, et Gheorghiu-Dej (le dirigeant roumain précédant Ceaușescu, ndlt) a vendu les dirigeants hongrois pour améliorer ses relations personnelles avec Moscou.
BRH : Ils ont aidé à éliminer Imre Nagy, n’est-ce pas ?
Dr. Nicolae Ţăran : Oui, et après, ils ont trahi Moscou à la première opportunité. Quoiqu’il en soit, la société roumaine est favorable à la politique menée par Orbán et la Pologne, mais l’élite politique roumaine est tout aussi perverse que celle de 1956 et que toutes celles qui ont suivi 1989. N’oublions pas qu’ils ont soutenu les bombardements sur la Yougoslavie pour améliorer leurs rapports avec les USA. Maintenant j’ai peur que cette élite fasse la même chose, alors qu’ils condamnent Orbán en parlant avec Washington et Berlin, pour négocier leur position. Mais ce n’est pas à l’avantage de la Roumanie, qui a besoin d’un rapprochement des positions du V4.
La Roumanie doit résoudre ses problèmes sans l’assistance de Berlin et de Washington car une telle assistance ne peut pas résoudre les problèmes. Quand l’ambassade américaine a mis en place la DNA (Direction Nationale Anti-corruption), ils n’ont pas saisi la réalité du terrain et ont fait plus de mal que de bien. Cela arrive dans tous les cas où une intervention extérieure impose un comportement à la Roumanie.
La crise des immigrants et la réponse du V4 a été un facteur positif pour éveiller les conscience sur les dangers liés à l’immigration, et abandonner la crédulité qui avait atteint un niveau élevé. Mais en prenant une telle position vis à vis de l’immigration, il était évident que la Hongrie et la Pologne avaient un plan B. Malheureusement, il n’y a rien de tel en Roumanie à l’heure où l’UE risque la désintégration. La Roumanie n’est pas du tout prête, mais c’est typique.
BRH : Tout cela ne dit rien de bon sur nous. Tous les tests de QI montrent qu’un manque de stratégie, l’incapacité de penser sur le long terme, sont des marqueurs de stupidité humaine. La capacité d’improvisation ne compense pas.
Dr. Nicolae Ţăran : Je n’ai jamais été aussi sceptique.
BRH : A propos d’intégration dans des grands projets internationaux, croyez-vous que la Roumanie pourrait intégrer la Route de la Soie ?
Dr. Nicolae Ţăran : C’est une question intelligente. Quand la Chine a lancé son programme, la situation internationale était différente. Ce plan est compromis par ce qui se passe au Moyen-Orient. La situation y est devenue très compliquée, ainsi qu’elle l’est devenue dans le Caucase ou en Ukraine. Le conflit dans le Caucase est très dangereux à mon sens. Il est très difficile pour la Russie d’agir comme médiateur, tant que la Turquie est impliquée, et derrière elle, les USA.
BRH : Ce serait une tentative d’encerclement de la Russie avec des conflits ?
Dr. Nicolae Ţăran : Oui. Dans ces conditions, le projet de la Chine ne peut pas se réaliser.
BRH : Il existe toujours la voie directe Pékin-Moscou, pour atteindre l’Allemagne à travers la Biélorussie et la Pologne.
Dr. Nicolae Ţăran : Oui, c’est la seule voie possible.
BRH : Une dernière question. Que pensez-vous de l’accord de libre-échange, le TAFTA, promu par les USA ?
Dr. Nicolae Ţăran : Selon moi c’est un traité extrêmement périlleux pour l’Europe et l’Allemagne. L’Union européenne et l’eurozone sont économiquement viables car l’Allemagne a un excédent commercial dans ses relations avec les USA et le Canada de 150 milliards d’euros par an. En mêm temps, il y a un déficit dans les relationsde l’UE avec la Russie et la Chine.
Derrière ce projet, c’est l’intérêt des élites américaines d’étrangler économiquement l’Allemagne. Je pense que ce danger est su aussi à Bruxelles et à Berlin. Si les dirigeants européens signent cet accord, les jours de l’UE comme entité politique sont comptés, et les Américains vont pénétrer l’Europe de leurs investissements. Les USA dévalueront le dollar, ce sera leur première mesure, et cela tuera l’industrie allemande. Et pour finir, n’oublions pas que tous les conflits commerciaux seront arbitrés par des cours américaines. Les Européens ne pourront pas se soustraire à la justice américaine.
BRH : Y a-t-ildes chances pour un monde multipolaire ?
Dr. Nicolae Ţăran : Plus qu’il y a 3-4 ans. Par exemple, la Russie et la Chine ont imposé leurs vues sur un certain nombre de cas. Alors qu’il y a 10 ans ils ne comptaient pas. La vitesse avec laquelle cela se met en place dépend des élections aux USA.
BRH : Merci professeur !
Cet entretien a été fait le 5 avril 2016.
Traduit du roumain par Bogdan Radu Herzog.