Par Olivier Bault.
Pologne – C’était une promesse et le chantier avait été annoncé il y a plus d’un an : le PiS cherche à imposer rapidement trois grandes réformes du système judiciaire polonais. La première concerne le mode de nomination des présidents des tribunaux ordinaires dans tout le pays : le ministre de la Justice, qui est aussi le Procureur général, doit avoir plus de liberté dans les nominations et les révocations. Les juges des tribunaux concernés n’auront plus leur mot à dire et le Conseil national de la magistrature (KRS) ne pourra bloquer les nominations qu’à une majorité des deux tiers au lieu d’une majorité ordinaire. Les juges membres de ce KRS ne seront plus nommés par les institutions judiciaires mais choisis au sein de ces institutions judiciaires par le Parlement, à une majorité qualifiée des 3/5 (condition imposée par le président Andrzej Duda, pour éviter que le KRS passe sous le contrôle d’un parti politique). Les juges de la Cour suprême ne seront plus cooptés mais nommés par le KRS. Les nouvelles dispositions visent aussi à empêcher l’obstruction par les juges des procédures disciplinaires dont font l’objet leurs collègues.
Pour le parti Droit et Justice, l’enjeu est d’instaurer un contrôle démocratique sur le troisième pouvoir et de mettre fin au corporatisme des juges et à l’impunité dont bénéficient les juges coupables de militantisme politique, de corruption ou d’incompétence. Il s’agit aussi de purger enfin l’institution judiciaire de ses juges et procureurs qui prononçaient déjà des jugements sous le coup des lois martiales des années 80, et qui ont mis en prison des opposants politiques. Des juges comme cela, il y en a encore jusque dans la Cour suprême. Pour mettre un grand coup de pied dans la fourmilière, le PiS va encore plus loin puisqu’il prévoit, sous prétexte de réorganisation du KRS et de la Cour suprême, d’écourter le mandat de ses membres afin d’en accélérer le renouvellement.
Comme on pouvait s’y attendre, cela fait hurler l’opposition dont une partie (la même qui a provoqué le blocage du parlement en décembre-janvier) emploie tous les moyens possibles pour bloquer ces trois réformes. Comme en décembre, les libéraux appellent les Polonais à descendre dans la rue, mais avec un succès mitigé : tout au plus quelques milliers de manifestants devant la Diète au moment culminant, mais quelques centaines voire quelques dizaines la plupart du temps. Après le conflit autour du Tribunal constitutionnel, l’opposition libérale affirme que celui-ci est désormais sous le contrôle du PiS et ne garantit plus des décisions impartiales sur la constitutionnalité des lois, et les leaders des partis libéraux PO et Nowoczesna crient à la dictature et en appellent une fois de plus à Bruxelles pour bloquer des réformes qu’ils jugent inconstitutionnelles. Comme on pouvait s’y attendre, la Commission européenne s’est empressée d’intervenir et exerçait déjà des pressions avant même que ces projets de loi n’aient été adoptées sous leur forme définitive. Ce qui est assez extraordinaire, c’est que certains commissaires européens, au premier rang desquels le premier vice-président de la Commission, le socialiste hollandais Frans Timmermans, semblent vouloir s’ériger en juges du Tribunal constitutionnel polonais puisqu’ils émettent des avis sur la constitutionnalité des projets de loi débattus par la Diète à Varsovie. Il se trouve que la constitution polonaise donne un large pouvoir au parlement en ce qui concerne l’organisation de l’institution judiciaire, ce que semblent ignorer nombre de commentateurs étrangers à l’instar de M. Timmermans qui ne comprend d’ailleurs pas la langue polonaise et a donc forcément une connaissance superficielle de la situation.
Pour bloquer l’adoption de ces projets de loi, l’opposition libérale a eu recours cette semaine à tous les moyens : tentative infructueuse de bloquer physiquement les travaux du parlement comme en décembre-janvier, profusion d’amendements (plus de 1300 à un moment donné, rejetés en bloc par la majorité PiS), appels à l’intervention de Bruxelles… Jeudi soir, après l’adoption par la Diète du projet de loi sur la Cour suprême, l’opposition libérale a proclamé la fin de la démocratie, en arguant que l’indépendance des juges était désormais une fiction. Un sondage IBRiS réalisé les 18-19 juillet pour le journal Rzeczpospolita (favorable à l’opposition libérale) montre toutefois que les cris d’orfraie des libéraux et les menaces de Bruxelles ne convainquent pas une majorité des Polonais : le PiS progresse de 3 points à 37 %, le PO de Donald Tusk recule de 2 points à 21 % et Nowoczesna, l’autre parti libéral, progresse de 2 points à 9 %.