Pologne – Les partisans d’une libéralisation de l’avortement en Pologne étaient à nouveau dans la rue dans de nombreuses villes de Pologne le samedi 6 novembre. La plus grosse manifestation s’est déroulée à Varsovie devant le siège du Tribunal constitutionnel qui, il y a maintenant un an, a jugé contraire à la constitution la clause de la loi polonaise de 1993 qui autorisait l’avortement jusqu’à la 24e semaine de grossesse en cas de diagnostic médical laissant apparaître la probabilité d’une anomalie ou maladie incurable de l’enfant à naître. Plutôt que cet anniversaire, c’est la nouvelle du décès d’une femme enceinte dans un hôpital de Pszczyna, en Silésie, qui a déclenché ces manifestations auxquelles plusieurs personnalités politiques libérales et de gauche ont participé. Ainsi, Donald Tusk y était « non pas en tant qu’homme politique ni en tant que chef de parti d’opposition, mais en tant que personne, en tant que mari, en tant que père et en tant que grand-père ». « Pas une de plus », scandaient les manifestants en brandissant les portraits d’Izabela, la femme de 30 ans morte le 22 septembre 2021 d’une septicémie dans les 24 heures qui ont suivi son hospitalisation après qu’elle eut perdu ses eaux à la 22e semaine de sa grossesse. Son bébé avait été diagnostiqué avec une anomalie qui aurait permis une interruption médicale de grossesse avant le jugement du Tribunal constitutionnel polonais du 22 octobre 2020 (entré en vigueur le 30 janvier 2021, au lendemain de sa publication au Journal officiel).
La Grève des femmes (Strajk Kobiet) à l’origine des manifestations de l’automne 2020, mais aussi les médias et hommes et femmes politiques favorables à une libéralisation de l’avortement ont été prompts à se saisir de cette triste affaire
quand elle a été portée à la connaissance du public par un tweet de l’avocate de la famille le vendredi 29 octobre, à son retour de sa déposition au parquet qui avait ouvert une enquête sur ce décès.
« Les médecins attendaient la mort du fœtus. Le fœtus est mort, la patiente est morte. Choc septicémique. J’ai passé mon vendredi au bureau du procureur », a écrit la juriste Jolanta Buzdowska. Quelques jours plus tard, à la télévision TVN, la représentante légale de la famille de la défunte, qui laisse derrière elle un mari et une fillette, affirmait : « Je pense personnellement que dans cette affaire ce sont des gens faibles, agissant sous la pression du droit, d’un mauvais droit, qui ont failli. »
Les titres accusateurs n’ont pas manqué dans les grands médias d’Europe occidentale, pointant du doigt cette Pologne arriérée où les médecins auraient laissé une femme mourir par crainte d’avoir à subir des conséquences pénales s’ils avortaient l’enfant agonisant qu’elles portaient en elle.
Un scandale et une instrumentalisation qui ressemblent beaucoup à l’affaire du décès de l’Indienne Savita Halappanavar en Irlande en 2012. Cette affaire avait contribué quelques années plus tard à la libération de l’avortement dans ce pays encore relativement catholique, et d’aucuns espèrent que c’est aussi ce qui va arriver en Pologne.
Pourtant, la situation en Pologne est différente de la situation irlandaise de l’époque, car la loi polonaise est très claire :
en cas de danger pour la vie et la santé physique de la femme enceinte, l’avortement est autorisé à tout moment de la grossesse.
Dans son jugement d’octobre 2020, le Tribunal constitutionnel a insisté sur le fait que cette partie de la loi n’est pas contraire à la constitution et qu’elle reste donc valide. Quoi qu’il en soit, estimant qu’une mauvaise interprétation du jugement du Tribunal constitutionnel avait peut-être pu jouer un rôle dans l’attitude attentiste des médecins de l’hôpital de Pszczyna qui a, soit dit en passant, une assez mauvaise réputation (il avait eu à payer une forte pénalité il y a quelques années en raison de ses négligences graves), le ministre de la Santé Adam Niedzielski a annoncé qu’il allait envoyer une circulaire à tous les établissements de santé pour qu’il soit clair qu’en cas de danger pour la vie ou la santé physique de la femme enceinte, un avortement ne saurait entraîner une quelconque responsabilité pénale.
Il se trouve par ailleurs que la polémique a éclaté au moment où la Diète se penchait sur un nouveau projet de loi citoyen intitulé « Stop à l’avortement » qui instaurerait des peines plus lourdes, allant de 5 à 25 ans de prison, pour les médecins réalisant des avortements illégaux et pour les intermédiaires. Ce projet de loi prévoit également d’introduire des peines pour les femmes se faisant avorter. Les 130 000 signataires de cette initiative citoyenne considèrent en effet que l’interdiction d’avorter en Pologne est en fait une fiction du fait de la très grande rareté des poursuites et de la légèreté des peines appliquées quand par extraordinaire elles le sont, une femme se faisant avorter n’étant pas elle-même passible de poursuites.
Cette situation de fait permet d’ailleurs de douter de la thèse selon laquelle les médecins de l’hôpital de Pszczyna auraient tardé à intervenir sur leur patiente par crainte d’hypothétiques conséquences pénales.
En intervenant trop tard, ils encourent en revanche aujourd’hui des conséquences au pénal et au civil pour avoir laissé mourir cette femme de 30 ans.
La représentante légale de la famille elle-même est un peu revenue sur ses premières insinuations mettant en cause le jugement ayant interdit les avortements pour causes d’anomalie de l’enfant à naître, en déclarant dans un entretien avec le site Interia :
« Je suis loin de vouloir affirmer que la mort de cette patiente est une conséquence directe du jugement du Tribunal constitutionnel.
Parler de ‘conséquence’ implique de désigner une relation de cause à effet, ce qui revient à dire que sans ce jugement, cette patiente ne serait pas décédée. On ne peut pas parler ici d’un tel lien. »
Il s’est malgré tout trouvé un député polonais de gauche, le militant LGBT Robert Biedroń du groupe des socialistes au Parlement européen, pour introduire un amendement faisant référence à cette histoire tragique dans une résolution du Parlement européen appelant la Pologne à libéraliser l’accès à l’avortement un an après le jugement d’un tribunal constitutionnel dont le Parlement européen, s’arrogeant un droit qu’il n’a pas, refuse de reconnaître la légitimité. La résolution en question doit être adoptée le jeudi 11 novembre, jour de la Fête de l’Indépendance polonaise, avec le soutien des groupes allant du PPE à l’extrême gauche.
Pourtant, même avant le jugement d’octobre 2020, en vertu de la loi polonaise en vigueur depuis 1993, en l’absence de diagnostic d’anomalie de son enfant, la femme décédée le 22 septembre à Pszczyna aurait été exactement dans la même situation : seul un risque pour sa vie ou sa santé physique aurait autorisé les médecins à procéder à un avortement. La représentante légale de la famille n’a d’ailleurs pas précisé si cette femme avait souhaité un avortement après avoir pris connaissance du diagnostic prénatal défavorable qui avait été posé avant son hospitalisation. Précisons encore que
le taux de mortalité maternelle est en Pologne un des plus bas de toute l’Union européenne et même un des plus bas au monde.
Avec 2 décès pour cent mille naissances vivantes, il est, quasiment à égalité avec l’Italie, quatre fois moins élevé qu’en France et trois fois et demie moins élevé qu’en Allemagne.
Du point de vue des opposants à l’avortement en Pologne, pour reprendre les mots sur Twitter d’un des journalistes et essayistes de droite les plus populaires sur les bords de la Vistule : « La gauche libérale adore exploiter cyniquement les tragédies : Piotr Szczęsny, Paweł Adamowicz, et aujourd’hui la victime d’une erreur médicale manifeste… À chaque fois, les hyènes tentent de gagner quelque chose en attribuant la responsabilité des décès à leurs adversaires politiques. Pour les gens normaux, c’est écœurant. »