Pologne/Tchéquie – La guerre de la Russie en Ukraine semble avoir beaucoup rapproché la Pologne et la Tchéquie alors que, jusqu’au début du mois de février, le conflit autour de la mine de lignite de Turów, pour lequel Prague s’était tourné vers la CJUE, envenimait sérieusement les relations entre les deux pays.
Le mercredi 27 avril, le président polonais Andrzej Duda était en visite à Prague où il a notamment rencontré son homologue tchèque Miloš Zeman et le Premier ministre Petr Fiala qui s’est lui-même rendu à Varsovie vendredi pour des discussions avec son homologue polonais Mateusz Morawiecki. Alors que la Tchéquie prendra le relais de la France le 1er juillet prochain pour présider les travaux du Conseil de l’UE, les discussions entre Varsovie et Prague ont bien sûr concerné la guerre de la Russie en Ukraine et le gaz russe dont la République tchèque dépend à 100% pour ses importations. La Tchéquie a eu à accueillir comme la Pologne un grand nombre de réfugiés ukrainiens et est très active en matière de fournitures d’armements aux forces armées ukrainiennes pour leur permettre de défendre leur pays contre l’agresseur russe.
Duda a remercié Zeman – qui, avant le 24 février, ne croyait pas à l’éventualité d’une attaque russe contre l’Ukraine et qui avait une image de président « pro-russe » – pour avoir condamné de manière très claire l’agression de la Russie « contre le pays libre et indépendant qu’est l’Ukraine ». Zeman, de son côté, a rappelé qu’il avait toujours critiqué les ingérences de Bruxelles dans les affaires intérieures polonaises et que « aujourd’hui on voit que la Pologne est justement devenu le principal défenseur des valeurs européennes », par son rôle de leader dans l’assistance à l’Ukraine.
La Pologne avait été le premier pays à envoyer des armes à l’Ukraine juste après le début des hostilités tandis que la Tchéquie a été la première à fournir des armes lourdes à l’Ukraine, en lui livrant une centaine de chars T-72 de construction soviétique au début du mois d’avril. Aujourd’hui, la Pologne revendique avoir fourni une aide militaire pour une valeur de sept milliards de zlotys (environ 1,5 milliard d’euros), dont également des chars T-72 (environ deux cents, selon les médias polonais).
Les deux pays sont également présents militairement en Slovaquie dans le cadre du renforcement des moyens de l’OTAN sur sa frontière orientale (avec environ 500 soldats tchèques et une centaine de Polonais stationnés en Slovaquie), et la Pologne vient même de passer un accord avec Bratislava pour que ses F-16 patrouillent le ciel slovaque alors que les Mig-29 possédés par la Slovaquie, qui étaient en cours de modernisation en Russie quand a commencé l’agression conte l’Ukraine, ne sont plus disponibles. La Slovaquie a en effet décidé d’interrompre l’opération de modernisation et de rapatrier ces avions qui doivent maintenant rester cloués au sol en attendant leur remplacement par des F-16 américains d’ici deux ans.
Lors de la visite du Tchèque Petr Fiala à Varsovie le vendredi 29 avril et de sa rencontre avec Morawiecki, les deux dirigeants ont discuté d’un projet qui avait été un peu oublié, « par la faute des Tchèques », a précisé Fiala : le gazoduc Stork II qui permettra d’acheminer en Tchéquie du gaz naturel liquéfié depuis les terminaux maritimes polonais, réduisant ainsi la dépendance tchèque au gaz russe. « J’ai également proposé une coopération plus étroite avec la Pologne concernant la capacité des terminaux GNL que la Pologne souhaite construire », a déclaré Fiala, « nous avons fait une offre d’achat de GNL à partir de terminaux polonais. Nous sommes ouverts à d’autres discussions sur ce sujet. »
Il a aussi été question de pétrole, la compagnie pétrolière polonaise Orlen étant propriétaire de raffineries en Tchéquie et Morawiecki ayant assuré Fiala que son pays ne serait pas oublié en cas d’embargo sur le pétrole russe, alors qu’Orlen a déjà beaucoup réduit la part de la Russie dans ses sources d’approvisionnements.
Vendredi, les premiers ministres polonais et tchèque ont également annoncé leur intention de se tourner ensemble vers la Commission européenne pour demander un soutien financier pour l’accueil des réfugiés. « Nous avons convenu avec le Premier ministre [Fiala] de présenter une demande conjointe à Bruxelles, à la Commission européenne, pour obtenir de nouveaux fonds. J’insiste sur le mot « nouveaux », et non pas un changement d’affectation de fonds existants pour aider les réfugiés de guerre, comme c’est le cas aujourd’hui. Nous allons bientôt présenter ensemble cette initiative », a déclaré le Premier ministre Mateusz Morawiecki après sa rencontre avec le chef du gouvernement tchèque. La Tchéquie, pays de 10,5 millions d’habitants, accueille aujourd’hui quelque 300 000 réfugiés arrivés depuis le 24 février en provenance d’Ukraine contre environ 2 millions qui ont trouvé refuge en Pologne, pays de 38 millions d’habitants en temps normal. Dans les deux pays, c’est à la fois la relative proximité linguistique et la présence avant la guerre d’un grand nombre d’immigrés économiques ukrainiens (environ 1,5 million en Pologne, 150 000 en Tchéquie) qui en a fait des destinations de choix pour les Ukrainiens fuyant leur pays en guerre.
Pologne et Tchéquie ont aussi en commun d’avoir en ce moment un des taux d’inflation les plus élevés de l’UE, à 12% en rythme annuel, et aussi les taux de chômage les plus bas, avec une économie qui reste malgré tout en forte croissance. Les deux pays sont d’accord pour dire que dans le cadre de la lutte contre l’inflation, qui affecte tout particulièrement le secteur de l’énergie, il conviendrait de réformer le système des droits d’émission de CO2 qui ont en particulier un fort impact sur le coût de la production d’électricité avec des centrales à charbon, comme c’est le cas de la Pologne et de la Tchéquie. C’est donc un sujet que Prague mettra sur la table pendant sa présidence de l’UE.
Ce rapprochement polono-tchèque survient à un moment où la relation s’est quelque peu refroidie entre Varsovie et Budapest, en raison des profondes divergences face à la guerre en Ukraine, et les premiers ministres polonais et tchèque ont appelé le gouvernement de Viktor Orbán à clarifier ses positions sur le sujet, tout en assurant que la coopération au sein du Groupe de Visegrád (V4) se poursuivrait malgré tout.