Pologne – En Pologne, le PiS veut réformer en profondeur une institution judiciaire héritée du communisme, par Olivier Bault.
Dans le conflit qui oppose le Tribunal constitutionnel polonais, appuyé par la Cour suprême, l’opposition libérale et la Commission européenne, au gouvernement conservateur et à sa majorité parlementaire issue des élections d’octobre 2015, le passé et les affiliations politiques des juges est un aspect important qui échappe aux médias internationaux qui se sont intéressés au sujet. D’une manière générale, la justice en Pologne n’a jamais été réformée et décommunisée après la transition démocratique de 1989-90.
Le parti Droit et Justice (PiS) de Jarosław Kaczyński s’attendait donc à de fortes résistances avant même d’accéder au pouvoir, mais ceci ne l’a pas empêché d’annoncer une profonde réforme de la justice et de promettre de mettre fin à l’impunité des juges et procureurs corrompus ou incompétents. Mais pour pouvoir réaliser ses promesses électorales, le PiS devait d’abord empêcher le blocage du parlement par le Tribunal constitutionnel organisé par la coalition PO-PSL sortante avec le soutien du président du Tribunal constitutionnel et de certains juges. Car, rappelons-le, ce conflit qui vaut au gouvernement polonais actuel d’être menacé par la Commission européenne d’une procédure de sanctions tire son origine d’une loi votée par la majorité précédente et avalisée par le président sortant Bronisław Komorowski (après les élections de mai 2015 perdues au profit du candidat du PiS Andrzej Duda) dans le seul but de permettre au parlement sortant de nommer en octobre 2015, deux semaines avant les élections qui s’annonçaient très mal pour la majorité de l’époque, cinq juges qui auraient normalement dû être nommés par le parlement issu du vote du 25 octobre. En effet, les mandats des juges remplacés prenaient fin, respectivement, en novembre et décembre 2015. Si le président Duda n’avait pas refusé d’avaliser ces nominations du fait de leur inconstitutionnalité manifeste, l’opposition libérale aurait aujourd’hui quatorze juges nommée par elle sur les quinze que compte le Tribunal constitutionnel.
Outre le fait que ces manigances aient été passées sous silence dans les médias internationaux qui se sont jetés sur le PiS quand celui-ci a annulé ces cinq nominations, on a voulu faire croire à une soudaine politisation par le PiS d’une institution jusqu’ici apolitique. Les médias étrangers semblent ignorer d’ailleurs qu’aujourd’hui neuf juges sur quinze que compte le Tribunal constitutionnel ont été nommés par la majorité précédente. Et sur ces neuf juges, certains profils mis en lumière par l’hebdomadaire conservateur Gazeta Polska sont particulièrement intéressants.
Le président du Tribunal Andrzej Rzepliński, tout d’abord, dont le mandat prendra fin en décembre 2016. Le professeur Andrzej Rzepliński, qui a terminé ses études de droit dans la même classe que Jarosław Kaczyński, a, contrairement à ce dernier, fait carrière en tant que membre du parti communiste polonais (PZPR) jusqu’en 1981 avant de rejoindre le syndicat d’opposition Solidarité. En 2005, il était candidat du parti libéral PO (Plateforme civique, le parti de Donald Tusk qui a gouverné de 2007 à 2015) au poste de Défenseur des droits. Quelques années plus tard, il prenait la défense du juge Igor Tuleya qui dans un jugement controversé prononcé à l’encontre d’une opération anti-corruption conduite à l’époque du gouvernement de coalition dirigé par le PiS (2005-2007) avait qualifié les méthodes du bureau anti-corruption (CBA) de « méthodes des années 40 et 50, de l’époque stalinienne la plus profonde ». Une comparaison un peu forte de café de la part d’un juge élevé dans une famille communiste et dont la mère avait travaillé dans la milice et dans la police politique (SB). En 2014, Rzepliński cosignait encore une déclaration condamnant Jarosław Kaczyński pour sa remise en cause de la réaction des juges aux multiples irrégularités constatées lors des élections régionales et municipales de cette même année. Lors de la dispute autour du Tribunal constitutionnel, Andrzej Rzepliński a été vu, et même filmé avec le téléphone d’un député du PiS, en discussion avec les députés PO et PSL à la Diète. Le président du Tribunal constitutionnel Andrzej Rzepliński a en outre la mauvaise habitude de dire dans les médias tout le mal qu’il pense des lois votées par le PiS avant même la tenue des audiences au cours desquelles le Tribunal constitutionnel doit se prononcer sur la constitutionnalité de ces lois. C’est tout de même un peu gênant pour un juge censé être à la fois apolitique, indépendant et impartial.
Une autre perle de ce tribunal, nommée par le PO, c’est la juge Sławomira Wronkowska-Jaśkiewicz, qui était dans les années 80, sous la dictature communiste, membre du conseil législatif du président du conseil des ministres. Elle est aussi co-auteur de quelques ouvrages publiés dans les années 70 et 80 où elle défendait le droit socialiste de l’époque, institué « de manière conforme aux intérêts des travailleurs ».
Autre juge « apolitique » du tribunal, Stanisław Rymar, lui aussi candidat du PO nommé au Tribunal constitutionnel en 2010, est un ami et collaborateur de Roman Giertych, l’ancien leader de la Ligue des Familles polonaises (LPR) qui a gouverné avec le PiS en 2005-2007 mais qui s’est ensuite rallié corps et âme au PO. Rymar a fait parler de lui pour sa participation à une transaction immobilière juteuse qui aurait donné lieu, selon le journal Rzeczpospolita, à certaines irrégularités. Rymar n’a jamais été condamné pour cela mais il n’a pas non plus poursuivi le journal en diffamation.
Leon Kieres, également juge du Tribunal constitutionnel proposé par le PO (en 2012), est un ancien sénateur du PO. Ceci ne l’a pas empêché d’affirmer en décembre 2015 que « le Tribunal constitutionnel et ses juges n’ont pas été, ne sont pas et ne seront pas engagés dans des disputes politiques ».
Etc. Etc.
Bien entendu, la Pologne ne se démarque dans ce domaine pas d’autres pays européens comme la France où François Hollande a fait nommer récemment le socialiste Laurent Fabius à la présidence du Conseil constitutionnel. Certains pays n’ont d’ailleurs même pas de cour constitutionnelle, comme les Pays-Bas dont est originaire Frans Timmermans, premier vice-président de la Commission européenne chargé de l’Amélioration de la législation, des Relations inter-institutionnelles, de l’État de droit et de la Charte des droits fondamentaux, qui prend aujourd’hui la défense du tribunal constitutionnel polonais. Ceci au nom d’une interprétation très poussée d’une Charte des droits fondamentaux qui, lorsqu’elle a été intégrée au Traité de Lisbonne, ne devait s’appliquer qu’aux institutions européennes et à leur action. Notons d’ailleurs que le Tribunal constitutionnel qui siège à Varsovie a été créé en 1982, en plein état de siège imposé par la dictature communiste. C’est dire comme un tel tribunal est garant du respect des règles démocratiques !
Mais en Pologne, il y a encore la Cour suprême dont les juges ont apporté le 26 avril leur soutien au Tribunal constitutionnel. Si le Tribunal constitutionnel devrait en théorie se prononcer uniquement sur la constitutionnalité des lois votées par le parlement, la Cour suprême supervise le pouvoir judiciaire, examine les recours pour les élections et tient lieu de cour de cassation. En 2009, une enquête était ouverte à l’encontre de certains des juges de la Cour suprême pour une affaire de corruption : des jugements favorables auraient été proposés contre rémunération. Si l’affaire a été classée en 2012 et 2015, c’était au motif que les preuves présentées par le bureau anti-corruption (CBA) avaient été obtenues en violant la loi. Par ailleurs, plusieurs juges actuels de la Cour suprême polonaise qui se posent en défenseur de la démocratie et de l’État de droit ont débuté leur carrière sous le régime communiste et ont à leur compte des condamnations politiques à l’encontre d’opposants de l’époque.
Plus bas dans la hiérarchie du pouvoir judiciaire, l’héritage communiste pèse aussi encore très lourd, et on a pu voir avec l’affaire Amber Gold que le président du tribunal de Gdańsk, par exemple, était aux ordres du premier ministre Donald Tusk (voir l’explication ici).
La réforme de la justice, qui n’a jamais été réalisée depuis la chute du communisme, s’annonce donc comme la tâche la plus ardue pour le PiS, mais il est clair pour la droite conservatrice polonaise que c’est la condition sine qua non d’un assainissement et d’une démocratisation en profondeur de la Pologne. La première réforme adoptée a consisté à redonner au ministre de la Justice le rôle de procureur général. Pour le Tribunal constitutionnel, le PiS n’arrivera probablement à rien s’il ne parvient pas à rassembler une majorité constitutionnelle, et donc à se mettre d’accord avec une partie de l’opposition. Or c’est par cela qu’il faut commencer, car non seulement « le poisson pourrit par la tête », mais le Tribunal constitutionnel, dans sa forme actuelle, bloquera probablement pour des raisons politiques les initiatives législatives du PiS et constituera de fait une troisième chambre du Parlement. Une chambre dominée par l’opposition libérale pour encore plusieurs années.
Lire aussi :
– Comprendre le conflit autour du Tribunal constitutionnel polonais
– La Commission européenne contre la démocratie polonaise