Par Olivier Bault.
L’article ne reflète que la vision de son auteur et ne représente pas nécessairement le point de vue de la rédaction.
Pour la Pologne, le sommet de l’OTAN des 8 et 9 juillet à Varsovie marque une avancée majeure pour la sécurité de la région. Si la patrie de Lech Walesa et Jean-Paul II a rejoint l’Alliance atlantique en 1999 avec la République tchèque et la Hongrie, elle se considérait toujours menacée par la Russie et doutait, comme les pays baltes, de la réaction de ses alliés à une éventuelle attaque russe. Pour Varsovie, le seul moyen de garantir la paix dans la région et de dissuader la Russie de toute agression contre les pays baltes ou contre un des anciens pays satellites de l’URSS, c’est de convaincre Moscou qu’une attaque contre un État membre de l’OTAN serait une attaque contre l’ensemble de l’Alliance. Car si avec le troisième budget militaire du monde (après les États-Unis et la Chine) la Russie est un géant militaire face aux pays du flanc oriental de l’Alliance atlantique, elle ne ferait clairement pas le poids face à une défense collective et surtout face à un engagement américain.
Parmi les pays de la région, la Roumanie est sur la même ligne atlantiste que la Pologne et les trois républiques baltes (Lituanie, Lettonie et Estonie), tandis que Tchéquie, Slovaquie, Hongrie et Bulgarie, tout en étant membres de l’OTAN et favorables à un renforcement des moyens de défense collective dans la région, sont sur une ligne moins hostile à la Russie.
Avant la crise ukrainienne qui a débouché sur l’annexion de la Crimée par la Russie et le soutien russe aux soulèvements séparatistes de l’est de l’Ukraine, les ex-pays de l’Est n’avaient pas de troupes de l’OTAN sur leur sol en vertu d’un accord de 1997 entre l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord et la Russie, qui stipulait que l’OTAN n’aurait pas de bases permanentes sur le territoire des nouveaux pays membres. Depuis la crise ukrainienne, l’OTAN a toutefois multiplié les manœuvres militaires afin de maintenir une présence militaire destinée à rassurer les États de la région et à montrer à la Russie que l’organisation réagirait en cas, par exemple, de guerre « hybride » dans les pays baltes dans le style de la guerre menée par la Russie dans le Donbass ukrainien. Décrits par les médias russes et russophiles comme des provocations, ces manœuvres, et notamment les grandes manœuvres Anaconda 2016 conduites en juin 2016, ne faisaient en réalité que répondre aux grandes manœuvres Zapad (Ouest) conduites par la Russie et la Biélorussie près des frontières baltes et polonaises en 2009 et 2013. En 2013, 22 000 militaires y ont officiellement pris part. Le scénario de ces manœuvres parlait d’une réaction à un conflit ethnico-religieux (en 2009 il s’agissait déjà d’un scénario de soulèvement de la minorité polonaise en Biélorussie) et à un risque d’attaque terroriste. Des sources baltes, suédoises et polonaises ont toutefois affirmé qu’en réalité, si l’on tenait compte d’autres manœuvres menées simultanément de manière coordonnées par la Russie, plus de 70 000 soldats ont alors pris part à un exercice offensif comprenant une simulation d’attaque nucléaire contre Varsovie.
Outres les unités déployées dans le cadre d’exercices, les États-Unis ont désormais une des bases de la défense antimissile balistique de l’OTAN en Roumanie alors qu’une autre base de ce système est en chantier en Pologne. Contrairement à ce qu’affirment les médias russes et russophiles, cette défense antimissile est destinée à défendre l’Europe (y compris la France) et l’Amérique du Nord contre des tirs de missile isolés en provenance de pays à risques du Moyen-Orient et elle ne pourrait en aucun cas faire face à une attaque nucléaire massive dont serait capable la Russie. Elle ne porte donc pas atteinte à la force de dissuasion russe. Au sommet de l’OTAN des 8 et 9 juillet il a été décidé de mettre la base antimissile américaine en Roumanie sous commandement de l’OTAN.
Mais surtout, le sommet de l’OTAN de vendredi et samedi a constitué un pas supplémentaire majeur vers une présence permanente de troupes de l’OTAN en Pologne et dans les ex-pays de l’Est. Il a en effet officialisé la décision déjà annoncée d’assurer une présence permanente garantissant l’implication de l’OTAN en cas d’attaque russe. La taille très réduite des forces déployées fait qu’elles ne représentent pas une menace contre la Russie mais leur simple déploiement est perçu par les pays de la région comme la meilleure garantie d’une défense collective et comme un élément de dissuasion face à la Russie.
Dans le détail, il s’agira de déployer dès l’année prochaine quatre bataillons plurinationaux de mille hommes chacun en Pologne, Lituanie, Lettonie et Estonie. Des « nations-cadres » seront responsables de la présence de l’Alliance dans chacun de ces quatre pays : les États-Unis en Pologne, l’Allemagne en Lituanie, le Canada en Lettonie et le Royaume-Uni en Estonie. En ce qui concerne la France, elle déploiera en 2017 cent cinquante hommes en Estonie aux côtés des 500 Britanniques, avant de les redéployer aux côtés des Allemands en Lituanie l’année suivante.
Ces quatre bataillons viennent s’ajouter à la brigade blindée américaine dont le déploiement prochain en Europe centrale avait été annoncé le 30 mars dernier par Washington. Cette brigade blindée contera quelque 4500 militaires avec environ 250 chars de combat, des véhicules de combat d’infanterie Bradley et des canons automoteurs Paladin. C’est plus que le simple stockage sur place de dépôts d’armes servant jusqu’ici aux forces envoyées de manière rotationnelle et qui seront redéployés en Allemagne, Belgique et Hollande. La brigade blindée annoncée, qui sera déployée début 2017, aura comme les bataillons plurinationaux une rotation régulière, mais de manière à assurer une présence ininterrompue d’une brigade entière, ce qui n’était pas le cas jusqu’ici. Ce sera aussi un retour en Europe des chars de combat américains dont les derniers exemplaires avaient quitté le continent en avril 2013. La rotation des forces est un moyen de contourner l’accord OTAN- Russie de 1997 qui interdit la présence de forces permanentes de l’OTAN dans les pays anciennement occupés par la Russie soviétique. À noter que si des pays comme l’Allemagne et les États-Unis considèrent que cet accord de 1997 s’applique encore (même s’il est « contourné »), la Pologne milite pour qu’il soit considéré comme caduc dans la mesure où la Russie, en annexant la Crimée en 2014, a elle-même violé un autre accord international par lequel elle avait garanti en 1994 l’intégralité territoriale de l’Ukraine en échange de l’abandon par ce pays, au profit de la Russie, des arsenaux nucléaires hérités de l’URSS (en vertu du mémorandum de Budapest, l’indépendance et la souveraineté de l’Ukraine dans ses frontières de 1994 étaient garanties par la Russie, les États-Unis, le Royaume-Uni, la Chine et la France).
Lors du sommet de l’OTAN à Varsovie, le président américain Barack Obama a aussi annoncé que le commandement de la brigade blindée américaine serait localisé en Pologne. Une brigade plurinationale sera en outre déployée en Roumanie et en Bulgarie, et la présence navale de l’OTAN sera renforcée en mer Baltique et en mer Noire.
Pour l’OTAN, il ne s’agit pas d’isoler la Russie mais de lui adresser un signal clair tout en rassurant les États du flanc oriental de l’Alliance. C’est le sens des propos tenus par des personnalités aussi diverses que le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg et le premier ministre hongrois Viktor Orbán. Pour Varsovie, la dimension historique tient aussi au fait que pour la première fois depuis la chute de l’empire soviétique les décisions de l’OTAN concernant les ex-pays de l’Est ont été prises sans demander l’avis du Kremlin. Parallèlement, les discussions avec Moscou se poursuivent puisqu’un sommet Russie-OTAN est prévu pour le 13 juillet.
La Pologne, satisfaite des décisions prises pour le flanc oriental de l’Alliance, avait annoncé quelques semaines avant le sommet de Varsovie son intention de participer à la défense du flanc sud et notamment à la lutte contre l’État islamique en détachant en Irak et au Koweït 200 hommes et quatre avions F-16 pour des missions d’observation et d’entraînement des unités irakiennes. Varsovie souhaite aussi intensifier son effort militaire pour ne pas avoir à compter que sur ses alliés, en se fixant comme objectif de faire passer son investissement dans la défense de moins de 2 % du PIB aujourd’hui à 2 % à court terme puis à 3 % dans le long terme. A titre de comparaison, la Russie, qui a une économie valant environ quatre fois celle de la Pologne, consacre près de 4,5 % de son PIB à son outil militaire.