Par Miloš Milojević.
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L’élection législative au Monténégro était déjà terminé lorsque les bureaux de vote ont fermé le soir du dimanche 16 octobre. Les résultats préliminaires qui ont été rapidement publiés ont montré ce que la plupart des gens attendaient : le Parti démocratique socialiste a remporté la majorité des voix (41,42%), tandis que les principaux partis de l’opposition ont obtenu un nombre similaire de votes – le front démocratique dirigée par Andrija Mandić a obtenu 20,27%, la coalition Ključ dirigée par le modéré Miodrag Lekić a obtenu 11,06%, le Monténégro démocratique dirigé par Aleksa Bečić a obtenu 9,99%, le Parti social-démocrate de Ranko Krivokapić, nationaliste radical et ancien proche collaborateur de Milo Đukanović, a obtenu 5,23% et les sociaux-démocrates 3,26%. Et quelques sièges dans l’assemblée vont à des minorités: Bosniaques, Albanais et Croates.
Lorsque nous convertissons ces résultats en sièges parlementaires, il est clair que la crise politique spécifique au Monténégro est loin d’être résolue. En outre, il est clair que différentes coalitions post-électorales sont possibles. En effet, le parti de Đukanović qui avait la majorité dans l’assemblée précédente a obtenu 36 des 81 sièges et ne sera pas en mesure de créer un nouveau gouvernement. Cependant, Milo Đukanović a proclamé sa victoire, peu après les premiers résultats des votes et a rajouté que la création du nouveau gouvernement est assurée. Il y a des spéculations dans certains médias comme quoi le nouveau candidat pour le poste de premier ministre est Duško Marković, haut fonctionnaire du parti et vice-président du précédent gouvernement du Monténégro. Il est également intéressant que, peu après minuit, le chef de file de l’opposition Andrija Mandić a également proclamé la victoire l’opposition ayant récolté 41 des 81 sièges. Strictement parlant, d’un point de vue arithmétique, cela est vrai, mais nous devons prendre en compte que l’opposition au Monténégro n’est pas monolithique et qu’il y a des désaccords profonds sur des questions fondamentales, y compris la question de l’orientation stratégique de la politique étrangère de l’État.
Lorsque l’on regarde les résultats de cette élection – pourcentages des votes et sièges à l’assemblée – il semble que l’élection au Monténégro soit très habituelle, tout à fait prévisible et rien de plus qu’une procédure politique lambda. Cela est loin de la vérité. La situation n’est pas si simple quand on prend du recul et observe avec un plus grand angle. Une donnée qui attire l’attention est la relativement forte participation – plus de 70% des électeurs inscrits. Les premiers commentaires êstiment que cette tendance a donné un certain avantage à l’opposition. Mais à la fin de la journée, il était clair que les résultats des votes étaient conformes aux précédentes anticipations sans grands changements par rapport à l’élection précédente. Il semble que les électeurs monténégrins aiment tout simplement voter.
Si nous mettons de côté les résultats et les combinaisons post-électorales possibles, il est à souligner que l’élection a été marquée par de nombreux incidents qui font douter de sa légitimité. Comme d’habitude, des accusations fusent pour accuser qui le parti au pouvoir, qui l’opposition, d’avoir cherché à soudoyer des électeurs. Ces accusations reviennent après chaque élection et elles sont à vrai dire très probablement bien fondées. Dans une petite ville de Rožaje, avec une majorité musulmane, il y a eu des affrontements dans les bureaux de vote. Cependant, cet incident n’est pas particulièrement étrange dans le contexte des circonstances politiques locales.
Pendant ce temps, un événement d’une bien plus grande importance a attiré l’attention du public. La police monténégrine a arrêté vingt citoyens serbes. Le gouvernement monténégrin a accusé ces gens d’avoir prévu des attaques terroristes. L’enquête et la procédure juridique sont toujours en cours et il est difficile de prévoir l’issue de cette affaire. Que savons-nous de tout cela? Le dimanche 16 octobre, en début d’après-midi, le directeur de la police monténégrine Slavko Stojanović a annoncé que vingt citoyens de la République de Serbie ont été arrêtés et accusés de terrorisme. Selon cette source, ils avaient prévu des actions violentes à la suite de l’élection, puis d’enlever le premier ministre monténégrin.
Parmi eux se trouvait Bratislav Dikić, ancien commandant de la Gendarmerie, police serbe spécialisée dans les actions anti-terroristes qui est connue comme une formation armée honorable dans les Balkans. Dikić est une figure très controversée. Les médias l’ont lié à la corruption et à certaines activités criminelles et il y a des preuves solides que lui et son unité auraient forcé des Serbes à participer à l’élection organisée par le gouvernement de Priština (soit la République du Kosovo). La réputation de Dikić et plus largement la réputation de la Gendarmerie ont été gravement dégradées auprès des Serbes politiquement de droite et il est considéré comme un homme de confiance du premier ministre serbe Aleksandar Vučić, et capable d’exécuter ces opérations.
Cette étrange événement s’est avéré être un terrain fertile pour des spéculations sur le caractère réel de ces soi-disant attaques terroristes planifiées. Les médias biaisés en faveur de Đukanović ont écrit au sujet d’un coup d’État. Informer, journal monténégrin et spin-off de l’infâme tabloïd belgradois, a publié un papier affirmant que derrière ces opérations se trouve Nebojša Medojević, l’un des leaders de l’opposition. Officieusement, certains médias et politiciens libéraux de Belgrade ont déclaré – sans aucune preuve – que ce fut une opération spéciale organisée par les services de renseignement russes main dans la main avec l’opposition monténégrine et avec l’approbation silencieuse du gouvernement serbe.
Pendant ce temps, l’opposition a affirmé que c’était une opération sous faux drapeau afin de semer la peur avec l’intention de détourner l’attention du processus électoral et de renforcer les positions politiques de Đukanović au dernier moment. La proximité des régimes de Belgrade et de Podgorica et de la participation antérieure de Dikić dans des opérations similaires donne un certain poids à cette hypothèse. L’un des membres du Front démocratique Marko Milačić a révélé que ce que l’on appelle les terroristes ont été arrêtés sans l’utilisation de menottes. Selon ses dires, cela indique que l’affaire entière est juste une opération sous faux drapeau, une mauvaise farce d’un étrange type de marketing politique. Si nous mettons de côté les personnages encore inconnus de cet événement, il est presque certain qu’il avait aidé le Parti démocratique socialiste à gagner quelques pourcentages supplémentaires d’intentions de votes et a renforcé sa position politique. L’opposition a d’ailleurs essayé d’utiliser cette situation pour remettre en cause la légitimité des résultats du vote du fait que l’élection ait été effectuée le même jour que la soit-disant tentative de coup d’État. Est-ce que ce mouvement de dirigeants de l’opposition va amener une nouvelle crise politique? Ceci est encore très incertain. Un des leaders de l’opposition, Nebojša Medojević, a brièvement commenté sur son compte Twitter que les partis d’opposition négocient encore une position commune.
Si l’opposition accepte les résultats du vote et avec des accords post-électoraux habituels, il est presque certain qu’il n’y aura pas de changement majeur dans la politique monténégrine. Daniel Server, professeur à l’Université John Hopkins, a commenté avec une sorte d’excitation ces élections comme étant un indicateur d’un fort soutien pour l’orientation euro-atlantique du gouvernement monténégrin. La Russie a perdu – a conclu Server dans un esprit de rhétorique de guerre froide propre aux faucons américains. En fait, d’un point de vue symbolique Server est sans doute dans le vrai : l’appropriation des élites politiques monténégrines pour intégrer le pays dans l’OTAN assurera leur survie politique et pour leurs protecteurs occidentaux, cela donnera une sorte de victoire symbolique à défaut d’être stratégique.
Pour les deux parties, ce n’est donc pas une mauvaise affaire. Les dommages collatéraux – concernant l’ordre démocratique et la chance de renverser un régime semi-criminel post-communiste – pour les États occidentaux susmentionnés ne sont pas d’un intérêt particulier. La portée morale de l’élection monténégrine n’est probablement pas très importante à leurs yeux. Les représentants de l’élite politique libérale-libertaire de Belgrade se sont précipité de féliciter la victoire de Milo Đukanović après l’élection. Vu dans un contexte plus large, il est clair que cette alliance des élites partagent une seule valeur fondamentale : la loyauté incontestable à l’ordre euro-atlantique.