Autriche – Entretien avec Norbert G. Hofer, membre du FPÖ, parti national-libéral d’Autriche : « Le FPÖ devrait être le premier parti aux prochaines élections. […] Si nous parvenons à gouverner, il y aura également un contact très rapproché avec les États du Visegrád. » Candidat sortant au deuxième tour des élections présidentielles autrichiennes en 2016, Norbert Hofer a reçu le Visegrád Post dans son bureau du parlement autrichien.
Nous avons parlé des États-Unis, de la Russie, de la Chine, d’énergie, de l’empire des Habsbourg ou encore de l’Ordre de Saint-Georges.
Entretien réalisé à Vienne le 3 février 2017 par Ferenc Almássy.
Ferenc Almássy : L’actualité me pousse à commencer par cette question. Donald Trump est désormais président des États-Unis. S’il applique ce qu’il a promis, et cela semble bien parti pour, les États-Unis devraient s’orienter vers plus d’isolationnisme, mais aussi vers une coopération en bonne intelligence avec la Russie. Quelles conséquences pour l’Europe, en particulier centrale ? Et qu’espérez-vous, ou craignez-vous, pour l’Autriche ?
Norbert Hofer : Je ne pense pas que les États-Unis s’isoleront. Mais je crois qu’ils feront tout ce qui est en leur pouvoir pour ramener la production chez eux, car cela est sensé assurer les emplois aux États-Unis. Et je crois que l’Europe doit réagir en conséquence, car elle ne fait pas tout ce qu’elle peut pour devenir de nouveau forte économiquement. Rappelons-nous de ce que voulaient les pères fondateurs – Charles de Gaulle et Adenauer – que devienne cette Union, cette communauté européenne, c’est-à-dire des États coopérant fortement sur le plan économique, afin de travailler ensemble à une compréhension mutuelle et éviter de mener des guerres les uns contre les autres.
Aujourd’hui, l’Europe doit réagir et essayer également de ramener la production en Europe. De plus en plus d’entreprises quittent notre continent, s’en vont ailleurs ; mais les gens doivent vivre de quelque chose, et il serait sage de produire ici et non dans des pays ayant des exigences écologiques et sociales moindres.
L’idée de produire là où les biens sont nécessaires est, de mon point de vue, la bonne voie à suivre, et l’Europe doit se concentrer là-dessus, en toute amitié avec les États-Unis, la Russie et la Chine. Mais les États représentent des intérêts et l’Union européenne aussi doit représenter des intérêts, en l’occurrence les intérêts de l’économie domestique, des travailleurs européens et des consommateurs qui vivent ici. Nous devons porter attention à cela.
FA : Dans ce contexte de détente probable entre les USA et la Russie, que va-t-il en être selon vous de la crise ukrainienne ? Comment voyez-vous ce conflit ? Est-ce que l’Autriche, pays neutre, hors de l’OTAN mais membre de l’UE, et entretenant des relations relativement bonnes avec la Russie pourrait jouer un rôle pour ramener la paix dans ce pays liant la Russie et l’Europe centrale, dont fait partie l’Autriche ?
Norbert Hofer : C’est en effet un grand avantage pour notre pays que d’être neutre. Cela résulte de l’histoire de notre pays. Nous avons de la chance d’être neutre et c’est un avantage pour l’Europe qu’il y ait un tel pays en son sein, car nous pourrions être un hôte pour des négociations de paix, et je crois que cela marcherait très bien pour nous.
J’aurais aimé organiser ces discussions pour la paix si j’étais devenu président. J’espère que lorsque je le serai dans quelques années, ce conflit ukrainien sera déjà terminé. Mais d’autres conflits auront alors lieu dans le monde…
Cette tradition en Autriche a commencé avec le chancelier fédéral toujours bien connu des Autrichiens, Bruno Kreisky. Il avait commencé à inviter des chefs d’États, dont des dictateurs, en Autriche, et a essayé de construire ici un dialogue. C’était une bonne voie. Donc je pense que l’Autriche se doit d’en faire plus en ce sens, et ce serait un avantage pour l’Union européenne.
FA : L’Europe centrale, au delà même du V4, vit une renaissance, et semble se prendre en main. Il y a notamment un projet ambitieux de développer un axe énergétique nord-sud de la Croatie à la Pologne. Que pensez-vous de ce projet ? Quels enjeux pour l’Autriche ? Devrait-elle se joindre à celui-ci ?
Norbert Hofer : C’est vrai que du fait de l’Histoire, il est plus facile pour les pays d’Europe centrale de coopérer entre eux. Si vous visitez les capitales d’Europe centrale, et regardez les anciens bâtiments, vous croirez qu’une poignée d’architecte les a tous dessinés. Tout est très similaire, tout comme est très similaire l’idée culturelle commune : nous sommes tous fortement influencés par les valeurs du christianisme, même ceux qui ne sont pas chrétiens, et ces valeurs sont toujours là.
Et si l’on parle de la question de l’énergie, je pense que l’Europe devrait coopérer davantage dans certains domaines et moins dans d’autres. Par exemple, je m’interroge sur la nécessité d’avoir une politique agricole commune. Les États membres sont mieux à même de gérer cela seuls.
Cependant, sur des questions de sécurité, d’économie ou d’énergie nous devons coopérer plus fortement. Il est donc sage de trouver des moyens de rendre ces coopérations possible, en particulier pour ce qui est de l’infrastructure, ce qui signifie par exemple que dans le futur nous devrons trouver le moyen de pouvoir compter sur les énergies renouvelables. Car nous savons, bien sûr, que si aujourd’hui les sources d’énergie fossile sont massivement exploitées, il nous faudra nous assurer d’autres sources d’énergie à l’avenir.
Et, ici aussi, je vois de grandes opportunités pour l’Europe d’être un pionnier en la matière. Donc, l’approvisionnement énergétique et les infrastructures liées à l’énergie sont importantes pour nous, car là aussi nous ne pouvons pas simplement nous reposer sur les États-Unis pour nous fournir ce dont nous avons besoin, ni attendre que la Russie nous le fournisse toujours. Nous devrions plutôt compter sur nos propres ressources.
FA : En parlant d’Europe centrale, il y a un nouvel acteur de plus en plus présent dans la région, c’est la Chine. Comment voyez-vous son implication régionale ? Que pensez-vous du canal Elbe-Oder-Danube et des autres projets d’infrastructures liés à la Nouvelle Route de la Soie ?
Norbert Hofer : Je pense que le canal Elbe-Oder-Danube est un projet intéressant. En ce qui concerne la Chine, il est très important à mes yeux de coopérer étroitement avec. J’ai rencontré l’ambassadeur de Chine. La Chine est désireuse d’investir en Europe, mais nous devons cependant nous assurer qu’il n’y ait pas de braderie économique de l’Europe, car la Chine, bien entendu, recherche des biens à acheter.
C’est là que nous devons trouver un équilibre entre accueillir l’investissement de la Chine d’une part, et toujours peser le pour et le contre des projets annoncés – ce n’est pas chose aisée que de trouver la bonne décision pour les grands projets, mais les projets intéressants doivent être bien évalués. Mais le plus important pour moi est d’éviter toute braderie des biens européens.
Aujourd’hui, cela m’inquiète de voir qu’où que l’on aille faire des achats – même si vous allez dans la boutique d’une grande chaîne suédoise spécialisée en meubles – vous ne voyez que des produits qui viennent de Chine, et je suis navré de le constater car je préférerais que la production se fasse ici en Europe. Même avec la participation chinoise au travers d’entreprises communes. Mais le fait que nous produisons de moins en moins ici en Europe est une erreur et c’est pourquoi nous devons réussir un grand changement en la matière.
FA : À propos d’infrastructure, avez-vous entendu parler du projet d’hyperloop reliant Vienne, Bratislava et Budapest, mais aussi Bratislava à Brno et Prague ? Qu’en pensez-vous ?
Norbert Hofer : J’ai entendu parlé de ce projet, oui, et je pense que c’est très intéressant car c’est précisément dans cette région que la connexion des capitales serait d’un grand intérêt pour l’économie. J’ai toujours dit que nous devrions avoir des projets similaires en Autriche. Je suis donc vraiment enthousiaste à propos des retombées de ce projet.
FA : Revenons un peu à l’Autriche. Après votre défaite assez serrée à l’élection présidentielle, quel avenir pour le FPÖ ? Comment voyez-vous les prochaines élections à venir ? Si le FPÖ est en tête, envisagez-vous la possibilité de former une coalition avec d’autres partis ?
Norbert Hofer : Je pense que le FPÖ va croître très très fortement d’ici la prochaine élection parlementaire [ndlr : en 2018] et il est fort probable que ce soit le premier parti. Bien sûr nous n’accéderons aux fonctions gouvernementales qu’en coalition avec un autre parti [ndlr : en raison du mode de scrutin proportionnel intégral, il n’y a jamais eu en Autriche de gouvernement d’un seul parti, mais toujours des gouvernements de coalition]. Mon expérience me permet de dire qu’en politique, une fois les élections passées, les gens portent souvent un regard différent sur les choses. Je suis intimement convaincu que les autres partis seront ouverts au dialogue avec le gagnant car une chose sera claire : une coalition de perdant est exactement ce que les gens ne veulent pas.
Mais les élections doivent être d’abord gagnées. Il ne faut pas être arrogant et croire que tout est déjà acquis. Nous devons travailler très dur pour atteindre cet objectif, nous devons être très cohérent au regard de notre projet. Et si nous parvenons à gouverner, il y aura également un contact très rapproché avec les États du Visegrád, une bien meilleure compréhension de leurs problèmes, et il n’y aura plus de critiques injustifiées de la part de l’Autriche, comme cela a malheureusement existé durant les dernières années. Ici, beaucoup de choses changeront pour le mieux.
FA : Dans le contexte d’une Europe centrale renaissante, comment voyez-vous le rôle de l’héritage commun de l’Empire d’Autriche ?
Norbert Hofer : Nous avons une histoire commune et cela rend plus aisé de construire un futur commun. Parce que l’on se comprend, tout simplement, parce que l’on comprend mieux l’âme de l’autre pays, parce que nos ancêtres ont cohabité plus ou moins pacifiquement…
Bien sûr, nous vivons des temps bien différents aujourd’hui. Personne ne dit qu’il faut réinstaurer la monarchie, mais je défend fortement le principe de voir les pays d’Europe centrale de nouveau très proches les uns des autres grâce au cadre d’une coopération fructueuse.
FA : Vous êtes connu aussi pour être un chevalier d’honneur de l’Ordre européen de Saint-Georges – un ordre de la maison de Habsbourg-Lorraine. Dans un passé récent, l’Ordre, en tant qu’instrument à croissance rapide d’une société civile politique chrétienne, a insisté à maintes reprises pour que les États d’Europe centrale se rapprochent dans le but d’avoir une voix forte au sein de l’UE et pour faire avancer sa réforme urgente. Qu’en pensez-vous?
Norbert Hofer : Mes vues et objectifs politiques coïncident avec ceux de mon Ordre. L’Ordre de Saint-Georges croît à grand vitesse, justement parce qu’il est le représentant des bonnes positions pour l’Europe, pour l’Europe centrale et pour les pays formés par le christianisme. Quand je dis pays formés par le christianisme, je ne dis pas que tout citoyen de ces pays doit être chrétien – pas du tout. Nous avons des États où existe une liberté religieuse et chacun vit comme il l’entend, mais nous sommes façonnés par le christianisme.
C’est notre histoire, ce sont nos valeurs, c’est ce qui est important pour nous et c’est ce qui nous donne la possibilité de distinguer le bien du mal. Mais il n’en est pas toujours ainsi. Lorsque je regarde ces derniers mois, je ressens que des gens viennent en Europe sans vraiment être conscient de ce qui est bien et de ce qui est mal.
C’est pourquoi je suis ravi que l’Ordre me soutienne et c’est pourquoi je le soutiens également, et je suis convaincu que cet Ordre sera dans quelques décennies un réseau très important capable de faire beaucoup pour la paix. Déjà maintenant, l’Ordre fait beaucoup, et il est en croissance constante. J’ai du mal à imaginer à quel point l’Ordre sera grand et influent dans dix ou vingt ans !