Par Ferenc Almássy.
Union européenne – Une étape semble avoir été franchie, et certains signes peuvent faire craindre une nouvelle fracture continentale, amenant cette fois-ci la fin de l’Union européenne. Désignés coupables, la Pologne et la Hongrie. Mais qu’en est-il vraiment ?
Viktor Orbán est populiste. Il mobilise ses troupes pour s’attaquer ouvertement à Bruxelles. Il combat le libéralisme des mœurs. Et comme si cela ne suffisait pas, les Polonais se mettent à en faire de même.
Bingo ! Les grands méchants, c’est vendeur et ça permet de souder son public. Les « pays de l’Est avec des quasi-dictateurs nationalistes et autoritaires », ça fait peur, pas vrai ? De toute façon, qui connaît ces pays ? Quel rayonnement culturel et médiatique ont-ils aujourd’hui ?
Jouer sur les peurs, en particulier en période de crise, est une technique éprouvée. Cela ressert les rangs, par réflexe grégaire et mécanisme de défense. Beaucoup le font, bien entendu, de bonne foi et naïvement : la plupart des journalistes ne sont que de mauvais pigistes qui ne voient pas encore venir le jour pourtant proche où des robots virtuels les remplaceront. Mais certains autres connaissent bien l’Europe centrale, et savent exactement ce que fait Orbán ; ces agents et ces idéologues sont ceux qui déterminent, pour toute la presse occidentale mainstream, la ligne officielle.
Ouest contre Est, Optimates contre Populares
Dire que Viktor Orbán et Jaroslav Kaczynski sont populistes, c’est vrai. Mais un glissement sémantique s’est opéré à l’Ouest, là où en Europe centrale, on est loin du compte. Populiste, pour un public occidental, cela signifie encore extrémiste, c’est un mot-clef dont on use pour déclencher un réflexe pavlovien de défiance et d’angoisse. Le populiste est vu comme un gourou, comme un échappé des années 30, c’est le fantôme d’un conte pour adultes.
Lorsqu’Orbán incite ses collègues du PPE à ne pas avoir peur d’être qualifiés de populistes – même s’il a nié l’être devant eux -, il rappelle que leur parti européen s’appelle le Parti populaire européen. Il fait appel à l’étymon peuple auquel se rattache le populisme : être populiste, dans la bouche de l’homme fort de Budapest, c’est être du parti du peuple.
Mais auprès de nos Optimates européens, cela ne passe pas. La montée en puissance des nouveaux Populares de l’ancien « bloc de l’Est » les inquiète personnellement. Ces nouveaux citoyens européens, qui entendent bien jouir de leurs droits au même titres que leurs grands frères de l’Ouest, ne se laisseront pas intimider ni traiter en citoyens de seconde zone. Ils sortent de 45 ans de tutelle soviétique, et ceux au pouvoir en Europe centrale sont ceux qui à 25 ans ont demandé publiquement de partir aux troupes soviétiques, ces mêmes troupes qui donnaient tant de sueurs froides aux oligarques de l’Ouest. Ils ne se laisseront pas flouer par lesdits oligarques, Optimates jaloux de leurs avoirs et de leur pouvoir.
L’extension vers l’Est de l’UE semblait un bon plan économique. Ça l’a été, et l’est encore même à l’heure actuelle. Sauf que les temps ont changé et nos Populares, nos populistes centre-européens, ont compris la faiblesse de Bruxelles, avatar du fédéralisme à venir et de l’hégémonie politico-économique d’une Allemagne libérale-libertaire, soumise aux Etats-Unis.
Orbán et Kaczyński, et dans une moindre mesure également Fico, voire Sobotka, sont des Européens convaincus. Des hommes qui ont souscrit au projet de l’Union européenne. Jamais ils n’ont parlé de détruire l’UE. Ce qu’ils veulent, c’est une union de pays européens reposant, comme le groupe de Visegrád renaissant, sur une entente consentie et non un fédéralisme mené par des mondialistes dédaignant la volonté des peuples d’Europe.
Les dirigeants actuels de l’Europe centrale sont pour ainsi dire les seuls dirigeants pro-Europe. Et c’est aussi pour cela qu’ils ne céderont pas. D’autant plus qu’en bon Populares, ils s’appuient sur la force tellurique de la volonté des peuples, là où en face d’eux, les très puissantes élites oligarchiques de l’Ouest, nos Optimates, paniquent à la vue de leur perte de contrôle.
Brexit, Trump, Poutine, opposition aux migrants, euroscepticisme, quasi-victoire du FPÖ en Autriche et montée du radicalisme politique qui, comme une lame de fond, emportera tout si rien n’est fait, les moins de 30 ans de la plupart des pays européens soutenant leur parti populiste local… les Optimates voient leurs projets mis à mal par une réaction de plus en plus intense au fur et à mesure que leur pouvoir s’étiole.
Ils s’accrochent donc avec encore plus de hargne à leurs derniers instruments. Ainsi la presse va attaquer de plus belle Orbán, celui-là même qui veut une Europe se rapprochant bien plus du projet initial de l’UE que ne le veulent les Occidentaux avec leur Europe fédérale, aux institutions centrales et non-élues. Les maîtres de l’UE veulent la changer, Orbán veut la régénérer et la garder : par un procédé courant d’inversion accusatoire, ils font donc d’Orbán celui qui menace l’UE.
Voilà donc les apparatchiks de l’UE, nos Optimates modernes, qui hurlent au danger du populiste Orbán, qui menacerait l’UE… avant de menacer d’expulser la Hongrie et la Pologne de l’UE. Or voilà une bien vaine menace, la Hongrie et la Pologne ayant été intégrées à l’UE pour satisfaire l’Allemagne, véritable patron de l’UE, et en manque de Mitteleuropa. Hors de question donc que cela n’arrive.
En revanche, expulser le Fidesz d’Orbán du PPE est autrement plus plausible. Cela enlèverait à Orbán un atout à l’échelle de l’Union. Mais par voie de conséquence, cela lui donnerait aussi l’occasion de se poser en victime et d’aller encore plus loin dans un combat qu’il ne lâchera pas. Il a le cuir plus solide que les autocrates à la Juncker.
L’UE s’autodétruit
L’UE se met donc elle-même en danger, ses élites attisant les tensions et tentant, par la force – du seul verbe, là où les tanks soviétiques n’avaient pas suffi… – de faire plier les Populares de notre époque, qui eux n’attendent que ça pour renforcer leur posture d’altereuropéens bien décidés, champions de la volonté des peuples, et lancer une vraie fronde contre ces élites de plus en plus décriées.
Nous vivons aujourd’hui les dernières années de l’Union européenne telle que nous la connaissons. Les projets antinomiques des oligarques de l’Ouest et des populistes de l’Est ne pourront cohabiter. Les premiers défendent leurs privilèges et leur idéologie, les deuxièmes conquièrent avec avidité leur liberté, qu’ils pensent pouvoir enfin recouvrir après de trop nombreuses décennies de dominations étrangères. Personne ne lâchera diplomatiquement. Et l’un finira par l’emporter sur l’autre. Ou alors l’UE éclatera.