Par Modeste Schwartz.
Olguța Vasilescu met en garde les multinationales
Genèse et perspectives d’un possible « virage social-patriote » en Roumanie
Roumanie – Actuellement maire de Craiova (Olténie) sous les couleurs du Parti Social Démocrate (PSD) et ministre du travail, de la famille et de la protection sociale du gouvernement Grindeanu (PSD/ALDE), à 43 ans, Olguța Vasilescu, dans un contexte de féminisation croissante des élites politiques européennes, pourrait bien incarner la version roumaine du nouveau paradigme social/eurosceptique incarné ailleurs par des femmes comme Marine Le Pen ou Sarah Wagenknecht. Elle-même oltène (l’Olténie étant une sorte de « massif central » roumain, dont la population, assez pauvre, est ethniquement la plus homogène de tout le pays), cette femme encore jeune, d’une beauté et d’une élégance typiquement roumaine n’a – c’est le moins qu’on puisse dire – pas froid aux yeux. En tant que ministre du travail, son nom est étroitement associé aux hausses de salaire drastiques dont a récemment bénéficié la fonction publique roumaine, dans le cadre d’une politique hétérodoxe de relance par la demande, qui fait littéralement hurler les « élites » néo-libérales roumaines et européennes.
Membre du Parti de la Grande Roumanie jusque fin 2007, elle quitte alors ce parti nationaliste, alors en perte de vitesse. Près de vingt ans après l’assassinat du couple Ceaușescu, ce parti de protestation, sans réel programme autre qu’un certain chauvinisme (dont la minorité hongroise faisait souvent les frais) et la nostalgie du national-communisme de N. Ceaușescu, sclérosé par son manque d’adaptation aux nouvelles réalités socio-culturelles et géopolitiques de l’Europe centrale, souffrait aussi de la trop grande emprise qu’y exerçait son président-fondateur, le très charismatique, et assez dictatorial C. Vadim Tudor (mort en 2015). Poète cultivé et bon orateur (comparable par bien des aspects à son symétrique hongrois, le dramaturge et tribun nationaliste I. Csurka, mort peu de temps avant), mais usé par les scandales, C. Vadim Tudor avait laissé le nationalisme roumain se transformer en folklore générationnel, prisonnier d’une base électorale de retraités (à bon droit) nostalgiques de la période 1970-1989 (probablement la seule période d’indépendance réelle et d’ascension sociale massive qu’ait connu la Roumanie moderne), et donc apparemment condamné à suivre cette base dans la tombe.
Elle rejoint donc, fin 2007, l’autre parti-héritier de l’époque Ceaușescu : le Parti Social Démocrate, qui dans la Roumanie actuelle représente à la fois une gauche sociale et une droite identitaire, face à la nébuleuse des partis nominalement de « droite » – qui ne le sont en réalité que par leur programme néo-libéral de casse sociale éhontée et leur adhésion (fort peu nationaliste) aux dogmes géopolitiques de la mondialisation néo-con (UE, OTAN). Grand parti gestionnaire à faible marquage idéologique, le PSD rassemble une aile gauchiste/mondialiste (bien incarnée par l’euro-parlementaire et commissaire européenne Corina Crețu – autre candidate, moins brillante, au rôle de « nouvelle grande dame » de la politique roumaine), un centre gestionnaire/technocrate (aussi marqué par d’inévitables tendances affairistes) et une droite nationale/sociale dont Olguța Vasilescu, jamais avare de déclarations-choc sur les réseaux sociaux, prend assez clairement la tête depuis quelques mois. Alors même que les caciques du PSD (et notamment son président L. Dragnea) sont la cible privilégiée des tentatives de maïdan orchestrées par l’Occident et ses réseaux locaux, ce ventre mou du PSD tend à encaisser stoïquement les crochets de la « société civile » d’obédience Soros, tandis que les ripostes les plus cinglantes – et notamment les propos eurosceptiques – viennent d’une part de l’aile nationale/sociale incarnée par Olguța Vasilescu, d’autre part des alliés de gouvernement minoritaires du PSD, le parti nominalement « libéral » ALDE (qui rassemble les éléments de la véritable droite roumaine que les réseaux néo-con de la présidence Johannis n’ont pas pu, ou pas voulu intégrer), généralement par la voix de son président, l’ex-premier ministre Tăriceanu (qui s’est récemment déclaré « déçu » par l’UE, et a salué le BREXIT comme un « acte de courage » – suscitant aussitôt l’indignation hystérique de tout le spectre mondialiste roumain, de la gauche libérale-libertaire sur fonds Soros aux réseaux néo-nazis plus discrètement affiliés à l’OTAN via la filière russophobe).
C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la dernière bombe rhétorique jetée par Mme Vasilescu, déclarant récemment que « les multinationales doivent comprendre que les Roumains ne sont les esclaves de personne, et qu’ils ont eux aussi droit à des salaires décents ». Il faut saluer l’habileté avec laquelle cette déclaration, apparemment brouillonne, combine de vieux thèmes rhétoriques de l’émancipation nationale roumaine (notamment en Transylvanie contre le joug austro-hongrois) avec un positionnement plus réaliste au regard des inféodations de facto qui pèsent aujourd’hui sur la population roumaine (réduite à l’émigration et au salariat précaire par des structures de domination néocoloniales qui ne sont certainement pas contrôlées par des hongrois, des russes ou des bulgares…).
Cette évolution prometteuse peut être le résultat d’une analyse sur fonds neufs et d’une prise de conscience sincère, mais aussi d’une nécessité stratégique : l’une des tentatives récentes (2015-2017) de réinstaller le nationalisme ethnique sur la scène de la politique institutionnelle roumaine (devenue un « paysage après bataille » depuis la chute de T. Băsescu) avait justement été le fait de l’aile nationaliste du PSD (alors principalement dominée par l’ex-premier ministre V. Ponta), agissant en coordination avec une aile nostalgique de la police politique (SRI), incarnée par « l’homme d’affaires » S. Ghiță (aujourd’hui en fuite en Serbie) ; ensemble, ils avaient porté sur les fonts baptismaux le Parti de la Roumanie Unie (PRU), petit parti start-up cherchant à capitaliser sur la haine des minorités, des voisins de la Roumanie et de la Russie. L’échec électoral cinglant du PRU (aujourd’hui pratiquement dissous) en décembre 2016 (alors même que le PSD « mainstream » remportait une victoire historique sur la « droite » roumaine) a pu démontrer aux derniers nostalgiques du régime Ceaușescu que le peuple roumain, même s’il regrette (à bon droit) l’indépendance politico-économique et le début de prospérité qu’il a connus pendant les premières années de l’ère Ceaușescu (et dont l’a par la suite dépouillé l’Empire occidental), n’est pas pour autant disposé à renouveler les erreurs de ce régime – à commencer par son évolution chauviniste des années 1980, lorsque le dictateur, contraint par le FMI (déjà lui !) à une politique d’austérité, avait cru pouvoir « faire passer la pilule » en déviant le mécontentement populaire vers le bouc-émissaire idéal que fournissent les minorités ethniques.
Mais, quelle que soit la genèse de ce virage intéressant, on peut se demander combien de temps la souplesse toute balkanique du PSD résistera au grand écart entre mondialisme de gauche (Corina Crețu) et social-patriotisme (Olguța Vasilescu). Si le PSD ne se purge pas à temps de ses éléments antinationaux, la popularité croissante de cette dernière ne l’obligera-t-elle pas tôt ou tard (sous peine de finir par apparaître comme l’alibi patriote d’un parti de soumission) à quitter le PSD ? Si un tel éclatement devait se produire, il est plus que probable que les débris « présentables » du PSD qui refuseraient de suivre Olguța Vasilescu subiraient, volens nolens, une OPA amicale de l’USR (sorte de En Marche roumain rassemblant des mondialistes et sorosites de toutes tendances autour d’un projet « technocratique » de soumission accélérée à l’UE). La principale question restante serait alors celle de la possibilité d’une jonction entre éléments patriotes du PSD (ayant pris le contrôle du parti ou s’étant rassemblés en-dehors de lui, autour d’Olguța Vasilescu) et patriotes de droite de l’ALDE (jonction qui impliquerait le dépassement de tabous historiques et sociologiques, étant donné qu’ALDE, issu de feu le Parti Libéral, se réclame de la mémoire des partis nationaux d’avant-guerre et de la résistance anti-communiste, et s’appuie sur un encadrement « bourgeois », urbain, souvent lié à la maçonnerie de droite).
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le remarquer, acquise en Hongrie sous Orbán et en Serbie autour de Vučić, la cristallisation d’un grand parti de centre patriotique capable d’assumer la reconstruction nationale sur les ruines laissées par les présidences Băsescu et Johannis (sortes « d’années Eltsine » à la roumaine), en résistant à l’UE mourante sans pour autant sombrer dans l’anarchie ou succomber à d’autres vassalités, prend du retard en Roumanie, du fait, notamment, de l’absence d’un homme fort capable d’incarner la réconciliation nationale autour d’un projet collectif modéré. Mais peut-être n’a-t-on pas suffisamment tenu compte jusqu’ici de la possibilité que cet homme fort, en Roumanie, soit, finalement, une femme.