Par Modeste Schwartz.
Roumanie – Samedi 23 septembre, dans l’après-midi, Liviu Dragnea, chef du PSD roumain, et donc de la majorité contrôlant le gouvernement en place à Bucarest, a fait savoir, sur sa page Facebook officielle, qu’il avait eu une conversation téléphonique avec son homologue hongrois de facto Viktor Orbán. La Roumanie et la Hongrie ont connu une phase de tension suite à la fermeture par décision de justice d’une école catholique de la minorité hongroise dans la ville transylvaine de Târgu-Mureș (en hongrois : Marosvásárhely).
Il résume le contenu de cette conversation en deux points :
« 1. Nous allons nous charger de résoudre le problème du Lycée Catholique de Târgu-Mureș.
2. La Hongrie va à nouveau nous accorder son soutien en vue de l’adhésion de la Roumanie à l’OCDE. »
Le commentaire suivant ce résumé n’est pas moins intéressant ; nous en traduisons ici le début :
« J’ai expliqué que la situation de Târgu-Mureș a été créée du fait d’une sentence judiciaire et ne constitue pas une attaque à l’encontre de l’Eglise Catholique ou de la communauté hongroise [comprendre : de la minorité magyarophone de Roumanie] »
Cette conversation, et la publication de son contenu, éclairent plus d’un aspect du jeu politico-diplomatique actuel entre Budapest et les divers pouvoirs – plus ou moins autochtones – qui se partagent les institutions roumaines.
En se désolidarisant presque explicitement de la démarche du Parquet Anti-Corruption roumain (le très redouté DNA, qui a mis en examen l’ancien directeur dudit lycée catholique de langue hongroise, accusé de l’avoir fondé illégalement), L. Dragnea confirme les soupçons de ceux qui voyaient dans cette démarche du DNA – notoirement placé sous influence occidentale – une manœuvre visant à envenimer les relations roumano-hongroises, qui avaient montré un début de réchauffement après diverses initiatives de MM. Kövér et Szijjártó (du côté hongrois) et de M. Tăriceanu (du côté roumain), tendant toutes vers un rapprochement entre la Roumanie et le Groupe de Visegrád.
Quoi qu’il en soit, il est désormais acquis qu’au sein des institutions roumaines, ceux qui jouent encore la carte des tensions interethniques ne sont pas les hommes de la majorité parlementaire de L. Dragnea – en dépit de la solide réputation d’archaïsme politique que leur fabriquent jour après jours les agents d’influence de l’Occident en Roumanie –, mais ceux du président Johannis (qui accumule d’ailleurs depuis deux ans les gestes anti-hongrois, en dépit de ses propres origines minoritaires) et de ses alliés objectifs au sein du PSD (la fraction des amis de V. Ponta, vaincue lors de la récente motion de censure commanditée par Dragnea). Cette analyse, si elle devait se confirmer, projette une lumière crue sur la duplicité du camp occidentaliste roumain, qui d’une part construit systématiquement son discours antinational (à travers, notamment, ses innombrables ONG) sur le culte des minorités (y compris ethniques – comme la minorité hongroise), mais n’hésite par ailleurs pas (à travers des institutions comme le DNA, notoirement inféodé à Washington et Bruxelles/Berlin) à jeter de l’huile sur le feu des haines interethniques lorsque la Realpolitik occidentale (en l’occurrence : la crainte d’une intégration croissante de la Roumanie à une Europe centrale sous pavillon Visegrád) l’exige.
Peut-être plus intéressantes encore que celles dérivant du contenu de la conversation téléphonique sont les conclusions qu’on peut tirer de la publication immédiate de ce contenu sur la page Facebook du N° 1 du PSD. L. Dragnea, en postant ce texte, savait pertinemment qu’il s’exposerait par là à la vindicte des nationalistes ethniques roumains, y compris au sein de son propre parti (où ces derniers sont souvent aussi des agents infiltrés du Service Roumain d’Information – notoirement soumis aux services occidentaux) – laquelle, dans les commentaires de sa page, ne s’est d’ailleurs pas fait attendre. Il a donc très probablement choisi consciemment de sacrifier à l’entente roumano-hongroise en cours de solidification ses relations avec ce secteur de l’opinion (d’une importance statistique d’ailleurs douteuse, à en juger par les résultats ridicules des micro-partis nationalistes aux dernières législatives), ce qui constitue une nouveauté dans son positionnement (jusqu’ici un peu en retrait de celui, très pro-Visegrád, de son partenaire de coalition minoritaire, C. P. Tăriceanu, à la tête d’un petit parti patriote « de droite »).