Par Modeste Schwartz.
Roumanie – Désormais à l’abri – grâce au froid – de la concurrence des piqueniques champêtres et autres barbecues, la galaxie Soros de Roumanie et autres « sociétés civiles » dûment infiltrées par les services « secrets » peut maintenant reprendre sa routine révolutionnaire d’hiver, sous la forme de manifestations d’autant plus « massives » (selon la presse occidentale) qu’elles sont organisées après la tombée de la nuit. Quel dommage ! il faisait pourtant, ce dimanche, un temps superbe dans l’après-midi… Seulement voilà : de jour, il suffirait d’un drone et de quelques photographies pour démontrer au monde entier que les 5000 manifestants de Cluj étaient en réalité moins d’un millier (dont bien 500 mercenaires politiques, salariés de telle ou telle « ONG ») – ce qui, comparé au chiffre « officiel » de 5000, laisse penser qu’on peut aussi diviser au moins par quatre le chiffre de 10 000 manifestants avancé pour Bucarest. On finirait presque par prendre sérieux le slogan favori du maïdan échoué de février dernier : « de nuit, comme des voleurs ».
Tout comme la répétition générale organisée début septembre, cette inauguration de la nouvelle saison maïdanesque roumaine a donc été, quantitativement, un flop. Qualitativement, d’ailleurs, en dépit de la récente et massive recapitalisation de l’Open Society par son fondateur, le spectacle se renouvelle assez peu : des collocations de hipsters, on a ressorti les mêmes drapeaux américains et européens que l’hiver dernier, et les mêmes pancartes : « Nous vous surveillons ! » – un slogan d’une admirable sincérité, compte tenu du nombre – notoirement élevé – d’agents infiltrés du Service Roumain d’Information parmi les organisateurs. Le portier d’un hôtel situé sur le tracé de la manifestation de Cluj, assistant perplexe à la promenade nocturne de cette jeunesse oisive, s’est d’ailleurs empressé de placer bien en vue sa propre pancarte : « engageons réceptionniste ». Malheureusement pour lui, la plupart de ces promeneurs gagnent déjà assez décemment leur vie, au service de diverses « ONG » féministes, LGBT, sociale ou consacrées à la noble cause de l’instrumentalisation politique des roms.
À Bucarest, l’un des bâtiments gouvernementaux a été entouré par un cordon de manifestants agitant des pancartes sur lesquelles on pouvait lire que « la démocratie est assiégée ». Au vu de leur nombre ridicule et pour peu qu’on se souvienne de l’énorme majorité démocratique qui a, il y a un peu moins d’un an, porté l’actuel gouvernement au pouvoir, on ne peut que leur donner raison.
En revanche, en dépit de l’ennui du dimanche soir hivernal, les naïfs non-stipendiés, cette fois-ci, peinent visiblement à se joindre au mouvement, officiellement relancé pour « sauver la justice roumaine » d’une réforme « menaçant de la politiser ». Comment s’expliquer cette baisse de tonus du mondialisme révolutionnaire roumain ?
Commençons par quelques questions très générales :
Question A :
Imaginons que vous viviez dans une république à constitution semi-présidentielle (président élu au suffrage universel, partageant le pouvoir avec un premier ministre proposé par une majorité parlementaire, mais non-dénué de pouvoirs exécutifs à l’interne), où il existe un parquet national anti-corruption. Dans quel cas la nomination du chef de ce parquet vous semblerait-elle la moins politisée :
1/ S’il est nommé par le président de la république ?
2/ S’il est nommé par ses pairs ?
Question B :
Dans un système judiciaire efficace et transparent, pensez-vous que les juges :
1/ Doivent être à l’abri de toute poursuite en cas d’erreur judiciaire, même quand ces erreurs ont d’évidentes conséquence politiques non-réparables a posteriori, et laissent donc planer une forte suspicion d’ingérence dans les affaires de l’exécutif ?
2/ Doivent répondre devant leurs pairs de leurs erreurs ?
Quelle que soit la réponse que vous-même avez apporté à ces questions, on ne peut que constater que, curieusement, les hommes politiques/partis/ONG roumains généralement présentés par la presse occidentale comme « le parti des réformes et de la lutte anti-corruption » (à savoir : le président Johannis, son Parti National-Libéral dominant actuellement l’opposition et les très nombreuses ONG liées à l’organisation de la tentative de maïdan de février dernier) semblent unanimement répondre : A1, B1.
Si cela vous surprend, voici quelques éléments de contexte qui pourraient vous aider à mieux comprendre :
En dépit du battage extraordinaire organisé par la presse occidentale pour porter aux nues les femmes fatales de la lutte anti-corruption roumaine (L.C. Kövesi, M. Macovei), le bilan de cette lutte est pour l’instant des plus maigres : les condamnations définitives à des peines dépassant les deux ans sont rarissimes, et – plus grave encore – très peu de biens sont confisqués pour compenser l’immense manque-à-gagner que les divers détournements font subir à l’État. Il est, en revanche, déjà habituel de voir des politiciens notoirement corrompus mis en examen ou emprisonnés pendant quelques mois (ou, au grand maximum, un ou deux ans) pour des délits mineurs (de pures broutilles en comparaison des détournements majeurs dont ils sont par ailleurs suspectés), puis souvent libérés en appel « faute de preuves ». Pour ceux qui, dans un accès d’angélisme, voudraient voir dans ces résultats peu probants la conséquence du manque d’expérience ou de moyens, précisons que le parquet anti-corruption entre actuellement dans sa seizième année de fonctionnement, et dispose depuis quelques années comme bon lui semble (même souvent au mépris des libertés individuelles) de l’assistance de vastes secteurs de la communauté roumaine du renseignement, laquelle totalise – en chiffre absolus ! – plus d’employés et un budget plus conséquent que tous ses homologues européens. Il est donc bien clair que la « lutte anti-corruption », telle qu’elle a été menée au cours des dernières années, n’a pas pour objectif réel l’éradication de la corruption, mais sert d’instrument de chantage politique à ceux qui la contrôlent. C’est à cette dérive que mettrait fin la responsabilisation des juges, qui perdraient ainsi la possibilité de « tirer à blanc » sur des politiciens corrompus en se réservant la possibilité de les relâcher après réussite d’une opération de chantage.
Quiconque a vécu – même un peu – en Roumanie sait que les Roumains (population et « élites » confondues) ne brillent pas par un sens institutionnel très développé. Professeur de droit constitutionnel, le maire inamovible de Cluj/Kolozsvár, Emil Boc, a mis près de dix ans à « remarquer » que son refus d’introduire un affichage plurilingue violait les droits de la minorité hongroise locale. Plus généralement, le concept de politique impersonnelle est presque inconnu en Roumanie, où toute institution, tout parti, toute mouvance doit avoir un visage et un prénom pour devenir intelligible. En réalité, les discours sur « l’État de droit » roumain ne font que reformuler, dans le langage d’un pseudo-formalisme juridique digérable par l’opinion internationale, le message du Kulturkampf occidentaliste que le président Johannis, ses alliés du PNL (et plus encore de l’équivalent roumain de En Marche : le jeune parti USR) et les ONG (notamment celles de la galaxie Soros) entendent mener en Roumanie. Les présupposés idéologiques de ce Kulturkampf sont les suivants :
La corruption est un héritage néfaste de la période communiste, elle-même un sous-produit de l’obscurantisme « oriental » tel qu’il triomphe, notamment, dans la Russie poutinienne. C’est en vain qu’on demandera aux « Jeunes Beaux et Libres » (tels que s’autoproclament les habitués des maïdan pro-Johannis) quel passé communiste peut expliquer l’énorme corruption qui vérolait notoirement la Roumanie de l’entre-deux-guerres et celle de l’époque des Principautés (avant comme après l’institution d’une monarchie de type européen), ou encore quel type d’obscurantisme oriental expliquerait les méga-scandales financiers des trente dernières années à Wall Street et à la City de Londres. Pour eux, l’Occident est un monde propre et vertueux, où de rares influences néfastes seront (en privé, ou dans l’anonymat de commentaires en ligne) intégralement expliquées au moyen d’arguments antisémites (autre trait pittoresque de ces maïdans de facture ukrainienne, où extrême-droite néo-hitlérienne et extrême-gauche autonome/LGBT cohabitent sur la même barricade).
(conséquence du dogme précédent : ) Toute institution contrôlée par les amis de l’Occident (comme le très germanophile – et d’ailleurs ethniquement allemand – président Johannis, ou l’actuelle directrice du parquet anti-corruption, L. C. Kövesi – qui semble passer plus de temps à l’ambassade des USA que dans son propre bureau) est par définition pure et apolitique (y compris, donc, la présidence, dont le détenteur est pourtant un politicien, investi d’un mandat électif, au même titre que le premier ministre ou n’importe quel maire). Toute institution contrôlée par le Parti Social-Démocrate (PSD) actuellement au pouvoir, héritier de facto de l’ancien parti unique d’avant 1990 (même s’il rejette explicitement l’idéologie de ce dernier), est par définition « politisée » et corrompue. Depuis huit mois, cette malédiction semble même s’étendre sur le petit parti de droite ALDE, du fait de sa participation à la coalition gouvernementale actuelle aux côtés du PSD ; pourtant, ALDE rassemble ceux des libéraux historiques (comparables à l’ancien MDF hongrois) qui ont refusé d’entrer dans le moule néo-conservateur des révolutions orange (qui a accouché, en 2004-2014, du régime Băsescu, de sinistre mémoire pour beaucoup de roumains) – dont certains, explicitement anti-communistes, se réclament très clairement du Parti Libéral d’avant-guerre. Là encore, il ne sert à rien de rappeler l’interminable liste des affaires de corruption qui ont terni les deux présidences successives de T. Băsescu (et avant lui celle d’E. Constantinescu) : pour les « Jeunes Beaux et Libres », la lutte « anti-communiste » contre la corruption (souvent menée… par d’anciens membres du Parti Communiste Roumain, ou par des procureurs… qui étaient déjà en fonction sous N. Ceaușescu, comme la pittoresque M. Macovei) n’est pas une opinion ou un programme articulé selon les lois de la raison, mais un dogme à base émotionnelle.
Dès lors, on comprend mieux la rage qui s’empare desdits « Jeunes Beaux et Libres » (et sur laquelle K. Johannis annonçait dès avant la rentrée qu’il comptait bien capitaliser politiquement sous la forme d’un maïdan d’hiver – comme il appert de ses déclarations du mois d’août) devant des réformes qui, si elles avaient été proposées et/ou adoptées par une majorité parlementaire euro-conforme (qu’elle soit dominée par la « droite » PNL ou par la gauche mutante USR) et en proie à l’opposition d’un président PSD (ou ALDE), auraient à coup sûr suscité leur adhésion la plus totale.
Ce mépris assez peu démocratique des formes juridiques n’est d’ailleurs pas un pur accident dans le discours des euro-conformes roumains. Pas plus que leur mépris affiché de la majorité démocratique (pourtant consistante) qui a accouché de l’actuel gouvernement PSD-ALDE n’entre réellement en contradiction avec la rhétorique de la « démocratie en danger » qu’ils emploient quotidiennement à l’encontre dudit gouvernement. Les observateurs étrangers que cette cacophonie surprendrait n’ont probablement pas été informés des « notes de bas de page » (très rarement traduites, sauf par quelques publications d’extrême-gauche assez confidentielles) de ce discours : pancartes, dessins satiriques, commentaires postés sur les réseaux sociaux, voire éditoriaux dûment signés dans la presse roumaine d’extrême-droite (În linie dreapta, Revista 22 etc.), appelant ouvertement à une démocratie censitaire, et/ou à la déchéance civique des personnes âgées, notamment du monde rural, censées soutenir le PSD (et qui sont pourtant bien souvent – de l’aveu même des concernés, les grands-parents, voire les parents de ces « Jeunes Beaux et Libres »). A l’abri du silence complice de la presse occidentale, le darwinisme social se porte à merveille dans ce pays le plus pauvre de l’UE.
Il va de soi que de telles positions seraient inconcevables en Europe occidentale (où E. Macron a dû passer des heures et des heures à l’usine, à distance non-prophylactique de véritables prolétaires, pour se faire pardonner quelques glissades verbales analogues), et prendraient même déjà une consonance assez exotique dans la partie économiquement la plus développée du monde postcommuniste (Groupe de Visegrád, Slovénie…). Or, la Roumanie étant le champion européen de l’émigration de travail, essentiellement orientée vers ladite Europe occidentale, on trouve de plus en plus de roumains (revenus d’années de séjour en France, Allemagne etc.) capables de remarquer (pour le meilleur comme pour le pire) cet étrange précipice entre la réalité de l’Occident et le mythe occidental sur lequel s’appuie la propagande pro-maïdan du président Johannis. Vu de Hongrie, les « Jeunes Beaux et Libres » ressemblent un peu à des militants FIDESZ de la fin des années 1980, qu’on aurait cryogénisés et ranimés en 2017 dans un monde qu’ils ne comprennent plus, de sorte qu’ils n’auraient pu revenir d’aucune des illusions dont le FIDESZ, lui, a su se guérir entre-temps, si bien qu’eux – à la différence du FIDESZ de V. Orbán – n’arriveront jamais au pouvoir, ou n’y arriveront que pour se faire immédiatement confisquer le pouvoir au profit de tel ou tel petit Pinochet balkanique à la solde des multinationales occidentales. En dépit de leur jeunisme bruyant, les « Jeunes Beaux et Libres » sont, historiquement, des attardés, et K. Johannis sait probablement qu’il va, dans ce maïdan en cours de démarrage pénible, brûler ses dernières cartouches.