Pologne – « La Pologne n’est en rien ce qui définit le cap de l’Europe d’aujourd’hui, […] la Pologne décide d’aller à l’encontre des intérêts européens sur de nombreux sujets, » a déclaré le président français Macron lors d’une conférence de presse en Bulgarie en août 2017. Une déclaration lourde de sens, car elle montre que la Pologne ne va pas dans le sens que l’UE voudrait. Il faut alors se poser la question suivante. Pourquoi la Pologne prend-elle ce chemin ? Peut-être a-t-elle de bonnes raisons de le faire car elle ne se reconnaît pas dans la politique globale de l’UE.
« Au cours des deux dernières années, la diplomatie polonaise a cherché à définir nos intérêts nationaux. Nous avons réussi », a déclaré Witold Waszczykowski lors d’une conférence de presse en novembre 2017, alors qu’il était le Ministre des Affaires étrangères polonais.
L’un des principaux conflits entre la Pologne et l’UE est probablement lié au secteur de l’énergie. La Pologne est un État dont le bouquet énergétique dépend fortement du charbon. Selon une note publiée par le Parlement européen en septembre 2017, le pays est « le 10ème plus grand consommateur de charbon dans le monde et le 2ème plus important au sein de l’UE, après l’Allemagne ». En effet, son réseau électrique est alimenté à partir du charbon à 92% et à 89% pour le chauffage. L’Agence internationale de l’énergie a mentionné, dans son rapport sur la politique énergétique de 2016, que l’approvisionnement total en énergie primaire de la Pologne (que nous pourrions comprendre comme consommation intérieure brute) provenait de 50,8% du charbon (en 2015). La même année, le pétrole comptait pour 24,8%, le gaz naturel pour 14,6% et les énergies renouvelables pour 8,9% seulement. En 2015, l’industrie minière de la houille employait 90.000 personnes, ce qui représentait 0,6% de l’emploi total en Pologne. Nous pouvons voir que le charbon est au cœur de l’industrie énergétique polonaise. Tout le système repose sur des subventions élevées de l’État qui, en réalité, n’empêchent pas la majorité des mines d’être non rentables.
De nos jours, l’accent mondial est mis sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre dont on pense qu’elles ont un impact important sur le changement climatique. La Commission européenne a mis en place un cadre que les États membres doivent suivre pour moins polluer. Il y a un plan de 2050 et un plan de 2030, mais si on regarde seulement le scénario de 2020, on peut voir que la Pologne devrait dépenser beaucoup d’argent pour transformer son bouquet énergétique :
« D’ici 2020, l’UE entend réduire ses émissions de gaz à effet de serre d’au moins 20%, augmenter la part des énergies renouvelables à au moins 20% de la consommation et réaliser des économies d’énergie de 20% ou plus. Tous les pays de l’UE doivent également atteindre une part de 10% d’énergie renouvelable dans leur secteur des transports. » (1)
La Pologne est directement sous pression pour investir dans l’énergie verte, mais cela signifierait une perte d’emplois et une hausse probable des prix de l’électricité. Les deux tiers des centrales au charbon installées en Pologne ont plus de 30 ans. Les changer en investissant dans des technologies modernes ou en diversifiant ses sources d’énergie (centrales nucléaires, centrales à gaz, etc.) ne sera pas sans coût. C’est pourquoi la Pologne semble très réticente quand elle doit traiter avec la Commission sur les questions énergétiques.
Pour aller plus loin dans la compréhension du fossé en matière d’énergie entre l’UE et la Pologne, nous devons également parler de l’Initiative des Trois Mers. La Pologne occupe en effet une position centrale si l’on considère la partie orientale de l’Europe, située entre les États scandinaves, les États baltes et la Grèce selon un axe nord-sud. Dans le cadre de sa politique énergétique (qui vise principalement à éviter les importations de gaz russe), l’Initiative des Trois Mers a été proposée publiquement par le président polonais Andrzej Duda en 2016. Comprenant les douze États membres situés entre la mer Baltique, la mer Adriatique et la mer Noire, elle vise à investir dans des projets qui pourraient bénéficier à l’ensemble de la région. En fait, « l’un des principaux projets consiste à permettre aux terminaux de gaz liquéfiés (GNL) de Świnoujście et de l’île croate de Krk de transporter leur énergie vers l’Europe de l’Est et les Balkans par des interconnexions énergétiques et des corridors de transport […] La Pologne a déjà un terminal GNL opérationnel à Świnoujście et souhaite construire un oléoduc à travers le Danemark qui relierait la Pologne aux gisements de gaz norvégiens ». (2)
Ce faisant, la Pologne pourrait devenir un nouveau pôle gazier en Europe de l’Est et permettre à de nombreux pays de la région de diversifier leurs sources d’énergie. En juillet 2017, le président américain Donald Trump s’est même arrêté à Varsovie pour assister à la deuxième réunion de l’Initiative des Trois Mers. Grand partisan du projet, Washington a déjà commencé à exporter son gaz liquéfié au nouveau terminal méthanier de Świnoujście (Nord de la Pologne) et est prêt à continuer. En fait, ce plan vise à contrer le gazoduc Nord Stream II allant de la Russie à l’Allemagne sous la mer Baltique, donc contre la Russie en tant que fournisseur d’énergie majeur :
« En revanche, la Russie livre aujourd’hui la majeure partie de son gaz par gazoduc au marché de l’UE. Le coût du gaz russe en raison de cela et d’autres facteurs est nettement inférieur. Pour la Pologne, cela n’a pas d’importance. Ils rêvent de remplacer l’Ukraine comme zone de transit du gaz vers l’UE par le gaz de la Norvège et le GNL des États-Unis et peut-être du gaz du Qatar si Washington ne parvient pas à perturber cela via les sanctions saoudiennes. […] Mais ce n’est que la première partie de ce qu’est en fait une stratégie de l’OTAN pour chasser le gaz russe des marchés de l’UE. La stratégie appelle à faire de la Pologne un hub du gaz naturel pour l’Europe centrale en reliant la Pologne à la Lituanie, à l’Ukraine, à la Slovaquie et à la République tchèque par le biais d’interconnexions. » (2)
Naturellement, l’UE est assez méfiante à propos de ce plan qui va à l’encontre de son projet d’importer plus de gaz de Russie et qui pourrait bénéficier davantage aux États-Unis qu’au continent européen. En outre, il le voit comme un moyen de déstabiliser l’UE et pour équilibrer les rapports vis-à-vis de l’Allemagne et de la France. À l’inverse, la Pologne voit cela comme une solution pour diversifier les sources de gaz de l’UE, qui proviennent principalement de la Fédération de Russie à ce jour.
Dans l’ensemble, les principaux points de mécontentement entre les autorités de l’UE et la Pologne reposent sur la position ambitieuse que la Pologne souhaite acquérir sur le continent, notamment en ce qui concerne sa politique énergétique. Comme l’un de ses secteurs clefs (également liés comme on a pu le voir avec sa plus grande peur : la Russie), la situation actuelle de la Pologne est difficile à saisir, entre sa volonté de continuer à produire de l’électricité à bas prix malgré la nouvelle réglementation de l’UE sur les énergies renouvelables, tout en essayant de contrer les projets de l’UE dans la région en raison de son animosité envers la Russie.
—
(1) Source : Commission européenne, «Stratégie énergétique 2020», https://ec.europa.eu/energy/en/topics/energy-strategy-and-energy-union/2020-energy-strategy
(2) Source : F. William Engdahl, ‘The Geopolitics of Poland’s ‘Three Seas Initiative’’, 8 décembre 2017