Par la Rédaction.
Hongrie – Nouvelle campagne contre Soros et Juncker du gouvernement hongrois, la gronde qui monte au PPE et les élections municipales en ligne de mire
En présentant sa nouvelle campagne d’affichage contre George Soros et sur laquelle figure également l’actuel président de la Commission Européenne Jean-Claude Juncker (PPE, chrétien-démocrate), à trois mois des élections européennes, le gouvernement hongrois dirigé par Viktor Orbán n’a pas eu peur de froisser Bruxelles, ni même ses partenaires du PPE dans lequel le Fidesz siège toujours.
Vers la rupture entre le Fidesz et le PPE ?
La rupture entre Viktor Orbán et Jean-Claude Juncker ne date pas d’hier. On se souvient de la gifle « amicale » de Juncker à Orbán lors d’un sommet européen en 2015 en pleine crise migratoire, geste d’une inélégance rare (fut-ce après un déjeuner arrosé) à ce niveau de responsabilité politique.
Orbán, en fin stratège conscient de ses forces et des limites de sa puissance, a pour habitude de savoir avaler les couleuvres pour mieux contre-attaquer. Au niveau national comme international.
En juillet 2018, le Premier ministre hongrois ne s’était déjà pas caché de se réjouir de voir se terminer le mandat de la Commission Européenne de M. Juncker : « L’élite européenne a fait faillite, et le symbole de cette faillite est la Commission européenne. C’est une mauvaise nouvelle. La bonne nouvelle, c’est que les jours de cette Commission sont comptés. Je les ai même comptés : il lui reste 300 jours à tirer, et son mandat prendra fin. »
Lors du vote du rapport Sargentini (critiquant la situation de l’État de droit en Hongrie) en septembre 2018, la fracture entre le PPE et le Fidesz était déjà clairement apparue. Au niveau des élus de la fraction PPE, les votes s’étaient répartis ainsi :
– 114 votes pour le rapport
– 57 votes contre (dont les 12 élus du Fidesz)
– 28 abstentions
– 20 absents lors du vote
Parmi les 114 soutiens au rapport Sargentini, celui de l’allemand Manfred Weber, investi fin 2018 par le PPE (avec le soutien… du Fidesz) pour succéder à Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission Européenne. Après ce vote, Jean-Claude Juncker avait déclaré qu’il considérait la présence du Fidesz au sein du PPE comme problématique.
D’autres personnalités du PPE, jusqu’alors conciliantes vis-à-vis du Fidesz, pourraient toutefois se retourner contre lui. Jusqu’à présent, le président du PPE Joseph Daul avait tendance à prendre la défense d’Orbán et de son parti. Pour la première fois, Daul a publiquement critiqué Orbán et sa campagne d’affiches contre Juncker dans une publication sur Twitter :
« Je condamne fortement la campagne lancée par le gouvernement hongrois à l’approche des élections européennes de 2019 et la diffamation à l’endroit du Président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker. Les affirmations de cette campagne sont trompeuses, fallacieuses et ne reposent pas sur les faits.
Je dénonce avec force les attaques et les conspirations sans fondement de la Hongrie contre le Président Juncker, qui est un authentique chrétien-démocrate et un véritable leader européen. Un leader qui s’est battu pour l’unité, la solidarité et la prospérité européenne dont toute l’UE, y compris la Hongrie, ont grandement bénéficié.
Je voudrais rappeler au Premier ministre Orbán que les décisions prises à Bruxelles, y compris sur la migration, sont prises collectivement par les gouvernements de l’Union européenne et le Parlement européen, dans lesquels sont présents les représentants hongrois. Plutôt que de présenter Bruxelles en ennemi fantomatique, la Hongrie doit accomplir sa part de travail. »
D’autres personnalités du PPE se sont distancées de cette nouvelle campagne hongroise. Sans surprise, le chancelier autrichien Kurz (dont les élus ont voté pour le rapport Sargentini) fait partie de ceux-ci. En dépit de la rhétorique populiste qui l’a conduit au pouvoir, le jeune chancelier autrichien reste en effet très lié aux réseaux du milliardaire spéculateur américain d’origine hongroise George Soros. Il a d’ailleurs récemment reçu George Soros pour évoquer le transfert d’une partie de son université de Budapest à Vienne. Et Kurz n’avait pas hésité à recadrer le leader du groupe parlementaire du FPÖ (le partenaire de coalition de l’ÖVP en Autriche) Johann Gudenus lorsque celui-ci avait critiqué Soros.
Une autre critique est venue du possible successeur de Jean-Claude Juncker. Manfred Weber a déclaré qu’avec ses 13 élus sur 750 le Fidesz n’allait pas décider de l’avenir de l’Europe. Si ce froid retour à la réalité peut sembler implacable, notons toutefois que le Fidesz a en réalité 12 élus, mais aussi que le prochain Parlement européen comptera 705 élus et non plus 750, Brexit oblige.
Surtout, le probable affaiblissement des groupes majoritaires du Parlement européen (PPE et PSE) font que le poids relatif du Fidesz au sein du PPE pourrait se renforcer. Si l’on en croit les sondages actuels, le Fidesz aurait davantage de députés européens au sein du PPE que les Républicains français. Ce qui, au vu du poids démographique (et donc d’élus européens) des deux pays, en dit long sur le poids et la stabilité du Fidesz en Hongrie dans une Europe dont beaucoup d’États-membres sont devenus politiquement instables.
Avec son affaiblissement à venir, le PPE peut-il se passer du Fidesz et de ses alliés ? C’est une question que le Visegrád Post avait déjà soulevé dans son étude sur les recompositions des groupes au Parlement européen.
En même temps, au vu de la grogne d’un nombre grandissant de membres du PPE quant à la présence du Fidesz en son sein, cette situation pourra-t-elle perdurer ?
Une chose semble rester certaine : le Fidesz ne quittera pas le PPE, qui devra donc en faire un martyr s’il décide de l’exclure. Les prochaines semaines du PPE s’annoncent tendues.
L’autre cible de la campagne : Péter Márki-Zay et les élections municipales d’octobre 2019
Soros et Juncker ne sont pas les seules cibles de cette nouvelle campagne d’affichage. En parallèle, le Fidesz a également lancé une campagne d’affiches similaires qui ciblent le maire de Hódmezővásárhely ,une commune de 45.000 habitants au sud de la Hongrie.
Comment l’expliquer ? L’arrivée en première position du Fidesz aux élections européennes de mai 2019 ne fait pas débat. Mais l’enjeu ne sera pas seulement d’obtenir le plus grand nombre d’élus pour peser sur la scène européenne, mais aussi de dresser un état des forces en vue des élections municipales d’octobre 2019.
Pour conserver sa domination dans les municipalités et les comitats, le Fidesz a tout intérêt à frapper un grand coup lors des européennes. La participation aux européennes étant généralement basse, l’enjeu des partis consiste donc à mobiliser leur électorat mieux que leurs concurrents. C’est ce qui pourrait permettre au Fidesz de dépasser les 49% obtenus lors des législatives d’avril 2018.
Les élections locales constitueront une nouvelle opportunité pour les partis d’opposition de réaliser ce qu’ils n’ont pas su mettre en place lors des élections législatives d’avril 2018 : une coordination la plus large possible allant de la gauche libérale (MSZP, DK, MSZP, Párbeszéd) au Jobbik (anciennement extrême-droite radicale, désormais centre-droit pro-UE).
Cette stratégie, inaugurée en février 2018 lors d’une élection municipale à Hódmezővásárhely (sud de la Hongrie, 45.000 habitants), avait permis l’élection de Péter Márki-Zay, un candidat indépendant soutenu par tous les partis d’opposition, face au candidat du Fidesz.
Márki-Zay, devenu la figure d’un certain conservatisme alternatif par rapport à la ligne d’Orbán, s’était prononcé pour un gouvernement technocratique afin de déconstruire l’héritage d’Orbán et aligner la Hongrie sur l’UE. Il avait ensuite préconisé une stratégie de désistements des partis d’opposition dans les circonscriptions uninominales pour les législatives afin de battre le Fidesz. Sans succès. Pour les prochaines municipales, le fruit sera peut-être plus mûr pour que les partis d’opposition essayent de développer le « modèle de Hódmezővásárhely » dans le maximum de municipalités hongroises.
Le numéro 2 du Jobbik Márton Gyöngyösi a déclaré dans un entretien que si la constitution d’une liste commune d’opposition aux européennes n’était pas envisagée en raison du mode de scrutin proportionnel, en revanche la coordination des partis d’opposition autour de candidats indépendants aux élections municipales fait sens.
La coordination des partis d’opposition (gauche libérale et Jobbik) s’est considérablement accrue depuis les élections législatives, notamment lors de manifestations contre une loi permettant d’augmenter le nombre d’heures supplémentaires imposées aux salariés de certains secteurs.
Ce qui explique l’offensive menée par les médias conservateurs pro-Fidesz en direction de la gauche libérale et du travail en commun qu’elle réalise avec le Jobbik, en rappelant les positionnements controversés de celui-ci.
L’élection qui aura le plus grand enjeu sera celle de Budapest, où la sociologie est la moins favorable au Fidesz. Après 20 années de domination libérale sous Gábor Demszky (SZDSZ), le Fidesz était finalement parvenu à prendre la ville en 2010 avec István Tarlós, qui sera le candidat du Fidesz pour un troisième mandat consécutif.
Tandis qu’une partie de la gauche s’est lancée dans un processus de primaire interne, le parti écologiste LMP et le Jobbik pourraient s’entendre sur une candidature indépendante commune avec le journaliste polémiste et controversé Róbert Puzsér, et essayer d’obtenir d’autres désistements pour faire front commun face au candidat du Fidesz. Róbert Puzsér a estimé qu’en dehors du sortant István Tarlós et de lui-même, il n’y a pas de candidat susceptible de l’emporter à Budapest, balayant la candidature de Gergely Karácsony voulant réunir les forces de gauche.
Orbán, l’attaquant
En tout état de cause, ces scrutins européens et locaux promettent une année animée dans la vie politique hongroise.
Fidèle à sa passion pour le football et à son esprit d’attaquant, il est probable que Viktor Orbán continuera à mener diverses offensives aux échelles nationale et européenne. Cette stratégie offensive du Fidesz de Viktor Orbán a porté ses fruits par le passé à l’échelle nationale. Elle surprend désormais des Occidentaux habitués à des campagnes plus policées. Cette stratégie offensive et peu délicate est privilégiée pour acquérir le plus vite possible les meilleurs résultats possibles, sans tenir compte de certaines conséquences qui pourraient vite être balayées par un Brexit douloureux, une crise économique telle qu’annoncée par les directeurs des Banques centrales, ou une nouvelle crise migratoire. Ensuite, en dictant le ton des débats, Orbán garde ainsi la main et a toujours un coup d’avance sur ses adversaires.
Reste à voir jusqu’où cette stratégie, qui a permis au chef du gouvernement d’un pays modeste de moins de 10 millions d’habitants de devenir une figure de la politique européenne (voire internationale), peut mener Orbán. Les électeurs hongrois apporteront une partie de la réponse à cette interrogation.