« Ils vont bientôt vouloir nous imposer la légalisation des unions homosexuelles » (Sebastian Kaleta, vice-ministre de la Justice)
La crise sanitaire majeure qu’est en train de vivre l’Europe n’y change rien : à Bruxelles, Strasbourg et Luxembourg (siège de la Cour de Justice de l’Union européenne), les affaires suivent leur cours. C’est ainsi que la Cour de Justice de l’UE (CJUE) a rendu le 8 avril une ordonnance provisoire demandant à la Pologne de « suspendre immédiatement (…) la chambre disciplinaire de la Cour suprême au regard des affaires disciplinaires concernant les juges ». Ceci sur initiative de la Commission européenne qui avait demandé en janvier à la CJUE de se prononcer pour une telle suspension dans le cadre d’une procédure en référé. La Commission dirigée par Ursula Von der Leyen poursuit en effet les conflits engagés par la précédente Commission Juncker contre la Pologne après l’arrivée au pouvoir du parti conservateur Droit et Justice (PiS) de Jarosław Kaczyński. Après la dispute autour des nominations au Tribunal constitutionnel polonais, la Commission Juncker s’en était prise aux réformes de la justice votées par le parlement polonais en 2017-18. Des réformes qui visaient à réaliser les promesses électorales du PiS de rétablir un certain contrôle démocratique sur une institution judiciaire jamais vraiment réformée depuis la chute du communisme à la fin des années 1980.
Interrogé mercredi pendant une conférence de presse consacrée à la lutte contre l’épidémie de coronavirus, le premier ministre polonais Mateusz Morawiecki a déclaré : « La réforme du système judiciaire fait partie des compétences exclusives des États membres ». Morawiecki a par conséquent annoncé qu’il allait soumettre la question au Tribunal constitutionnel polonais pour que celui-ci se prononce sur la capacité de la CJUE à délivrer des ordonnances provisoires de ce type. Il est improbable que ce Tribunal constitutionnel accepte de céder aux instances européennes des prérogatives qui lui sont clairement réservées par la constitution polonaise et que les traités européens ne leur reconnaissent pas expressément.
Du coup, si la Commission européenne demande maintenant à la CJUE de soumettre la Pologne à une astreinte journalière en cas de non-application de son ordonnance provisoire, une grave crise politique est à prévoir au sein de l’UE. Une crise politique qui arrivera au plus mauvais moment pour une Union européenne en pleine crise sanitaire et économique doublée d’une sérieuse crise de confiance vis-à-vis de ses institutions. Le gouvernement de Mateusz Morawiecki peut en effet difficilement reculer sur ce sujet. D’une part, il se discréditerait aux yeux de ses électeurs et il s’exposerait à la remise en cause par l’UE de toutes ses réformes judiciaires, ce qui sèmerait le chaos au sein de l’institution judiciaire polonaise (les revendications de la Commission vont plus loin que la seule Chambre disciplinaire). D’autre part, comme l’a exprimé mercredi le vice-ministre de la Justice Sebastian Kaleta, si la Pologne cède et reconnaît de fait à l’UE des compétences non prévues dans les traités, la prochaine étape consistera probablement à imposer à la Pologne et aux autres États membres « la légalisation des unions homosexuelles, l’adoption d’enfants par les couples homosexuels et tout un éventail d’autres revendications idéologiques avec lesquelles la société polonaise n’est pas d’accord ».
« Cette décision est sans précédent, » a tonné Kaleta mercredi, car « pour la première fois l’Union européenne s’attribue des compétences sur les organes constitutionnels d’un État membre. Pire encore, elle ne le fait pas en examinant une affaire sur le fond. Dans le cadre d’une ordonnance provisoire, sans trancher sur le fond, elle dicte à un État membre comment il doit être gouverné ». Comme le premier ministre, le vice-ministre de la Justice a rappelé que « c’est le Tribunal constitutionnel qui est le juge en dernière instance sur le territoire polonais pour des affaires aussi essentielles, et c’est là que cette affaire aura sa suite ».
Le Luxembourg étant un des pays les plus touchés par la pandémie de Covid-19, pour rendre leur ordonnance provisoire le 8 avril les juges de la CJUE siégeaient par visioconférence.
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