Pologne – Ignacy Paderewski est un personnage emblématique de l’Histoire polonaise du XXe siècle. Il fait partie des figures d’autorité qui font pratiquement l’unanimité au sein de l’opinion publique dans le pays de Saint Jean Paul II. Ce pianiste au talent rare demeure l’un des piliers de l’Indépendance polonaise recouvrée en 1918, après plus d’un siècle d’occupation étrangère par l’Empire russe, la Prusse et l’Autriche.
Une vedette internationale
Ignacy (ou Ignace) Paderewski est né le 6 novembre 1860 à Kuryłówka en Podolie (Ukraine actuelle). Son enfance fut marquée par la brutalité de l’occupant russe ainsi que par les efforts de ses proches dans le contexte de la lutte pour l’Indépendance de la Pologne. En effet, il est âgé de deux ans au moment de l’Insurrection de Janvier, en 1863[1].
Ignacy entre au conservatoire de Varsovie à l’âge de douze ans ; au départ, il envisage une carrière de professeur de musique et ne fait alors pas encore preuve d’une virtuosité particulière. Il obtient son diplôme en 1879 avec grande distinction. Tout au long de sa jeunesse, il cultive ses deux grandes passions: le piano et le rêve d’une Pologne indépendante.
À partir de la fin des années 1880, il réalise des dizaines de concerts et de tournées internationales, particulièrement en Europe occidentale et aux États-Unis. Son talent est désormais révélé et reconnu comme hors du commun ; il ne laisse plus personne indifférent. Il devient au fur et à mesure une célébrité incontournable et se voit inviter dans les salons les plus huppés. Il joue des concerts dans le salles les plus prestigieuses de Paris à Londres en passant par Vienne et Washington. Dès les premières années du XXe siècle, Ignacy Paderewski devient ce que l’on appelle aujourd’hui un people. C’est à ce moment qu’apparaît même la mode du port de la cravate « à la Paderewski ». Parmi les grandes personnalités ayant assisté à ses performances, on peut notamment citer la Reine Victoria, le tsar Nicolas II, le Président américain Woodrow Wilson ou encore le compositeur russe Piotr Tchaïkovski.
Un des pères de l’Indépendance polonaise
Un tournant important dans la vie de Paderewski a lieu en 1910. Le 15 juillet de cette année, le virtuose de Podolie donne un discours enflammé à l’occasion du dévoilement d’un monument (financé par lui-même) commémorant les 500 ans de la victorieuse bataille de Grunwald[2] à Cracovie. Dans son discours rempli d’émotion, Paderewski fait l’éloge du patriotisme polonais et redonne une lueur d’espoir à ses compatriotes émus aux larmes. Il clame entre autres que l’Indépendance du pays est un rêve qu’il convient de réaliser. C’est ainsi que commence sa carrière politique.
La Première Guerre mondiale apparaît comme une opportunité pour la Pologne de se soulever une fois de plus dans l’espoir de recouvrer son Indépendance. C’est ainsi qu’en janvier 1917, Ignacy Paderewski décide de mettre son statut de superstar au profit de son pays. Il rencontre alors le président américain Woodrow Wilson et lui remet un mémoire dans lequel il plaide pour une Pologne libre et démocratique, mais aussi viable par la libre disposition d’un large accès à la mer Baltique.
Dans son discours du 8 janvier 1918 prononcé devant le Congrès, le Président américain inclut l’indépendance de la Pologne parmi ses fameux Quatorze points: « Un État polonais indépendant devra être constitué, qui inclura les territoires habités de populations indiscutablement polonaises, [État] auquel devra être assuré un accès libre et sûr à la mer, et dont l’indépendance politique et économique et l’intégrité territoriale devraient être garanties par un accord international. »
La plupart des historiens polonais s’accordent sur le fait que l’influence du lobbying de Paderewski aura eu une influence décisive pour le retour de la Pologne sur la scène internationale.
L’unificateur d’une nation divisée
Le point culminant de la carrière politique de Paderewski a lieu au lendemain de la Grande Guerre. Affirmer que la situation de la Pologne fraîchement apparue sur la carte est instable relève de l’euphémisme. D’une part, la nouvelle frontière occidentale du pays est farouchement contestée par l’ensemble de la scène politique allemande, des communistes aux nationalistes en passant par les sociaux-démocrates et le centre. D’autre part, une frontière orientale précise avec l’URSS qui montre ses griffes doit encore être établie.
Pour couronner le tout, la nation polonaise elle-même est polarisée. D’un côté, il y a les partisans du Maréchal Piłsudski, remarquable stratège militaire et dirigeant charismatique. De l’autre, les sympathisants de Roman Dmowski, diplomate polyglotte et théoricien de la “national-démocratie”. C’est dans ce contexte qu’Ignacy Paderewski réalise son double tour de force en 1919.
Tout d’abord, Paderewski parvient à réaliser la lourde tâche d’unification des deux camps en expliquant que l’unité de la nation est non seulement désirable mais indispensable pour la construction efficace de la IIe République de Pologne. Fort de cet exploit et de sa popularité toujours grandissante, il devient Premier ministre le 16 janvier 1919 (et le reste jusqu’en décembre de la même année).
Peu de temps après, il se rend à la Conférence de Paris durant laquelle, il présente les revendications territoriales du territoire polonais avec brio avec l’aide précieuse de Roman Dmowski, dans un français impeccable. Paderewski fut par ailleurs le chef des délégations polonaises qui signèrent le Traité de Versailles le 28 juin 1919.
Entre 1920 et 1921, alors que la Pologne mène une guerre acharnée contre l’URSS afin de sécuriser sa frontière orientale, Ignacy Paderewski devient le chef de la délégation polonaise auprès de la Société des Nations. Il reprend ensuite son activité de pianiste au cours de l’année 1922 et effectue un certain nombre de tournées internationales jusqu’au milieu des années 1930.
En décembre 1939, la Pologne est à nouveau partagée par ses puissants voisins, à savoir l’Allemagne nazie et l’URSS à la suite du pacte entre Hitler et Staline (appelé pacte Ribbentrop-Molotov). En décembre de la même année, Paderewski prend la tête d’un Conseil national polonais en exil, fonction qu’il occupe jusqu’à sa mort le 29 juin 1941.
Au cours de sa vie, Ignacy Paderewski fut décoré de nombreux honneurs parmi lesquels l’Ordre de l’Aigle blanc, la très prestigieuse Croix d’argent de l’Ordre militaire de Virtuti Militari, la Grand-croix de l’Ordre Polonia Restituta mais également la Grande-croix de la Légion d’honneur.
[1] L’Insurrection de Janvier, ou insurrection polonaise de 1863 contre l’Empire Russe est un soulèvement pour l’Indépendance de la Pologne qui a éclaté en janvier 1863 et qui fut maté par les forces russes.
[2] La bataille de Grunwald eut lieu le 15 juillet 1410 dans le cadre de la guerre de Royaume de Pologne-Lituanie contre l’Ordre Teutonique.