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Quand la Pravda française se met au service d’une dictature balkanique

Temps de lecture : 7 minutes

Roumanie – Quand on parle des problèmes de la presse écrite (et de l’audio-visuel classique, c’est-à-dire hors ligne), il est d’usage de prendre un air préoccupé et de déplorer les pertes d’audience de ces médias classiques soumis à la concurrence (jugée « déloyale ») de nouveaux médias numériques. Ce faisant – souvent sans s’en rendre compte –, on tourne allègrement le dos aux principes libéraux que cette même presse prétend pourtant défendre, en déplorant l’existence même d’un marché de l’information, sur lequel les consommateurs/citoyens, au gré de choix plus ou moins bien inspirés, ont le droit de choisir leurs sources d’information et de les financer en fonction de leurs préférences. Dans ce domaine comme dans d’autres, tout le pari libéral consistait – rappelons-le – à présupposer que le résultat commercial de ces choix libres, plus ou moins bien inspirés, vaudrait toujours mieux, en termes d’information correcte et de liberté d’expression, que la presse centralisée des régimes totalitaires, qui s’appuyait sur une approche religieuse de la science (nommée « matérialisme dialectique » en URSS, ou encore « racisme scientifique » dans l’Allemagne hitlérienne) pour instituer un ministère public de la vérité et de l’erreur, habilité à décider a priori qui aurait le droit ou non de s’exprimer publiquement. Il va de soi qu’aucun régime moderne – surtout à prétentions démocratiques – ne peut survivre longtemps à une telle distorsion du mécanisme de feed-back citoyen, et, effectivement, on peut considérer que c’est, en grande partie, l’absence d’un débat public honnête qui a fini par condamner à l’obsolescence les régimes du « socialisme scientifique » (lesquels, à la différence de l’Allemagne hitlérienne, ont capitulé sans se battre en 1989-91).

Malheureusement, le « moment unipolaire » créé, dans les années 1990, par cette défaite a montré le peu d’attachement sincère qu’avaient les élites occidentales (des élites « impériales » au sens spenglérien, et non « culturelles ») pour ces principes qui les avaient menées à la victoire. Depuis lors, elle n’ont eu de cesse, en effet, de s’efforcer de restreindre cette liberté de presse (notamment par voie d’hyper-concentration des capitaux sur le marché médiatique), tout en partant à la recherche d’une nouvelle idéologie permettant de fournir sa justification historique à un nouveau monopole de la vérité. Dada des néo-conservateurs américains et de « l’école BHL » en France, l’antitotalitarisme – occasionnellement couplé à une certaine islamophobie qui peut même, de loin en loin, recourir à une rhétorique d’apparence chrétienne – a permis quelques progrès du Nouvel Ordre Mondial dans les années 1990-2000, mais s’est vite essoufflé. La démonisation de l’Iran, par exemple, menée au nom d’arguments qui sont tous aussi employables contre des alliés (notamment saoudiens) dudit Nouvel Ordre Mondial, n’a jamais vraiment convaincu. Pas plus que le recyclage de la rhétorique anticommuniste à l’encontre de populistes centre-européens qui se trouvent être justement souvent… les héritiers des mouvements anticommunistes de l’avant-1990. Enfin, l’apparition de tendances populistes (le Brexit et Trump, notamment) au sein même de la métropole impériale a jeté le système dans les cordes.

Sa réaction de 2020, dont le détail tient sans aucun doute au hasard de diverses improvisations gestionnaires mal centralisées, était, sur le fond, prévisible. Comme le remarquait Giorgio Agamben dès le début de la « crise du Covid », l’Occident moderne, depuis au moins deux siècles, est structuré autour de trois ensembles de croyance : le christianisme, le capitalisme et la médecine. Le christianisme ayant quitté la scène (comme l’a d’ailleurs très bien montré la capitulation en rase campagne des églises occidentales devant la dictature pseudo-sanitaire), restait le face-à-face du capitalisme et de la médecine. C’est le dilemme qu’a notamment dû trancher, en mars 2020, le brexiteur Boris Johnson : choisir entre les élucubrations du « Lyssenko libéral » Ferguson – auteur de la fraude intellectuelle plus largement connue sous le nom de « confinement », qui ne pouvait que couler l’économie des pays qui y souscrivaient – et une stratégie (dite « suédoise », ou « d’immunisation collective ») permettant de concilier les deux principes. Officiellement sous l’effet de sa propre infection (quoique d’autres explications aient entre temps aussi été avancées), Boris Johnson a choisi de renoncer au capitalisme. Les autres populistes occidentaux (comme Donald Trump) et leurs émules du monde post-communiste (comme V. Poutine) ont connu la même hésitation initiale, après quoi ils ont (bien que de façon moins massive que Johnson) fait, la mort dans l’âme, le même choix.

Ce choix a été facilité, voire forcé, par la quasi-unanimité avec laquelle la presse occidentale a adopté la narration covidienne dictée par l’OMS – et donc, indirectement, par Big Pharma. Et ce choix a, à son tour, accéléré le processus de soviétisation des médias occidentaux : en prenant prétexte à la fois de la crise économique (qu’ils venaient de provoquer) et de la nécessité de « combattre les fausses nouvelles » (en bon français : de faire taire toute dissidence), beaucoup de gouvernements du monde occidental et de sa périphérie postcommuniste (notamment la France et la Roumanie) en ont profité pour précipiter la transformation de leur presse hors-ligne en presse d’État, au moyen de paquets de financement « de crise » astronomiques. Jadis partiellement et indirectement contrôlés par les gouvernements, ces titres jouissent désormais de toute l’autonomie qui caractérisait, dans les années 1980, la Pravda moscovite vis-à-vis de la vérité officielle telle que lui dictait le PCUS.

L’article récemment publié dans le Monde par Mirel Bran sur la situation politico-épidémiologique de la Roumanie est, de ce point de vue, un cas d’école.

D’une part, parce qu’il est question d’un journal lui-même exemplaire à plus d’un titre : jadis synonyme de presse modérée, équilibrée, grand-public mais de qualité, à l’instar du Times ou de la Frankfurter Allgemeine dans d’autres aires linguistiques, le Monde, au terme d’un vol plané qualitatif vertigineux, a, depuis quelques années, atterri à l’autre bout du spectre.

Le journal jadis dirigé par Hubert Beuve-Méry est devenu l’un des titres de presse s’efforçant le moins de cacher sa captation oligarchique, faisant par exemple confiance à son lectorat (ou, plus exactement : à la naïveté de ce dernier) pour ne jamais se demander comment un journal financé par Bill Gates pourrait informer impartialement sur des questions épidémiologiques ou vaccinales.

D’autre part, de par la personnalité du journaliste. Abonné aux largesses de l’Institut Culturel Roumain, Mirel Bran est l’un de ces agents de presse au moyen desquels l’État profond roumain a décidé, depuis les années Băsescu, de « prendre en main » l’image « internationale » (comprendre : occidentale) de la Roumanie. En d’autres termes : s’informer sur les actions du gouvernement Ludovic Orban (mis en place par le président Klaus Iohannis) par l’intermédiaire de Mirel Bran, c’est très exactement comme faire confiance à Sibeth Ndiaye pour évaluer impartialement l’action d’Édouard Philippe. Or tel est bien l’exercice d’auto-empoisonnement auquel le Monde convie ses derniers abonnés : les derniers francophones disposés à payer deux fois (par leur abonnement du fait de leur propre naïveté, et par leurs impôts du fait de la liquidation de facto du pluralisme) une information que leur fournit, sur les actions du gouvernement roumain, un quasi-employé (ou carrément employé ?) dudit gouvernement.

Dans ces conditions, on ne saurait plus s’étonner d’aucun abus propagandistique. En l’occurrence Mirel Bran va allègrement jusqu’à l’inversion narrative pure et simple.

Au lieu de relever le fait – pourtant assez alarmant – que la Roumanie de Klaus Iohannis (en dépit d’un total officiel de victimes absolument ridicule, de l’ordre de 3 ou 4 jours de mortalité statistique normale en l’espace de bientôt cinq mois) est le seul pays européen à pratiquer l’internement forcé des patients asymptomatique testés positifs au Covid-19 (au moyen d’un test qui, rappelons-le, fonctionne aussi sur les papayes), le Monde titre sans vergogne : « En Roumanie, se protéger du Covid-19 est « anticonstitutionnel » ».

Bien entendu, ce n’est pas se protéger de tel ou tel virus qui est « devenu » anticonstitutionnel au terme d’une récente décision de la Cour Constitutionnelle Roumaine (CCR), mais les restrictions dictatoriales de la liberté de mouvement imposées, au nom d’une hypothétique « protection » (en l’occurrence : d’autrui – puisque nous parlons de patients asymptomatiques) imposée par l’État. La CCR ne fait, en l’occurrence, que constater l’anticonstitutionnalité patente de mesures sans précédent dans l’histoire des régimes postcommunistes – et sans autre exemple ailleurs en Europe ! – adoptées dans le cadre de iure d’un gouvernement par décret, et dans le cadre de facto de la fuite en avant de Klaus Iohannis, qui a de bonnes raisons de se demander s’il pourrait survivre politiquement à un véritable retour à la normale de son pays. Comme nous l’avons déjà signalé, une telle « glissade » despotique de l’exécutif roumain était d’ailleurs prévisible dès le début de la crise, lorsque la Roumanie (là encore seule dans ce cas, avec la Lituanie) a suspendu l’applicabilité sur son territoire de la Convention européennes des droits de l’homme.

Contrairement aux calomnies véhiculées par Klaus Iohannis et son premier ministre Ludovic Orban, ladite CCR n’est pas particulièrement sensible à l’influence de l’opposition social-démocrate (PSD). Elle l’a encore récemment montré en contribuant substantiellement à la chute du régime PSD (2016-19) de Liviu Dragnea. Y siègent en effet entre autres des juges personnellement choisis par Klaus Iohannis et son parti (le PNL) – or ces juges, détail douloureux, ont eux aussi considéré les mesures en question (amendes astronomiques du confinement, puis internements forcés) comme anticonstitutionnelles – les verdicts en question ayant été rendus à l’unanimité.

Il y a encore un an, Mirel Bran faisait encore partie (et ce, depuis la chute du dieu tutélaire Băsescu) de ces « européanistes » roumains qui réagissaient par de véritables accès de furie à toute tentative des autorités politiques élues de mettre des bâtons dans les roues du pouvoir judiciaire, ou de se soustraire à ses décisions. Ils ont donc aussi bruyamment applaudi, l’année dernière, à l’incarcération de Liviu Dragnea, sur des chefs d’accusation qui, au même moment en France, auraient difficilement permis l’application d’une amende. Ils applaudissent désormais bruyamment les saillies despotiques d’un premier ministre (L. Orban) qui incite publiquement les citoyens de son pays à se rebeller contre l’ordre constitutionnel. Et ce, alors que même la nomination (la dernière en date, du moins) dudit Ludovic Orban à son poste s’est produite dans des circonstances anticonstitutionnelles, et qu’il ne gouverne que du fait de l’apathie suspecte du PSD, qui contrôle toujours potentiellement une majorité de facto au parlement roumain. En mars, cela n’a pas empêché ledit PSD, sous prétexte d’union nationale contre le péril grippal, de voter en faveur des plein pouvoirs de Ludovic Orban. Sous la conduite d’un certain Marcel Ciulacu (notoirement lié à l’État profond), ce même PSD s’apprête maintenant à voter aussi en faveur de la loi au moyen de laquelle Ludovic Orban prévoit de contourner l’arrêt de la CCR.

Comme on le voit, au terme d’une cure intensive d’intimidation et d’infiltration administrée par l’État profond, le PSD est désormais bien guéri du virus « populiste » dont il souffrait encore par moment sous la conduite de Liviu Dragnea. Si bien que, si la démocratie a encore le moindre avenir post-Covid en Roumanie, son rétablissement passera probablement – comme en France – par un renouvellement de fond en comble de l’échiquier politique. Quant à l’échiquier médiatique, les Roumains semblent, pour beaucoup, avoir déjà tiré les leçons de l’épisode : depuis plusieurs mois, la youtoubeuse « covido-sceptique » Dana Budeanu (jadis spécialisée dans la mode) réalise quotidiennement une audience supérieure à celle de la plupart des grands sites de presse (subventionnée) du pays. À propos : si quelqu’un lit encore le Monde : merci de vous signaler sur Facebook à l’auteur de cet article, qui adore les vieilleries et fait collection de comportements surannés.