Pologne – Compte-rendu des événements de Varsovie du 30 octobre 2020 et bilan de la situation.
Hélicoptères, bruits de sirènes, policiers armés de boucliers, militaires dans les rues, … les quelques rares touristes visitant Varsovie ce vendredi 30 octobre ont pu assister à des scènes peu communes dans la capitale polonaise d’habitude si paisible, bien que tout le pays est animé depuis une semaine par des dizaines de manifestations dans le cadre du plus important mouvement de contestation politique polonais depuis le retour du PiS au pouvoir en 2015.
Ce vendredi 30 octobre avait lieu la « Marche sur Varsovie » organisée par plusieurs mouvements féministes et LGBT sous le nom de « Grève des femmes » (Strajk Kobiet) dont le but était de montrer l’opposition des Polonais au jugement du Tribunal constitutionnel qui met fin à l’avortement eugénique. Selon les premières estimations de la police, le nombre de participants pouvait être compté par « dizaines de milliers », et la presse sympathisante du mouvement ainsi que les activistes organisant l’événement parlent d’environ cent mille personnes. Dans le cortège, plusieurs figures de l’opposition.
Suite aux nombreux incidents ayant eu lieu ces derniers jours, les autorités n’ont pas fait les choses à moitié. Au total, au moins cinquante militaires et tout autant de policiers montaient la garde en face de l’église de la Sainte-Croix, souvent prise pour cible par les activistes féministes et LGBT. Bien que toujours aussi vulgaires dans leur slogans, il semblerait qu’ils aient été découragés par le dispositif de sécurité mis en place pour commettre des nouveaux actes de vandalisme et de profanation.
Il faut également souligner les efforts fournis ces derniers jours par les médias de gauche libérale qui, en plus d’encourager vivement ces rassemblements de masse, fournissent aux manifestants toute une série de conseil pratiques sur la manière de procéder en cas de confrontation avec les forces de l’ordre.
L’un des trois points de rassemblement des manifestants était la place du Château, où les opposants au gouvernement se sont donné rendez-vous à 17h. Vers 17h05, un groupe de quelques dizaines de hooligans qui s’étaient rassemblés sur la place de la vieille ville se sont rués en groupe en direction de la place du Château pour intimider les manifestants aux cris de slogans hostiles aux antifas. Ils furent repoussés par un groupe d’une quarantaine de policiers, la police veillant à éviter les affrontements. Cela n’empêchera pas, plus tard dans la soirée, de voir apparaître des vidéos sur internet montrant quelques échauffourées. Plusieurs personnes ont été arrêtées et d’autres blessées, aucun bilan n’a été communiqué pour l’heure.
Au moment de l’écriture de ces lignes, les manifestants se trouvent devant la maison du leader du PiS Jarosław Kaczyński et entendent y rester un moment. Le nombre de camionnettes de police stationnées dans le secteur est invraisemblable et révélateur de la belligérance extrême des manifestants à l’égard de l’homme fort du gouvernement, ainsi que des craintes des autorités qui ne veulent prendre aucun risque.
La fin justifie les moyens
Cela fait maintenant une semaine que les Varsoviens peuvent lire sur les murs de leur ville, sur les trottoirs, les églises et autres que « c’est la guerre », le mot d’ordre du mouvement. En effet, l’attitude des figures principales du mouvement contestataire va clairement dans ce sens. Parmi les objectifs des manifestants : démission du gouvernement et légalisation de l’avortement. Une demande qui va plus loin que le simple rejet du jugement du Tribunal ayant déclenché ce mouvement. Le gouvernement et Jarosław Kaczyński ont rejeté en bloc cette demande.
Interrogée par une journaliste de la chaîne libérale Radio Zet sur la véritable nécessité de s’attaquer aux Catholiques et aux églises dans le cadre de la contestation, l’initiatrice du mouvement « Grève des femmes », la féministe radicale Marta Lempart, a répondu par l’affirmative. À la grande surprise de la journaliste, Lempart a expliqué qu’il convenait de « faire comme on le sent, du moment qu’on est efficace, » et ne condamnant pas les violences et les attaques de lieux de culte.
Il ne s’agit là pas de l’unique maladresse dans la communication du mouvement. Un historien de Cracovie a par exemple découvert, à son grand désarroi, que le mouvement « Grève des femmes » à eu le mauvais goût d’adapter une image de propagande datant de l’occupation de la Pologne par l’Allemagne nazie, sujet toujours sensible en Pologne. La photo originale montre cinq jeunes femmes souriantes à bord d’un train en route vers l’Allemagne avec l’inscription « nous partons vers le Reich ». Une référence passe mal, alors que le souvenir de ces déportations de travailleuses, présentées sur l’affiche tout sourire, est toujours vif et encore porté par des survivantes.
Un mois de novembre qui s’annonce mouvementé
La « Marche sur Varsovie » de ce vendredi était de loin la plus importante de la série « Grève des femmes » jusqu’à maintenant. Pourtant, elle n’était certainement pas la dernière. Les organisateurs et les participants eux-même ont dores et déjà fait savoir qu’ils continueront à défiler dans les rues dans les jours voire les semaines à venir « si cela est nécessaire ». Or les restrictions liées à la pandémie du COVID-19 interdisent (en théorie seulement, comme on peut l’observer) les rassemblements de plus de cinq personnes.
Le gouvernement semble peu à peu perdre le contrôle de la situation. À peine sorti victorieux d’une période tumultueuse, le gouvernement se trouve de nouveau dos au mur. Dans un soucis de calmer quelque peu les esprits, constatant l’ampleur de la contestation qui dépasse les cercles féministes et militants, le Président Andrzej Duda a fait savoir qu’il désirait que voie le jour « un compromis sur la question de l’avortement qui ne modifierait pas pour autant l’esprit même de la nouvelle loi ».
Concernant la fête de la Toussaint, il faut savoir que la Pologne est un pays dans lequel les cimetières sont abondamment visités à cette période de l’année. C’est pourquoi la décision tardive du Premier ministre Mateusz Morawiecki sur la fermeture des cimetières a fait grincer des dents les vendeurs de fleurs – entre autres. Ceux-ci n’ont pas vraiment eu le temps de se préparer à cette décision qui fut, une fois encore, soudaine. Les restrictions – contraires à ce qui était initialement prévu – quant à cette fête très importante dans le pays, alors même que pendant ce temps, des dizaines de milliers de manifestants défilent sur tout le territoire, laisse un goût amer à certains, notamment électeurs du PiS et attachés à la tradition de la Toussaint et du Jour des Morts.
Enfin, un sujet qui va certainement provoquer de vives discussion dans le jours à venir est celui de la Marche de l’Indépendance. Organisée par plusieurs mouvements catholiques et nationalistes, ce grand rassemblement patriotique a lieu tous les ans en date du 11 novembre à l’occasion de la fête de l’Indépendance.
Le maire libéral de Varsovie, Rafał Trzaskowski, candidat malheureux à la présidentielle cet été face à Andrzej Duda, a annoncé qu’il ne l’autorisera pas. Les organisateurs, eux, ne l’entendent pas de cette oreille et ont assuré à plusieurs reprises que la Marche aurait lieu, que cela plaise à Trzaskowski ou pas, et malgré les interdictions de rassemblement du gouvernement. Rafał Trzaskowski, interrogé au sujet de ce double standard, a affirmé cyniquement que « ce qui différencie les manifestations féministes de ces derniers jours de la Marche de l’Indépendance est le fait que les premières sont spontanées ». Il faut noter que Robert Bąkiewicz, président du mouvement patriotique qui organise la Marche de l’Indépendance chaque année, a été un des premiers à appeler les Polonais à aller protéger les églises contre les activistes anticléricaux.
L’édition 2020 de la Marche de l’Indépendance aura donc lieu dans un contexte particulièrement tendu.