Papier d’opinion
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Non, le procès en Pologne contre deux historiens polonais, avec des origines juives, n’est pas un nouveau procès Dreyfus, expliquait le 8 février dernier en anglais, dans les colonnes du journal israélien Haaretz, l’historien israélien Daniel Blatman, spécialiste de la Shoah à l’Université hébraïque de Jérusalem et historien-en-chef du musée du Ghetto de Varsovie.
J’exposais la semaine dernière les détails de cette affaire dans un article publié par le Visegrád Post : « Un procès en diffamation concernant les complicités polonaises dans la Shoah relance la polémique ».
Dommage que les grands médias français n’aient pas lu ne serait-ce que l’article de Blatman avant d’écrire des âneries sur ce procès en diffamation intenté par la nièce d’un maire de village polonais dont la mémoire a été injustement souillée dans le livre de Jan Grabowski et Barbara Engelking consacré aux crimes polonais commis contre des Juifs pendant la Seconde guerre mondiale.
C’est surtout vrai pour la radio publique France Culture qui s’est mis en tête de rendre le gouvernement polonais responsable d’un procès en diffamation intenté au civil et de défendre l’expression outrancière de « camps de la mort polonais » pour désigner les camps d’extermination mis en place par l’Allemagne nazie
sur les territoires annexés ou occupés correspondant à la Pologne d’avant-guerre. L’épisode « Des historiens sur le banc des accusés » du « Journal de l’histoire » est ainsi devenu célèbre ces dernières semaines dans les médias polonais et a même fait réagir le gouvernement de Mateusz Morawiecki. Pour illustrer un prétendu enthousiasme des Polonais pour les nazis, France Culture n’avait trouvé qu’une photo de la ville allemande de Dantzig.
« Ignorance ou révisionnisme ? Les approximations historiques de France Culture font réagir la Pologne », titre l’Observatoire du Journalisme à propos de cette émission.
Mais, sans aller aussi loin, d’autres médias français ont ânonné dans le même sens. « En Pologne, c’est la recherche sur la Shoah qu’on veut réduire au silence », selon un titre de Libération. « En Pologne, le gouvernement de nouveau accusé de vouloir réécrire l’Histoire de la Seconde Guerre mondiale », pour France Info. « Pologne : ‘La parole des victimes de la Shoah assassinée une deuxième fois », d’après France 24. Etc., etc. Selon la vision du Figaro, qui reprenait un article publié par le journal polonais de gauche, férocement hostile au gouvernement du PiS, Gazeta Wyborcza, « le parti au pouvoir a mis en branle tout l’appareil étatique, pour réduire au silence les spécialistes de l’Holocauste, qui mettent en évidence la collaboration de larges segments de la société polonaise. Le procès intenté contre les auteurs du livre ‘Night Without End’ va servir de banc d’essai à cette nouvelle stratégie. »
Autant de bobards et d’idioties qui montrent que les médias français ne se renseignent pas avant de pondre des émissions et articles ou bien qu’ils mentent sciemment à leurs lecteurs.
On ne peut que les renvoyer à cet article de Daniel Blatman dans le quotidien Haaretz. Blatman qui est, lui, au courant de l’affaire et de son contexte, y explique justement qu’il s’agit d’un procès en diffamation intenté au civil et que le gouvernement polonais ne peut pas empêcher un citoyen d’engager de telles poursuites.
Il y explique aussi que, contrairement à ce que s’imaginent nombre de journalistes français, la situation en Pologne pendant la Seconde Guerre mondiale était complexe et que les attitudes des uns et des autres n’ont pas toujours été en noir et blanc, y compris chez certains Polonais qui ont dénoncé des Juifs à l’occupant. Et il fait remarquer qu’il y a certains éléments troublants dans les recherches conduites par le professeur Jan Grabowski depuis le Canada, où il vit :
« Par exemple, dans le récent livre de ce dernier sur la police polonaise et les Juifs pendant l’occupation nazie, « On Duty : Participation of Blue and Criminal Police in the Destruction of the Jews » [De service : participation de la Police bleue et de la Police criminelle dans l’anéantissement des Juifs], il écrit que c’est la police [polonaise] qui a mené les recherches des Juifs cachés – citant en exemple la liquidation du ghetto de Cracovie – et qui les a remis aux Allemands. Il y a eu plus d’un cas où cela s’est effectivement produit. Mais dans ce cas, c’est en fait la police juive du ghetto qui l’a fait. On trouve également des erreurs de ce type dans le livre qui fait aujourd’hui l’objet du procès polonais. Il semble souvent que les innombrables témoignages évoqués dans les recherches de Grabowski n’ont pas toujours été dûment analysés par l’historien avant qu’il n’en tire des conclusions.
Les erreurs qui font que des Polonais sont accusés d’atrocités contre les Juifs alors que le tableau n’est pas du tout clair ont un impact explosif qui dépasse celui des autres erreurs qui peuvent se produire dans toute recherche historique. Selon Grabowski, le nombre de Juifs qui ont été assassinés par des Polonais, ou dont les Polonais ont été responsables de la mort (les ayant remis aux Allemands), est d’au moins 200 000. Il a du mal à présenter des documents crédibles à l’appui de cette affirmation, et bien sûr le nombre exact ne sera jamais connu.
Les choses en sont arrivées au point où d’excellents historiens polonais qui étudient de manière responsable et prudente l’histoire des Juifs polonais pendant la Shoah sont furieux que Grabowski, depuis le Canada, publie des chiffres et des articles problématiques (…) »
Mais vu des grands médias français, tout semble bon quand il s’agit de taper contre la Pologne gouvernée par les « populistes ». Contre le Camp du Mal, tous les amalgames sont permis.