Portrait de Tadeusz « Teddy » Pietrzykowski, le boxeur polonais devenu célèbre pour ses combats de boxe dans les camps de concentration allemands durant la Seconde Guerre mondiale.
Tadeusz Pietrzykowski a débuté sa carrière de boxeur comme adolescent au début des années 1930. Il fut notamment entraîné par le célèbre coach Feliks « Papa » Stamm. À l’aube de la Seconde Guerre mondiale, Tadeusz « Teddy » Pietrzykowski fut entre autres champion de Varsovie dans la catégorie poids plume.
Durant les premiers mois du conflit, il s’engagea activement dans la défense de la capitale polonaise face à l’envahisseur allemand. Au printemps 1940, il tenta de se rendre en France dans le but de rejoindre l’armée polonaise qui venait de s’y former. Arrêté par la gendarmerie hongroise près de la frontière hongro-yougoslave, il fut remis entre les mains des Allemands et soumis à une série d’interrogatoires par la Gestapo. Il fut alors torturé et passé à tabac à plusieurs reprises.
Le 14 juin 1940, Tadeusz Pietrzykowski fut transporté vers le camp de concentration KL Auschwitz en compagnie d’autres prisonniers.
Au cours des mois qui suivirent, ils eurent à endurer toutes sortes d’atrocités qui ont été décrites dans des centaines de livres, raison pour laquelle nous ne nous y attarderons pas. « Il se passait des choses qui nous choquaient, » se remémorera le héros de notre récit plusieurs décennies plus tard. « Personne n’envisageait de se rebeller. C’était une question de vie ou de mort. Le choix pour nous était vite fait. » (1)
Au cours de son emprisonnement, Pietrzykowski multiplia les travaux physiques qui, comme pour la plupart des détenus, dégradèrent sa santé au point d’atteindre un état proche de la mort par épuisement. Un jour d’automne, il se blessa volontairement le pied en se laissant tomber une poutre dessus dans l’espoir d’être redirigé vers un type d’activité plus « léger ». À son grand étonnement, c’est précisément ce qui arriva. Sa principale motivation pendant son « séjour » à Auschwitz était de trouver un stratagème lui permettant d’obtenir une dose supplémentaire de nourriture, étant donné les quantités risibles octroyées par les chefs de camp.
En mars 1941, un nouveau capo fit son apparition parmi les SS. La rumeur disait que Walter Dünning était un ancien champion de boxe de poids moyen. Dans les jours qui suivirent son arrivée, une vingtaine de prisonniers furent rendus « inaptes au travail » par ce boxeur d’une cruauté qui sema rapidement la terreur au sein du camp. Quelques semaines plus tard, un prisonnier vint à la rencontre de Tadeusz Pietrzykowski pour l’informer du fait que Dünning s’amusait à organiser des combats de boxe au sein du camp et que les volontaires se verraient octroyer une ration de pain supplémentaire. Les yeux de « Teddy » s’illuminèrent. N’ayant rien à perdre, il accepta donc le défi sans hésiter. Ses camarades de camp tentèrent en vain de le faire changer d’avis, expliquant que Dünning venait de rompre la mâchoire de deux autres prisonniers.
La « mise » à rafler pour la participation à ce combat représentait une misérable demi-miche de pain et un cube de margarine.
Le jour du combat, les prisonniers et les capos se rassemblèrent autour du ring improvisé au sein du camp. Les Allemands étaient impatients de voir leur compatriote pesant 70 kg mettre une raclée à ce polnisches schwein [cochon de Polonais] qui en pesait 30 de moins. Lorsque « Teddy » fit son apparition, les rires reprirent de plus belle. Dünning lui demanda s’il désirait vraiment se battre. L’intéressé acquiesça. Une seule pensée occupait son esprit : il y avait de la nourriture à la clef. L’allemand était là pour le prestige. Le Polonais, lui, pour survivre. « Ring frei! Kampf! » [Le ring est libre! Battez-vous!] s’écria l’arbitre et juge aîné du camp, Bruno Brodniewitsch. (2) Le combat commença.
Tadeusz Pietrzykowski racontera plus tard qu’il y a « des moments où l’impossible devient réalité ». Malgré son handicap (de part sa masse et sa santé), « Teddy » donna le tournis à son adversaire. Droite, droite, gauche, esquive, gauche, droite,… « Bij Niemca! » [Frappe l’Allemand !] l’encourageaient les détenus polonais. Après plusieurs rounds équilibrés, « Teddy » se retrouva finalement à la surprise générale en position de mettre Dünning K.O. Il se ravisa au dernier moment, ayant conscience des conséquences que cela aurait pu entrainer. Les SS étaient stupéfaits. « Teddy » reçut la ration de nourriture qui lui avait été promise et la partageât avec les prisonniers de son baraquement qui eux non plus n’en revenaient pas.
Durant les mois qui suivirent, Tadeusz Pietrzykowski fut sollicité à de nombreuses reprises pour combattre. Cela procurait un divertissement aux Allemands et de la nourriture si précieuse à notre héros et aux siens. Il n’était pas rare que Pietrzykowski affronte d’autres Polonais. Il racontera plus tard qu’il faisait son possible pour ne pas leur infliger de coups trop violents afin de de ne pas donner aux Allemands la satisfaction d’une lutte fratricide. « Un jour, je me battais pour cette soupe contre un Français extrêmement faible. Je dansais autour de mon adversaire pour que les Allemands aient du plaisir à regarder quand, furieux, il s’est jeté sur moi. J’ai esquivé son attaque et il a frappé l’arbitre de toutes ses forces. La joie du combat était double – 2 bols de soupe et un capo au tapis ». (3)
Avec le temps et l’accumulation des victoires, Pietrzykowski se forgea une solide réputation, y compris aux yeux des SS qui avaient des sentiments partagés à son égard. Certains lui montrait une certaine forme de respect tandis que d’autres n’éprouvaient que plus de dédain envers ce « sous-homme » squelettique capable de tabasser des représentants de la « race aryenne ».
En effet, « Teddy » affronta plusieurs ex-champions d’Allemagne parmi lesquels Wilhelm Maier (vice-champion d’Europe en 1927 chez les poids moyens et double champion d’Allemagne) ainsi qu’Harry Stein. Le Polonais sorti victorieux de chacun de ces duels (4). Les SS le surnommèrent Weiss Nebel [le brouillard blanc] en référence à la difficulté qu’éprouvaient ses adversaires pour l’atteindre avec leurs coups durant les combats.
En 1942, il survécut même à une tentative d’empoisonnement (5). En 1943, il fut transféré dans le camp de concentration de Neuengamme (au sud-est d’Hambourg), où il continua les combats de boxe. Il y combattu une vingtaine de fois et remporta la quasi-totalité de ces duels.
L’histoire de Tadeusz Pietrzykowski est aussi effroyable qu’inspirante. Au cours des années qu’il passa en tant que prisonnier des camps allemands, il fut témoin de scènes de tortures et d’humiliation les plus horribles et les plus dégradantes. Les SS s’en donnaient à cœur joie de voir ces hommes affamés, la peau sur les os, se faire mal mutuellement. Malgré toutes ces souffrances endurées, « Teddy » parvint non seulement à rester en vie mais également à donner une lueur d’espoir aux autres prisonniers de part ses victoires sur le ring.
Par ailleurs, il fut un membre particulièrement précieux et actif du mouvement conspirationniste coordonné par le légendaire Witold Pilecki à l’intérieur du camp d’Auschwitz. Parmi les autres personnages célèbres avec lesquels Tadeusz Pietrzykowski se lia d’amitié à Auschwitz, l’on peut citer le père Maksymilian Maria Kolbe – un prêtre polonais béatifié pour avoir donné sa vie pour un autre prisonnier.
Une fois la guerre terminée, Tadeusz Pietrzykowski retourna en Pologne. En raison de la dégradation considérable de sa santé, il ne fut pas en mesure de retrouver son niveau d’avant-guerre en boxe. Diplômé de l’Académie d’éducation physique de Varsovie en 1959, il fut pendant de nombreuses années professeur d’éducation physique dans la ville de Bielsko-Biała où il mourut le 17 avril 1991. Son histoire devrait figurer dans les livres d’histoire de nos enfants, pas seulement polonais.
- APMO, Zespół „Oświadczenia”, Relacja Tadeusza Pietrzykowskiego, t. 88, s. 5–6.
- idem, p. 10.
- Interview de Tadeusz Pietrzykowski, 1988.
- G. Wasylkowski, Pięściami o życie, „Sportowiec” 1989, n°13, p. 12.
- J. Cieślak, A. Molenda, Tadeusz Pietrzykowski ,„Teddy” 1917–1991, Katowice 1995 p. 91.