Article paru dans le Magyar Nemzet le 5 mars 2021.
Je fréquente ce merveilleux pays qu’est la Hongrie depuis 1978. À Eger, dans la Vallée de la Belle femme, au Balaton et ailleurs, j’ai fait la connaissance et je suis tombé amoureux de la province hongroise et de ses habitants. Je me suis fait des amis merveilleux à Debrecen et à Balatonfüred. Chez moi, à côté de Leipzig, dans mon jardin, je prépare la goulache dans un chaudron à l’allemande, mais selon la recette d’un ami hongrois. Je suis [en français dans le texte] Magyarország. Dans les années 1980, j’avais un abonnement au Budapester Rundschau, ce qui me permettait, toutes les deux semaines, de me tenir au courant des progrès de la liberté à Budapest. Pour moi, ce sont Imre Pozsgay et Miklós Németh qui ont fait émerger l’espoir de pouvoir un jour secouer le joug du système soviétique. En 2014, à l’occasion de la remise du prix Point Alpha, j’ai eu l’occasion d’adresser personnellement mes remerciements à Miklós Németh. Je sais que Viktor Orbán faisait aussi partie des hongrois courageux de cette époque.
Je n’oublie rien de tout cela.
Je ne peux par ailleurs que donner à tous les Hongrois le conseil suivant : tenez bon ! Ne vous laissez pas mettre à l’amende par des gens pour qui l’expérience, la connaissance, la culture et la conception de la vie de leur prétendu partenaire ne comptent absolument pas. Vous n’êtes pas les fauteurs de troubles de l’Union européenne. Bien au contraire ! Vous faites ce que vous avez déjà souvent fait : vous accordez une grande importance aux valeurs de l’Europe et vous les défendez. Vos critiques les plus durs veulent transformer la communauté des États européens en un monstre qui rééduque et homogénéise ! La Hongrie et la Pologne sont les contrepoids nécessaires à ce projet !
Je comparerais l’Union européenne à une grande tente, et je dois dire que, culturellement, elle s’est affaissée sur elle-même. Sans les pays du V4, les Pays baltes et l’Autriche, cette tente s’effondrerait en raison de la politique multiculturelle merkelienne – rappelant l’arrogance de la Grande Allemagne –, qui ne laisse aucune place à la différence entre les nations et les peuples européens, dans le cadre d’une homogénéisation sans visage et sans histoire – tout comme l’Empire romain d’Occident a silencieusement dépéri il y a 1 500 ans.
Celui qui aime l’Europe, qui aime l’Union européenne, celui-là devrait protéger et renforcer sa cohésion communautaire. L’attrait de l’esprit européen vient de nos racines communes, de la diversité de nos nations et de nos cultures, mais aussi d’intérêts communs en matière de défense, et se maintient à la condition que tous les États membres se comportent convenablement les uns avec les autres. L’Union européenne est une communauté créée par des volontés libres : elle n’a pas été créée par la contrainte, et la contrainte ne pourra pas la faire perdurer. Pour maintenir son unité, nous avons besoin d’intérêts convergents et de coopération. L’UE n’est pas un État central, dont Bruxelles serait la capitale ou Berlin la capitale de rechange. Bruxelles n’est que le lieu où les États membres, par le biais de leurs délégations, discutent des intérêts de l’Union européenne. Les États membres se mettent d’accord sur leur volonté commune, ils en décident de manière démocratique, et le font savoir. Ni plus, ni moins !
Quiconque cherche à contraindre les processus démocratiques d’un autre État membre par le contrôle du robinet à finances se comporte de manière dictatoriale.
Bruxelles n’a pas acheté de droit de servitude sur la vérité, et le territoire de diffusion des ondes de RTL, encore moins. Sans l’intervention courageuse de Viktor Orbán à l’automne 2015, les maîtres chanteurs de Bruxelles et le gouvernement Merkel appartiendraient depuis longtemps à l’histoire. Au lieu de remercier les Hongrois, les Allemands les insultent de manière indigne. Comme s’il ne suffisait pas que la Grande-Bretagne ait déjà quitté l’Union à cause d’une erreur historiquement incompréhensible de l’Europe de Merkel. Tom Bower – qui est entre autres l’auteur d’une biographie de Boris Johnson – a déclaré dans un entretien au Spiegel : « Je suis un européen de conviction, et j’ai voté contre le Brexit. Mais je vais vous dire une chose : dans tout ce drame du Brexit, j’ai le sentiment que le véritable malfaiteur, c’est Angela Merkel. »
En tant qu’allemand de l’Est, j’ai honte d’avoir à assister presque quotidiennement aux attaques contre la Hongrie et la Pologne auxquelles se livrent des hommes politiques européens ou nationaux qui ont l’air de tout ignorer de l’histoire. Comme Katarina Barley (sociale-démocrate, actuellement vice-présidente du Parlement européen) qui a déclaré : « Il faut les affamer financièrement. Ils ont besoin d’argent. » Après quoi elle a évoqué l’argent des contribuables européens migrant vers des « régimes comme celui d’Orbán et de Kaczyński ». Selon cette ancienne ministre du gouvernement fédéral allemand, ces deux hommes politiques « se consacrent avant tout à remplir leurs propres poches, tout en transformant leurs pays en un genre de démocratie qui n’a plus rien à voir avec les valeurs de l’UE. »
Ce ton ne fait certainement pas partie des valeurs que Madame Barley entend défendre. En s’aventurant à mettre au pilori « les régimes Orbán et Kaczyński », Barley se discrédite plutôt elle-même. On n’est pas obligé d’aimer Orbán et Kaczyński, mais – contrairement à Madame Barley – ils ont tous deux le soutien d’une grande majorité de leur population. Quant à Madame Barley, elle ne siège pas au Parlement européen parce qu’elle serait une femme politique brillante, mais avant tout parce qu’elle était en bonne place sur la liste du Parti social-démocrate aux dernières élections européennes, grâce à des logiques de quotas, qui ne prennent pas en compte les compétences de chacun. Orbán et Kaczyński sont légitimes pour représenter les intérêts de la Hongrie et de la Pologne. Madame Barley manque de bonnes manières, de connaissances historiques et d’autocritique.
Mettre des États-nations sous pression est la chose la plus stupide qu’un homme politique puisse faire – surtout quand il s’agit d’États qui ont sauvé l’Europe plus d’une fois. Malheureusement, ce discours de gendarme n’est pas un cas isolé dans la politique allemande.
Martin Schulz, pour se faire remarquer, n’hésite pas davantage à taquiner Orbán et la Hongrie.
L’Union européenne peut à juste titre être considérée comme un projet de paix. Mes objectifs en 1989 étaient la liberté, la démocratie, l’économie sociale de marché, l’unité allemande, la Communauté économique européenne et l’adhésion à l’OTAN, comme protection non-révocable contre un éventuel retour des velléités de conquête de Moscou. Et, bien sûr, je voulais une communauté européenne dans laquelle nous autres Allemands de l’Est aurions de tout évidence à nos côtés les peuples auxquels nous aussi devions notre liberté : les Hongrois, les Polonais, les Baltes, les Tchèques, les Slovaques, les Roumains et les Bulgares.
Nous partageons une histoire commune de la liberté, que Barley, Schulz, Manfred Weber et autres semblent complètement ignorer. Vous pourriez, bien sûr, me demander comment j’ose, une fois à l’étranger, condamner mon propre pays et ses politiciens ; ma réponse serait la suivante : l’attitude qu’adoptent actuellement face à la Hongrie les hommes politiques allemands me met très en colère. Car je sais à qui je dois ma liberté. Et je sais aussi qui, dans une situation critique, serait le plus facilement à nos côtés : les Hongrois.
En Allemagne, l’espace dans lequel se déploie l’expression des opinions se rétrécit de plus en plus. La liberté d’expression devient le luxe de ceux qui ne dépendent financièrement de personne. Tous les autres prennent de plus en plus de précautions quand ils donnent publiquement leur avis. Les opinions divergentes n’exposent pas à des amendes ou des peines de prison. De ce point de vue, l’Allemagne n’est pas une dictature. Les tribunaux y fonctionnent encore de manière indépendante. Mais quel intérêt cela a-t-il, du moment que les gens ont peur de perdre leur travail ? L’atmosphère de la société allemande était plus agréable par le passé.
Ces derniers temps, néanmoins, des résultats électoraux ont même été annulés, sur un ordre qu’a tout simplement transmis la Chancelière depuis l’Afrique du Sud où elle se trouvait. Voilà ce qui s’est passé en Thuringe, en février 2020. Le Bundestag et les Landtage se sont très nettement retirés des débats entourant la gestion de l’épidémie de Covid-19. Quant à la Hongrie, au printemps dernier, en Allemagne, des hommes politiques et de nombreux articles de presse se sont penchés sur les pleins-pouvoirs qu’a obtenus Orbán dans le cadre de la loi sur l’état d’urgence. Mais quand ces mêmes personnes ont pris les mêmes décisions en Allemagne, il n’a même pas été question de pleins-pouvoirs. Sont-ils incapables d’autocritique ? Ou sont-ils de simples hypocrites ? À vous d’en juger !
Cher Hongrois : ceux qui, en l’espace d’un siècle, ont dû supporter les traumatismes de deux dictatures savent mieux que d’autres quand leur liberté, leur démocratie et leur sécurité sont en danger. Ceux-là, en politique, cherchent toujours le centre, que, dans les débats publics de l’UE, il est aujourd’hui d’usage de décrier sous le nom de « droite », dans le cadre d’une rhétorique devenue étrangère au concept de démocratie. Je pense que c’est dans ces expériences historiques qu’on trouvera la racine de beaucoup des causes des conflits actuels, dont les Hongrois ne sont pas les seuls à souffrir.
Gunter Weißgerber
ancien social-démocrate, chef du groupe parlementaire du SPD au parlement de Saxe de 1990 à 2005, qui a quitté ce parti en 2019.
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Traduit du hongrois par le Visegrád Post