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Un journaliste conservateur interdit d’antenne pour sa critique de la politique anti-Covid du gouvernement polonais

Temps de lecture : 4 minutes

Pologne – Est-il encore permis en Pologne de critiquer la politique de lutte contre la pandémie de Covid-19 menée par le gouvernement ? On peut en douter après la suspension par la télévision publique de l’émission Warto Rozmawiać (« Parler en vaut la peine », ou « Cela vaut la peine de parler ») du journaliste conservateur Jan Pospieszalski à la suite les discussions organisées le 12 avril.

Des discussions lors desquelles les intervenants, et notamment deux médecins ayant signé à l’automne une lettre ouverte au gouvernement et aux médias pour une autre politique contre le Covid, se sont montrés extrêmement critiques par rapport aux restrictions sanitaires, à l’obligation du port du masque, notamment en extérieur, ou même à la vaccination de masse de toute la population adulte avec des vaccins encore insuffisamment testés alors que, pour la grande majorité des gens, le coronavirus chinois SARS-CoV-2 ne représente aucun danger.

Les deux médecins invités ont aussi parlé des procédures entamées contre eux par le Conseil de l’ordre des médecins du fait de leur signature apposée au bas de cette lettre ouverte qui pourrait avoir donné lieu, selon l’autorité de régulation de la profession médicale, à la propagation d’informations non conformes à l’état des connaissances scientifiques. Sans chercher à prendre position dans le débat médico-scientifique – pour autant qu’un tel débat puisse avoir lieu, justement – la discussion critique organisée par Pospieszalski à la télévision publique avait l’avantage de faire entendre des avis divergents alors que, s’il est un seul domaine où tous, ou presque, semblent d’accord dans le mainstream politico-médiatique polonais, c’est bien la politique sanitaire menée par le gouvernement Morawiecki sur les recommandations d’un Conseil médical dont la composition elle-même était critiquée dans l’émission Warto Rozmawiać. Ce n’était d’ailleurs pas la première fois que la politique anti-Covid du gouvernement était critiquée pendant ces émissions conduites sous l’égide de Jan Pospieszalski.

Photo : Capture d’écran / https://vod.tvp.pl/video/warto-rozmawiac

Mais cette fois, c’en était trop pour une députée du PiS, Joanna Lichocka, ancienne journaliste à Gazeta Polska (un journal où le PiS n’est jamais critiqué) et actuellement membre du Conseil des médias nationaux, l’institution chargée de nommer et révoquer les dirigeants des médias publics. « Comment est-ce possible que [la télévision publique] TVP émette une émission qui attaque la lutte contre l’épidémie, qui critique la politique du gouvernement dans ce domaine, qui remet en question le port du masque, etc. ? » Car pour Lichocka, « Jan Pospieszalski est sûrement contre le confinement parce qu’il ne peut pas gagner d’argent avec ses concerts [il est aussi musicien, NDLR], mais, en pleine pandémie et dans les médias publics, remettre en cause le besoin de porter le masque, se prononcer contre les restrictions, etc., c’est quand même un scandale ». S’exprimant sur Twitter après avoir visionné l’émission, la membre du Conseil des médias nationaux a promis d’intervenir auprès du président de TVP, Jacek Kurski.

Était-ce déjà à cause des positions trop critiques du journaliste face au confinement du printemps ? Depuis le mois de juin 2020, la transmission en direct de son émission était déjà passée de la chaîne d’information en continu TVP Info aux chaînes régionales TVP3, moins regardées, avec une retransmission tard dans la soirée sur la première chaîne TVP1. Mais juste avant l’enregistrement de l’émission du 19 avril, Pospieszalski a été informé que, pour cette fois, la transmission ne se ferait pas en direct. La discussion devait porter sur l’enseignement à distance, qui dure en Pologne de manière ininterrompue depuis le mois d’octobre, et ses conséquences négatives sur les enfants. Le ministre de l’Éducation Przemysław Czarnek lui-même avait répondu à l’invitation du journaliste Jan Pospieszalski, mais comme il le déclare à qui lui pose la question, c’est le ministre de la Santé Adam Niedzielski qui prend les décisions. Depuis son entrée au gouvernement en octobre, ce ministre de l’Éducation qui paraissait être un représentant de la droite des valeurs au sein du PiS s’avère n’être en fait qu’un simple exécutant des décisions prises par d’autres.

À ce jour, l’émission enregistrée le 19 avril n’a toujours pas été émise et le programme Warto Rozmawiać est suspendu jusqu’à nouvel ordre, même si Jan Pospieszalski assurait le 30 avril sur le profil Facebook de l’émission que, grâce aux pressions des téléspectateurs, on lui avait fait savoir qu’il devrait bientôt revenir à l’antenne, peut-être même encore en mai, mais cela reste à voir.

Pour justifier sa décision du 19 avril, la télévision publique TVP a fait publier un communiqué de sa « commission éthique » comme quoi l’émission Warto Rozmawiać du 12 avril n’avait pas respecté l’éthique journalistique car tous les intervenants étaient du même bord. C’est certes vrai, mais cela arrive parfois dans cette émission, comme dans d’autres, lorsque l’invité de l’autre bord refuse de venir. En l’occurrence, le porte-parole du Conseil de l’ordre des médecins avait préféré décliner l’invitation qui lui avait été faite par Pospieszalski et s’expliquer par écrit sur les procédures contre les médecins ayant publié la lettre ouverte appelant à un changement de politique contre la pandémie de Covid et signée par 430 médecins. Sa position exprimée par écrit a été citée dans l’émission et Pospieszalski l’a publiée intégralement sur Facebook. Et puis avoir une émission à 100 % hostile à la politique du gouvernement en la matière alors que la plupart des autres émissions de TVP et en particulier le service d’information de TVP y sont à 100 % favorables, n’est-ce pas justement apporter un peu de pluralisme et de diversité d’opinions dans les médias publics ? En outre, si l’on appliquait à toutes les émissions de TVP les mêmes critères de ce comité éthique que personne ne connaissait avant le communiqué concernant Warto Rozmawiać, la première chose à faire serait justement de suspendre son service d’information quotidien qui soutient toutes les politiques gouvernementales et ne critique que l’opposition, comme à l’époque de Donald Tusk, quand c’est le PiS qui était le principal parti d’opposition.

Quoi qu’il en soit, la réaction de la direction de la télévision publique rappelle furieusement l’époque des gouvernements libéraux de Donald Tusk, quand le même journaliste et la même émission avaient été relégués à des heures de faible écoute avant d’être plusieurs fois privés d’antenne puis rétablis face aux protestations massives des téléspectateurs. À l’époque, Jan Pospieszalski était le dernier journaliste conservateur apparaissant encore sur TVP après l’opération d’épuration des médias publics conduite par Tusk et ses amis en 2010-11. Ce fut notamment, mais pas seulement, ses remises en cause de la politique du gouvernement par rapport à l’enquête sur la catastrophe de Smolensk qui lui valurent d’être censuré par la télévision publique. Aujourd’hui c’est sa remise en cause de la politique du gouvernement par rapport à la lutte contre la pandémie de coronavirus qui lui valent de subir le même sort sous le gouvernement de Mateusz Morawiecki.