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La Commission européenne lance un ultimatum à la Pologne. Va-t-elle agir de même avec la France ?

Temps de lecture : 5 minutes

Pologne – La Commission européenne donne à la Pologne jusqu’au 16 août pour suspendre la Chambre disciplinaire de sa Cour suprême, faute de quoi elle saisira à nouveau la CJUE pour appliquer une amende journalière. La pénalité financière ira croissante avec chaque journée de non-application des mesures conservatoires adoptées par la CJUE et jugées contraires à la constitution nationale par le Tribunal constitutionnel polonais, car ordonnées dans un domaine – l’organisation et le fonctionnement du système judiciaire – où la Pologne n’a jamais cédé sa souveraineté à l’UE. Si la Pologne refuse de payer, l’argent sera retenu sur les fonds du budget et du plan de relance alloués à la Pologne.

La vice-présidente de la Commission européenne chargée des Valeurs et de la Transparence, Věra Jourová, a déclaré le mardi 20 juillet en conférence de presse :

« La Commission européenne a décidé aujourd’hui d’habiliter le commissaire Reynders, en sa qualité de commissaire à la justice, à adopter des mesures visant à inciter la République de Pologne à se conformer à une ordonnance et à un arrêt de la Cour de justice. Nous avons envoyé une lettre à ce sujet. Nous avons demandé à la Pologne de confirmer à la Commission qu’elle se conformera pleinement à l’ordonnance de la Cour du 14 juillet concernant la chambre disciplinaire. La Pologne doit nous informer des mesures prévues à cet effet d’ici le 16 août, comme l’a demandé la Cour. À défaut, la Commission demandera à la Cour de justice européenne d’imposer une astreinte à la Pologne. »

Le gouvernement polonais a réagi en faisant remarquer que de nombreuses décisions de la CJUE ne sont pas appliquées par différents pays, sans que cela donne lieu à ce type de menaces. En outre, ainsi que l’a répété le 20 juillet Radosław Fogiel, un des porte-paroles du PiS, après les déclarations gouvernementales allant dans le même sens : « Personne n’a jamais transféré à l’institution internationale qu’est l’Union européenne les compétences concernant le système judiciaire ».

Pour les Polonais, le deux poids, deux mesures de la Commission européenne est également évident face au fait qu’il aura fallu un an à la Commission pour enclencher une procédure contre l’Allemagne après que sa Cour constitutionnelle eut remis en cause la capacité de la CJUE à valider des opérations de la Banque centrale européenne ne respectant pas les traités européens en matière de rachat de dette souveraine. Il n’y a pas eu d’ultimatum non plus lorsque, le 8 juin, la Cour constitutionnelle à Bucarest a interdit aux tribunaux roumains d’appliquer une décision de la CJUE qui sortait du champ des compétences transférées à l’UE.

La Hongrie est bien évidemment l’autre victime de ce deux poids, deux mesures de la Commission européenne qui exige désormais, avant de débloquer les fonds européens, une réforme du système judiciaire hongrois pour approuver le Plan de relance soumis par Budapest. Rappelons en outre que, parallèlement, la Commission a annoncé son intention de forcer, par des moyens détournés (en invoquant différentes directives sans rapport direct avec l’objet de son attaque), la Pologne et la Hongrie à aligner leurs politiques sociétales sur l’Europe occidentale, notamment en matière de « droits LGBT ».

Dans ces conditions, il sera intéressant de voir comment réagira la Commission européenne si la France refuse de mettre en œuvre la décision rendue le 15 juillet par la CJUE à propos du temps de travail des militaires. En étendant aux militaires l’application de la directive européenne de 2003 sur le temps de travail, la CJUE empiète en effet sur un domaine de compétence exclusive des États membres de l’UE : la défense. Les réactions françaises laissent entendre que la validité de cet arrêt de la CJUE pourrait être contestée par Paris, de la même manière que Varsovie conteste la validité des décisions des juges européens concernant son système judiciaire.

« La ministre des Armées Florence Parly s’élève avec force contre cette décision de la Cour de Justice européenne », a déclaré le porte-parole du ministère des Armées au Figaro. « La ministre des armées, Florence Parly, a eu l’occasion à plusieurs reprises de rappeler devant la représentation nationale que sa détermination était complète pour préserver une armée française puissante au sein d’une Europe forte. Nous répondrons au droit par le droit. » Comme la Pologne pour les questions de justice, donc, puisque cette déclaration laisse augurer d’une saisine du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel dans le but de faire reconnaître la non-validité, en France, de l’arrêt de la CJUE concernant le temps de travail des militaires. C’est aussi ce à quoi appelle le centriste Jean-Louis Borloo, ancien chef de l’UDI et ancien ministre de François Fillon, également dans Le Figaro, quand il explique :

« En prenant cette décision, la CJUE fait fi de la souveraineté nationale de la France quant à sa sécurité et à la défense de ses intérêts essentiels. En indiquant que la directive sur le temps de travail s’applique aux forces armées, clé de voûte de la souveraineté nationale, la Cour commet une incroyable et insupportable erreur. Elle s’arroge un pouvoir qui n’est pas le sien. Par sa décision, elle en vient à remettre en cause le principe constitutionnel qui donne au chef de l’État français « la libre disposition des forces armées », pour qu’il assure l’indépendance de notre pays. Il serait irresponsable que les autorités publiques françaises se laissent imposer, sur un tel sujet, la sentence européenne. »

On croirait entendre les dirigeants polonais ou des membres de leur majorité parler de l’ingérence de la CJUE dans l’organisation et le fonctionnement de la justice dans leur pays, surtout quand Borloo poursuit ainsi :

« Aussi importe-t-il au plus haut point que le président de la République et le gouvernement refusent de se soumettre à la décision de la CJUE. Le combat est juridique – au Conseil constitutionnel et au Conseil d’État de le mener. Il est plus encore politique, et c’est aux dirigeants de la France de le conduire. En la matière, il ne saurait y avoir d’abdication. Il y va de la souveraineté non négociable de la France et de l’intérêt bien compris de l’Union européenne. »

Même son de cloche chez Édouard Philippe, le précédent premier ministre d’Emmanuel Macron, dans les colonnes du Monde :

« Je suis farouchement pro-européen. Tout dans mon engagement politique et ma filiation intellectuelle affirment mon attachement à la construction européenne. Mais cette décision de la plus haute juridiction européenne est dans son principe contraire aux intérêts nationaux les plus élémentaires. Elle touche au cœur de la souveraineté et de la sécurité de la France. Elle n’est pas acceptable. »

Mais il est vrai que la France, en tant que contributeur net du budget européen, est mieux placée que la Pologne pour résister aux menaces de retenue des fonds venant de Bruxelles. En ce qui concerne la Pologne, au regard du recul du premier ministre Mateusz Morawiecki au Conseil européen de décembre sur la question pourtant essentielle du « mécanisme d’état de droit », il est hautement probable que le parti de Jarosław Kaczyński décide de réformer en urgence la réforme de la Cour suprême de manière à répondre à l’arrêt du 15 juillet de la CJUE qui a décrété, après avoir été saisi par la Commission européenne, que la Chambre disciplinaire créée par la réforme de 2017 était incompatible avec le droit européen. Mais comme ce n’est pas le seul reproche fait à la Pologne par la Commission européenne, il est tout aussi probable que le conflit autour des réformes judiciaires réalisées en Pologne continuera de polluer l’atmosphère à Bruxelles parallèlement aux questions sociétales. L’Union européenne n’en sortira pas renforcée.

Et comme le faisait remarquer un éditorial du journal britannique pro-Brexit The Telegraph le 20 juillet à propos du jugement concernant le temps de travail des militaires, « la France est enfin en train de réaliser le coût du dogme européen d’une union toujours plus étroite », et « il est possible que, cette fois-ci, la CJUE ait eu les yeux plus gros que le ventre ».

Il n’en sera pas moins intéressant de voir si la Commission adresse à la France le même ultimatum qu’à la Pologne.