Hongrie – À près de huit mois du scrutin législatif hongrois du printemps 2022, la campagne électorale est désormais pleinement lancée.
Pour essayer de faire chuter le Fidesz de Viktor Orbán, au pouvoir avec une majorité constitutionnelle des 2/3 du Parlement depuis 2010,
une coalition inédite de 6 partis politiques (et de diverses autres personnalités ou formations plus marginales) se présente face au parti conservateur.
Cette coalition, qui s’est progressivement dessinée dès les jours qui ont suivi la victoire du Fidesz en 2018, a été clairement énoncée durant l’été 2020, et ses contours soigneusement élaborés depuis.
Pour mettre en œuvre cette coalition, les partis rassemblés ont décidé de passer par la case de l’élection primaire, sur le modèle américain éprouvé de longue date, et désormais largement exporté en Europe.
Les 6 partis coalisés sont les suivants :
- le DK (Demokratikus Koalíció ; Coalition Démocratique), parti libéral et européiste dirigé par l’ancien Premier ministre Ferenc Gyurcsány (2004-2009) et son épouse Klára Dobrev, eurodéputé ; longtemps modeste (5% des suffrages en 2018) en raison de la concurrence du MSZP (qu’il a finalement réussi à vampiriser) et la personnalité extrêmement controversée de Ferenc Gyurcsány suite aux événements de l’automne 2006, le DK a fini par percer lors des élections européennes de mai 2019 en devenant le premier parti d’opposition (16% des suffrages exprimés) ;
- le Jobbik, parti anciennement nationaliste radical (considéré au début des années 2010 comme le parti le plus extrémiste en Europe disposant d’une représentation parlementaire, et souvent accusé d’antisémitisme voire de néonazisme) devenu progressivement centriste à partir de 2016, dirigé depuis début 2020 par Péter Jakab ;
- Momentum, le mouvement des jeunes libéraux dirigé par András Fekete-Győr ; après une mise en orbite en 2018 (3% des suffrages, pas d’élus), le parti a effectué une belle percée aux européennes de mai 2019 (10% des suffrages, 2 eurodéputés) ;
- le MSZP, parti socialiste, en net déclin depuis une dizaine d’années, mais qui conserve toujours une représentation parlementaire ;
- le petit parti Párbeszéd (Dialogue), souvent très modeste dans les intentions de vote, mais dont le codirigeant n’est autre que Gergely Karácsony, le maire de Budapest ;
- le LMP, parti écologiste représenté au Parlement depuis 2010, en notable déclin depuis 2018.
À ces six formations, on peut également ajouter diverses structures plus modestes, dont notamment le MMM du maire de Hódmezővásárhely, Péter Marki-Zay, pionnier début 2018 de la coalition de toutes les oppositions (Jobbik inclus).
La primaire, dont les parrainages citoyens commencent à être récoltés depuis le 23 août, aura lieu en septembre (tour unique de scrutin pour les 106 circonscriptions uninominales et premier tour pour la désignation du candidat au poste de Premier ministre) et en octobre (second tour de scrutin pour la désignation du candidat au poste de Premier ministre).
L’objectif principal est de présenter des candidatures uniques dans les 106 circonscriptions uninominales (à un tour de scrutin), afin de ne pas répéter la situation de 2018 où la dispersion des candidatures a favorisé le Fidesz, notamment en raison du scrutin à un tour.
Les 6 partis organisateurs de la primaire, ainsi que les structures annexes ou autres députés d’opposition actuellement sans parti, ont ainsi pu présenter ou soutenir différents candidats dans chaque circonscription, et chaque citoyen hongrois qui aura 18 ans en avril 2022 peut voter pour les départager.
7 candidats pour un poste de Premier ministre
En ce qui concerne les candidats au poste de Premier ministre, ils seront finalement 7 à se lancer dans la course : le maire de Budapest Gergely Karácsony (avec le soutien de son parti Párbeszéd, du MSZP et du LMP), le président du Jobbik Péter Jakab, Klára Dobrev (DK), le président de Momentum András Fekete-Győr, le maire de Hódmezővásárhely Péter Márki-Zay, József Pálinkás, et arrivé à la dernière minute le libertarien anti-covidiste Áron Ecsenyi.
Sauf surprise venant de Fekete-Győr ou Márki-Zay, les trois favoris pour figurer au second tour (qui se jouera à trois candidats) sont Gergely Karácsony, Klára Dobrev et Péter Jakab. S’il est encore difficile de pronostiquer formellement un vainqueur à cette primaire, en raison des atouts et des faiblesses de chacun, l’auteur de ces lignes estime que le maire de Budapest Gergely Karácsony est probablement celui qui a les meilleures chances de concurrencer avec succès le Fidesz en 2022.
En effet, pour des raisons historiques, Péter Jakab (qui doit assumer le passé de son parti) et Klára Dobrev (qui doit assumer le passé de son mari) ont tous deux des faiblesses notables susceptibles de limiter le rassemblement large des électeurs autour de leur candidature.
La presse pro-gouvernementale concentre d’ailleurs ses attaques sur Gergely Karácsony, aussi bien sur son mauvais niveau d’anglais que sur sa gestion de la capitale (augmentation significative des problèmes de circulation dans la ville, retards dans la rénovation du Pont des Chaînes), et le dénonce (lui comme les autres candidats au demeurant) comme étant la marionnette de Ferenc Gyurcsány.
Et le programme dans tout cela ?
En ce qui concerne le programme de cette coalition inédite, inutile de chercher en l’état un programme très détaillé. Outre la critique en tous points et sans retenue de la responsabilité du Fidesz pour tout ce qui va mal (ou pas assez bien) dans le pays, l’idée motrice est assez simple : en finir avec « la corruption », et intégrer davantage l’Union européenne, notamment en rejoignant la zone euro et le Parquet européen.
Côté Fidesz, dans un contexte national (crise économique consécutive aux mesures covidiennes) et international (victoire de Joe Biden, affaiblissement au niveau européen après avoir quitté le PPE) plus difficile qu’en 2018, c’est un peu la même chose en ce qui concerne le programme, ou plutôt l’absence de programme. Le Fidesz oriente sa campagne sur ses valeurs et thématiques désormais classiques : un nationalisme conservateur, l’opposition à l’immigration illégale, la dénonciation des réseaux Soros, l’opposition (partielle) à la politique de « Bruxelles », et de façon plus appuyée depuis quelques mois la dénonciation de l’idéologie LGBT.
On notera également qu’en dehors de la question des vaccins « de l’Est » (Sinopharm chinois et Spoutnik-V russe), le Covid n’est pas un sujet de désaccord profond entre le Fidesz et les partis coalisés de l’opposition.
Il est au demeurant bien difficile de déterminer l’impact qu’aura le Covid sur le scrutin. En effet, outre la crise économique et les petits partis qui tentent de se positionner sur ce créneau, il y a également la question de la population adulte actuellement non-vaccinée (environ 1/3 des adultes fin août 2021) dans laquelle on retrouve un nombre important de gens issus de la communauté tzigane, assez fortement acquise au Fidesz ces dernières années.
La difficile existence des autres courants politiques
En dehors des deux pôles (Fidesz ; coalition de l’opposition) qui dominent largement la vie politique hongroise, seuls les nationalistes du parti Mi Hazánk (issu d’une scission du Jobbik en 2018) dirigé par László Toroczkai peuvent raisonnablement espérer franchir la barre des 5% et siéger dans la prochaine Assemblée. Outre les thématiques classiques du nationalisme radical hongrois, notamment sur les questions de « criminalité tzigane », le parti Mi Hazánk s’est également positionné sur l’anti-covidisme à partir de janvier 2021.
L’anti-covidisme est également le créneau du (monothématique) Parti de la Vie Normale (NÉP ; Normális Élet Pártja) fondé par le pharmacien György Gődény, première figure à avoir percé médiatiquement en Hongrie sur la thématique de l’anti-covidisme dès le début de la crise.
L’énigmatique et satirique Parti hongrois du chien à deux queues (MKKP) pourrait bien capter quelques voix à gauche, voire effectuer une percée surprise dans un contexte de déconstruction. Ce sera peut-être en revanche plus difficile pour le parti Polgári Válasz (Réponse citoyenne) dans lequel on retrouve deux anciens députés du Jobbik, János Bencsik et Tamás Sneider, qui tentent eux aussi de se frayer un chemin entre le Fidesz et les partis coalisés, tout en se tenant à distance du nationalisme radical (dont ils sont pourtant issus) désormais incarné par Mi Hazánk.
On peut aussi supposer que le désormais très marginal Parti communiste (Munkáspárt), dirigé par Gyula Thürmer qui a travaillé aux côtés de János Kádár, et dont les positions conservatrices peuvent parfois surprendre d’un point de vue occidental, présentera également une liste.