Pologne/Union européenne – La décision du Tribunal constitutionnel polonais du 7 octobre, qui faisait suite à une question posée par le premier ministre Mateusz Morawiecki, ne fait somme toute que rappeler des évidences, à savoir que le droit européen ne saurait primer sur le droit national des États membres – en l’occurrence la Pologne – que dans les domaines où lesdits États membres ont explicitement délégué leur souveraineté à l’Union européenne. Pourtant, les dirigeants de l’UE et de certains États d’Europe occidentale continuent de réagir de manière hystérique et outrancière, tandis qu’un autre son de cloche se fait entendre en Europe centrale.
Von der Leyen : « de sérieux problèmes liés à la primauté du droit européen »
C’est ainsi que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, brandit déjà la menace d’une procédure d’infraction aux traités en vertu du désormais célèbre article 7 – pour avoir simplement rappelé ce qu’il y est écrit noir sur blanc ? Le commissaire à l’énergie Kadri Simson, cité par wPolityce, a résumé le point de vue de Mme von der Leyen : « La présidente [de la Commission] a souligné que
notre objectif doit être de garantir que les droits des citoyens polonais soient protégés et que chacun puisse profiter des avantages de l’Union européenne, comme tous les autres citoyens.
Elle a expliqué qu’une analyse approfondie de cet arrêt était toujours en cours, mais qu’après une évaluation préliminaire, de sérieux problèmes liés à la primauté du droit européen pouvaient être constatés ».
Barley : « La Commission européenne doit engager une procédure »
De son côté, la 4ème vice-présidente du Parlement européen, l’Allemande Katarina Barley (SPD), qui avait déjà fait parler d’elle dernièrement en affirmant vouloir « affamer » financièrement la Pologne et la Hongrie, enfonce littéralement le clou : « La Commission européenne doit engager une procédure anti-infraction dans cette affaire.
Je ne peux pas imaginer que la Pologne reçoive de l’argent du Fonds de relance dans cette situation […] Si les pays de l’UE commencent à aborder librement le traité, l’UE perdra ses fondements.
Le marché intérieur ne fonctionnera pas dans de telles conditions. L’Union cessera de fonctionner », explique-t-elle dans le cadre d’un entretien avec le quotidien polonais Gazeta Wyborcza, poursuivant son propos en déclarant espérer que le futur gouvernement allemand – qui sera a priori dirigé par le social-démocrate Olaf Scholz – « adoptera une position très claire en matière d’État de droit et de démocratie en Pologne ».
Mark Rutte plaidera en faveur du rejet du plan de relance polonais
Un point de vue que partage pleinement le premier ministre libéral néerlandais Mark Rutte (VVD) qui – outre nous avoir fait savoir expressément que la princesse héritière des Pays-Bas serait autorisée à épouser une autre femme – a obtenu le soutien de la Chambre des députés (Tweede Kamer) en faveur d’une « ligne dure » vis-à-vis de la Pologne. Pour le député vert néerlandais Tom van der Lee (GroenLinks), la Commission européenne doit « agir aussi fort que possible » dans cette affaire, tandis que le chrétien-démocrate Mustafa Amhaouch (CDA), estimait que
« quand vous faites partie d’un club, vous suivez les règles de ce club ».
M. Rutte plaidera donc lors du prochain sommet européen en faveur du rejet du plan de relance polonais afin de priver la Pologne des 36 milliards d’euros qu’elle aurait dû recevoir : 24 milliards d’euros de subventions et 12 milliards d’euros de prêts.
Souveraineté, légitimité démocratique et ordre constitutionnel des États membres
On notera néanmoins que ce n’est pas toute l’Europe qui s’oppose à la position de Varsovie, loin de là. C’est ainsi que la Hongrie s’est immédiatement rangée aux côté de la Pologne, confirmant une fois de plus que Polonais et Hongrois sont deux bons amis (Lengyel, magyar – két jó barát / Polak, Węgier, dwa bratanki). L’eurodéputé hongrois László Trócsányi (Fidesz), ancien ministre de la Justice (2014-2019), a ainsi déclaré que « les institutions européennes ont lancé une attaque politique contre la décision de la semaine dernière de la cour constitutionnelle polonaise [or]
la cour constitutionnelle polonaise ne remet pas en cause la primauté du droit communautaire dans les cas où l’Union est compétente, mais déclare que la constitution nationale est au premier plan du système juridique
[…] Le Tribunal constitutionnel polonais a défendu la position selon laquelle la souveraineté, la légitimité démocratique et l’ordre constitutionnel des États membres sont le fondement des constitutions nationales qui constituent le cadre de l’application du droit de l’UE ». Un point de vue logiquement partagé par le ministre hongrois de la Justice, Judit Varga, qui a déclaré :
« Pour nous, c’est une étape très importante […] dans l’histoire de l’UE. Il faut dire ouvertement qu’il y a des domaines où l’Union ne peut pas s’ingérer et qu’elle doit toujours respecter l’identité constitutionnelle des États membres, leurs propres traditions culturelles et leur système constitutionnel
[…] Le traité précise également qu’il existe des domaines où les États n’ont jamais renoncé à leur souveraineté, ce qui implique logiquement la répartition des compétences entre l’Union et ses États membres. Ainsi, on ne peut parler de la suprématie du droit de l’UE que dans les domaines où des pouvoirs ont été transférés. […] On peut dire que dans ces compétences exercées conjointement, le droit de l’UE a la primauté. En revanche,
dans les domaines où les États membres n’ont jamais habilité les institutions de l’UE à s’ingérer dans leurs affaires, il ne peut être question de la primauté du droit de l’UE ».
Des juristes allemands et français partagent le point de vue polonais
L’ancien professeur d’économie politique à l’université de Mannheim, Roland Vaubel, soutient également cette position :
« Je partage la position des tribunaux constitutionnels allemand et polonais selon laquelle le jugement sur l’interprétation des compétences de l’UE ne peut pas être rendu par la Cour de justice de l’UE, mais uniquement par les tribunaux compétents des États membres.
C’est logique et c’est une conséquence du fait que les compétences ont été transférées au niveau de l’UE précisément par les États membres – conformément au principe d’attribution ». L’ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel français, Jean-Eric Schoettl, cité par wPolityce, dit d’ailleurs en substance la même chose.
Dans plusieurs pays d’Europe, les oppositions de droite, et parfois aussi de gauche, sont également d’avis que l’interprétation par la CJUE des traités et du droit européen ne saurait primer sur les constitutions nationales. C’est le cas par exemple en France de tous les candidats de droite et du centre-droit à l’élection présidentielle de l’année prochaine, qui promettent de récupérer une partie de la souveraineté confisquée par des décisions abusives de la cour européenne et de réaffirmer la primauté de la Constitution sur le territoire français. Même Arnaud Montebourg, ancien ministre de l’Économie de François Hollande et candidat de gauche à la présidentielle, a estimé après la décision du Tribunal constitutionnel polonais que « la défense de la souveraineté nationale des États membres est fondamentale », même s’il « n’approuve pas le gouvernement clérical et réactionnaire de la Pologne » (sic). En Italie, les deux plus gros partis de droite, Ligue et Frères d’Italie ont également pris position pour la Pologne dans ce conflit de juridictions, et c’est la même chose pour le parti conservateur Vox en Espagne.