Hongrie – De lundi à mercredi, la candidate du Rassemblement National (RN) était à Budapest pour rencontrer et négocier avec Viktor Orbán en vue de la formation d’un groupe parlementaire commun au Parlement européen. Cette rencontre annonce le début d’une coopération renforcée et s’inscrit dans une recomposition du paysage politique européen, où la ligne de fracture entre souverainistes et eurofédéralistes se dessine de plus en plus clairement.
Marine Le Pen reçue en grande pompe par Viktor Orbán
Les autorités hongroises ont mis les petits plats dans les grands pour recevoir la figure de proue du plus grand parti de France. Convoi de police, protocole de sécurité digne d’une réception de chef d’État en exercice, déjeuner officiel, conférence de presse d’égal à égal, rien n’a été ignoré pour donner le meilleur accueil possible à Marine Le Pen. « La manière dont Viktor Orbán m’a reçue [… est digne] d’une visite de chef d’État, » déclare la candidate à la présidence dans l’entretien accordé à l’auteur de ces lignes, réalisé pour L’Incorrect. Un accueil très apprécié par Marine Le Pen, qui s’est dite « honorée et extrêmement sensible » à cet accueil.
Interrogée sur le parallèle entre sa visite et celle du candidat pas encore déclaré Éric Zemmour un mois auparavant, elle insiste avec force : Éric Zemmour a été reçu en tant qu’intervenant à un colloque, tandis que sa visite à elle est politique, et donc pas du tout de la même nature. Quant à Viktor Orbán, également interrogé, il estime qu’il n’a pas à faire acte d’ingérence dans la politique française, et que son rôle est de chercher des alliés pour la Hongrie, pas de se prononcer sur le choix démocratique à venir des Français.
Orbán cherche des alliés en Europe
Quoiqu’il en soit, cette opération de séduction de la part du pouvoir hongrois n’est pas sans raison, somme toute assez évidente : sortis du PPE en début d’année, le Fidesz de Viktor Orbán a besoin de nouveaux alliés, ou plutôt, de consolider des alliances au niveau européen. La CDU n’étant plus au pouvoir en Allemagne, et pour un bon nombre d’années à venir selon le Premier ministre hongrois, la droite européenne va changer, se recomposer, explique-t-il. Dans cette optique, le RN devient un allié indispensable pour la Hongrie, de plus en plus attaquée par les institutions européennes.
Si Marine Le Pen en a conscience, la fin du « cordon sanitaire » imposé par le PPE – en réalité, les LR – au Fidesz est également appréciable pour le parti français. À défaut de vague populiste aux élections de 2019, l’actuelle recomposition annoncée des souverainistes européens pourrait aboutir à la formation d’un groupe parlementaire de près de 150 eurodéputés, ce qui en ferait la deuxième force politique derrière le PPE et permettrait aux altereuropéens de dépasser en nombre les socialistes. Une déclaration commune avait été publiée cet été, annonçant une coopération élargie au niveau européen entre divers partis actuellement membres de groupes différents.
Il reste des obstacles
Si la conférence de presse commune de Marine Le Pen et de Viktor Orbán n’a pas apporté d’annonce majeure, et notamment aucune annonce relative à la fondation du groupe parlementaire tant attendu, il est à noter que le gouvernement hongrois, qui avait temporisé à cause des élections allemandes, semble désormais fixé sur la composition à venir du prochain gouvernement allemand. Cet obstacle vient donc de tomber, mais d’autres persistent.
« Parfois, il y a de petites délégations qui ont peur de rentrer dans un très grand groupe, parce que ça fait beaucoup de délégations très grandes. La France, l’Italie et la Pologne sont de très grandes délégations, et donc il peut y avoir un certain nombre d’autres délégations qui craignent de ne pas être écoutées. Ce en quoi elles ont tort parce que nous avons vraiment un fonctionnement de groupe qui est éminemment respectueux, car nous considérons que chaque groupe est le représentant d’une nation et pas le représentant de quelques députés ou d’un pourcentage, » répond Marine Le Pen à ma question sur les obstacles concrets qui empêchent la formation du groupe dès maintenant. Parle-t-elle de la Hongrie lorsqu’elle évoque les petites délégations inquiètes de leur sort au sein de ce nouveau groupe à venir ?
Face à l’eurofédéralisme de plus en plus hostile et dont les idéologues sont comparés par Mme Le Pen à des animaux sauvages acculés dans le coin d’une cage, attaquant et grognant, l’homogénéité du groupe parlementaire est l’objectif recherchée par Marine Le Pen. La « violence inouïe de la déclaration de la Commission à la suite de la décision de la cour constitutionnelle polonaise est extrêmement révélatrice [… La Commission] s’accorde des pouvoirs qu’elle n’a pas dans les textes. C’est une réalité. Et ça, c’est la preuve d’une fébrilité. Et j’y vois un très bon signe, en fait, » explique-t-elle, optimiste, considérant l’hostilité grandissante des forces libérales au sein de l’UE comme un « baroud d’honneur ». Marine Le Pen développe : « ils sont d’autant plus agressifs qu’ils sentent que le vent tourne. Et que sont en train de monter en puissance des forces politiques qui vont les mettre en échec ».
Si une homogénéité sur l’aspect souverainiste que devrait revêtir l’Union et sur l’opposition au fantasme de nation européenne est possible, il reste de nombreux sujets de désaccords à surmonter. La question du rapport à la Russie, notamment, ainsi que le corolaire qui est le rapport à l’OTAN, restent des points sensibles de discorde.
Pour réformer l’Union européenne, Marine Le Pen veut s’allier avec l’Europe centrale
Quoiqu’il en soit, dans l’option où elle deviendrait présidente de la République française en avril 2022, Marine Le Pen est formelle : la France volera au secours de la Pologne et de la Hongrie.
Prendre l’Allemagne en tenailles pour réformer l’UE, voilà le projet. Raccorder la France et le bloc centre-européen donnerait assez de poids au sein de l’UE pour lancer des chantiers de réformes nécessaires, estime la candidate à la présidence française. Balayant sans ménagement « la légende, le fantasme qu’est le couple franco-allemand », Marine Le Pen estime qu’il est plus que temps de revenir à « l’alliance européenne des nations. L’objectif, c’est que les nations s’allient par le biais de coopérations qui ne sont pas forcées, qui ne doivent pas être imposées à l’encontre de l’intérêt des pays ».
Cette visite de Marine Le Pen en Hongrie clôture en tout cas une séquence européenne où elle a également pu rencontrer les Premiers ministres de Pologne et de Slovénie, dont les gouvernements sont également dans le viseur de l’Union européenne. Raffermie sur la scène européenne, Marine Le Pen va désormais pouvoir se recentrer sur la dimension nationale de sa campagne présidentielle, où elle se trouve actuellement au coude à coude pour l’accession au second tour avec Xavier Bertrand et Éric Zemmour, quand bien même ces derniers ne sont pas encore officiellement candidats ou candidats investis à la Présidence de la République.