Entretien avec Janez Janša, ancien Premier ministre slovène et président du Parti démocratique slovène (Slovenska demokratska stranka, SDS) : « Les processus politiques en Europe au cours des quinze dernières années se sont détournés de la démocratie. »
Janez Janša est l’une des principales figures de la politique d’Europe centrale depuis la chute du communisme dans la région. Il a joué un rôle actif dans la conquête de l’indépendance de la Slovénie vis-à-vis de la Yougoslavie et a été Premier ministre à trois reprises (2004-2008, 2012-2013 et 2020-2022). M. Janša est connu pour être le chef de son parti, le SDS (centre-droit), depuis 1993, ainsi que pour son activité prolifique sur Twitter, qui lui a valu le surnom de « Maréchal Twitto », en référence à l’ancien dirigeant yougoslave, le maréchal Tito. M. Janša a été emprisonné en 1988 pour son activisme contre le communisme. Il a été condamné à la prison une seconde fois, cette fois pour corruption, en 2013. Ce dernier jugement était motivé par des raisons politiques, selon M. Janša, qui a clamé son innocence. Les observateurs nationaux et internationaux ont reconnu des violations considérables des droits de M. Janša au cours du procès, et sa condamnation a été annulée à l’unanimité par la Cour constitutionnelle de Slovénie le 23 avril 2015.
Le Visegrád Post a eu l’occasion de rencontrer Janez Janša à Karpacz, en Pologne, où la personnalité politique la plus connue de Slovénie participait en tant que panéliste à une conférence. Notre rédacteur en chef, Ferenc Almássy, a mené un entretien avec lui sur son rôle dans l’indépendance de son pays, son soutien à l’Ukraine et ce qu’il pense être l’issue de la guerre, son point de vue sur la position actuelle de Viktor Orbán, l’évolution de l’Union européenne, la domination de la gauche en Slovénie depuis la fin du communisme, et son propre avenir politique.
Ferenc Almássy : Janez Janša, merci pour cet entretien pour TV Libertés et le Visegrád Post. Vous avez été trois fois Premier ministre de Slovénie, mais vous avez également participé au processus d’obtention de l’indépendance de votre pays vis-à-vis de la Yougoslavie. En guise d’introduction à notre entretien, j’aimerais d’abord revenir sur cette période et évoquer votre rôle dans l’indépendance de la Slovénie.
Janez Janša : C’est une histoire assez longue, donc je ne sais pas si vous avez assez de temps. (rires) En 1988, je faisais un travail similaire à celui que vous faites maintenant. J’étais journaliste indépendant pour un petit journal en Slovénie, et j’ai écrit quelques articles critiques sur le Parti communiste de Yougoslavie et l’Armée populaire yougoslave. J’ai été arrêté par le régime avec d’autres journalistes, mis dans une prison militaire, jugé et condamné à des années de prison. Mais lorsque nous avons été emprisonnés, le peuple slovène est sorti dans la rue et a manifesté pour la première fois depuis la prise de pouvoir par les communistes en Slovénie. Cela a changé la situation en Slovénie.
Grâce à cela, de nouveaux partis politiques se sont formés. Des élections semi-démocratiques ont été organisées en Slovénie. Avec une légère majorité de ces nouvelles forces politiques démocratiques, nous avons établi un gouvernement. J’étais le ministre de la défense de ce gouvernement – un ministre de la défense sans armée.
Ferenc Almássy : Mais dans une période de conflit.
Janez Janša : Oui. Puis nous avons organisé un référendum et demandé au peuple slovène s’il voulait toujours vivre dans une dictature communiste en Yougoslavie, ou s’il voulait la quitter pour établir un état slovène indépendant. Plus de 90 % de la population a voté oui, et six mois après le vote, nous avons déclaré l’indépendance. Le jour suivant, nous avons été attaqués par l’armée populaire yougoslave. C’était une agression comme celle de la Russie aujourd’hui en Ukraine, avec des attitudes similaires et un rapport de force similaire.
Nous n’avions pas de chars, pas d’avions de guerre, pas d’armes lourdes. L’armée populaire yougoslave était à l’époque la cinquième armée la plus forte d’Europe selon les chiffres, mais en réalité elle était corrompue à l’époque, comme l’armée russe, et comme toutes les armées communistes l’étaient. Le système n’était pas quelque chose pour lequel les gens voulaient mourir. Nous étions désavantagés, mais nous défendions notre propre pays, et c’est pourquoi nous l’avons emporté. Après dix jours, nous contrôlions notre territoire. L’armée populaire yougoslave s’est retirée de Slovénie. Nous étions libres.
C’est pourquoi, lorsque la Russie a envahi l’Ukraine, je savais exactement ce que les Ukrainiens ressentaient. Il est très important que quelqu’un les soutienne, et aille sur place pour les soutenir, parce que lorsque nous avons été attaqués, personne n’est venu nous soutenir.
Ferenc Almássy : Cela nous amène immédiatement à une autre question qui est un sujet brûlant, à savoir la guerre en Ukraine. Il est évident que vous soutenez l’Ukraine. On peut même le voir sur votre veste. En un mot, quelle est votre position concernant l’Ukraine et le soutien à l’Ukraine, et quelle sera, selon vous, l’issue de ce conflit ?
Janez Janša :
Il n’y a qu’une seule issue positive à ce conflit – positive pour l’Europe, pour le monde occidental, pour la démocratie, si vous voulez cette formulation – et c’est la défaite militaire des troupes russes en Ukraine. C’est la seule issue positive.
Il est difficile de prévoir quand cela se produira, mais il est très clair que si la Russie l’emporte en Ukraine, nous aurons une situation très dangereuse dans toutes les autres parties de l’Europe, et en particulier en Europe de l’Est. L’opinion publique occidentale en particulier n’est pas suffisamment consciente de cette situation. Les Ukrainiens se battent et meurent pour nous aussi, et ils méritent toutes les formes d’aide que nous pouvons leur apporter : militaire, financière, humanitaire, tout.
Ferenc Almássy : En parlant de l’Ukraine et du soutien à l’Ukraine, et en tant que journaliste à moitié hongrois, je me dois de poser cette question : comment percevez-vous la position hongroise ? Du point de vue hongrois, ce n’est pas leur guerre, et ils essaient de défendre leur intérêt national, surtout si l’on considère le fait qu’ils sont dépendants de l’énergie russe, donc ils essaient avant tout de s’assurer qu’ils auront toujours de l’énergie. Vous étiez proche de Viktor Orbán. Vous avez également travaillé avec lui – j’aimerais y revenir plus tard – mais comment voyez-vous la position hongroise sur l’Ukraine ?
Janez Janša : Viktor Orbán était mon ami. Il est toujours mon ami. Je comprends également les différences entre la perception publique de l’Ukraine en Pologne, par exemple, ainsi qu’en Slovénie et en Hongrie. Il y a des différences. Malheureusement, il y a eu de violents combats politiques entre l’Ukraine et la Hongrie concernant la minorité hongroise de l’Ukraine, car l’Ukraine a interdit l’utilisation des langues des minorités dans certaines parties du pays. Je peux imaginer ce qui se passerait si, par exemple, l’Autriche prenait une telle mesure à l’encontre de notre minorité en Carinthie. La Slovénie serait en flammes à cause des protestations, etc.
Je connais donc ces différences, et elles sont compréhensibles. Nous connaissons aussi l’histoire. Mais quand même, quand des gens meurent, c’est une situation différente, donc nous devons mettre ces différences de côté. Et la Hongrie l’a partiellement fait, il y a donc une énorme aide pour les réfugiés, une aide humanitaire et une aide médicale pour les soldats ukrainiens en Hongrie. Mais la Hongrie est contre l’aide militaire à l’Ukraine, qui est cruciale, donc ici nous avons des opinions différentes. Je pense que la Russie ne doit pas s’imposer en Ukraine, et pour éviter cela, nous devons également aider les Ukrainiens avec une aide militaire. C’est crucial. Il s’agit de notre avenir.
Mais en ce qui concerne les relations entre la Hongrie et la Russie, nous devons comprendre comment nous en sommes arrivés à cette situation. La Hongrie a subi des pressions, le plus souvent injustifiées et très dures de la part de Bruxelles sur de nombreuses questions, qui a utilisé le deux poids, deux mesures, ainsi qu’un certain type de sanctions économiques. La Hongrie a donc cherché d’autres partenariats. C’était compréhensible. Si vous êtes le gouvernement d’un pays, vous devez prendre soin de votre peuple et subvenir à ses besoins.
La Hongrie n’est donc pas la seule responsable de cette situation. Nous qui sommes plus âgés dans les salons d’Europe, nous connaissons l’histoire. Mais malgré tout
j’espère qu’au cours du mois d’octobre, le groupe de Visegrád se réunira à nouveau, parce que l’Europe centrale est d’une importance cruciale pour toute l’Europe – économiquement, politiquement, et aussi en matière de sécurité, ce qui est évident maintenant avec la guerre en Ukraine.
Ferenc Almássy : Il est intéressant que vous parliez du Groupe de Visegrád, car lorsque vous étiez Premier ministre, vous étiez très proactif dans votre travail avec le Groupe de Visegrád, et le format V4+ signifiait généralement l’inclusion de la Slovénie dans tout type de coopération. Comment voyez-vous l’avenir du V4 d’un point de vue slovène, puisque beaucoup de gens disent que le V4 est mort maintenant que la Hongrie et la Pologne ont des positions différentes sur la guerre en Ukraine ? Le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, vient de déclarer il y a quelques jours que, malgré leurs désaccords, cette coopération est toujours une nécessité et que nous devons toujours travailler ensemble. Alors comment voyez-vous l’avenir du V4 d’un point de vue slovène ? Quel est l’intérêt de la Slovénie pour le V4 ?
Janez Janša : Le V4 est un groupe unique. J’ai suivi le panel d’hier où ils ont parlé de ces dilemmes, et aussi de la question de savoir si le groupe devrait être élargi ou non. La grande majorité était contre l’élargissement car il existe d’autres initiatives qui couvrent un espace plus large – l’Initiative des Trois Mers (I3M), par exemple. Il y a aussi la question de savoir si ces types de coopération menacent l’Union européenne ou non.
Il est très clair pour moi que la coopération du V4 ne menace pas l’Union européenne. Elle la renforce.
Par exemple, personne ne dit que les pays du Benelux, qui coopèrent beaucoup plus étroitement que le groupe de Visegrád, menacent l’Union européenne, ou que les réunions entre la France et l’Allemagne menacent l’Union européenne. Ce n’est donc pas quelque chose d’unique en Europe. Ce n’est pas quelque chose de mauvais ; c’est quelque chose de bon.
Je pense qu’il y a maintenant des questions pour lesquelles une coopération fraternelle est nécessaire. Le groupe de Visegrád peut se réunir dans différents formats Visegrád+. Cela s’est déjà produit auparavant. Je me souviens que pendant mon premier mandat de Premier ministre, entre 2004 et 2008, nous – l’Autriche et la Slovénie – avons rencontré régulièrement le V4. La Croatie ne faisait pas encore partie de l’Union européenne. Et nous avons eu une excellente coopération. Peu importe le parti politique au pouvoir dans les États membres du groupe de Visegrád.
Je me souviens également qu’une situation similaire s’est déjà produite et que certains prédisaient la disparition du groupe de Visegrád en raison des troubles politiques survenus en Slovaquie il y a plusieurs décennies. Mais cela ne s’est pas produit. Le groupe de Visegrád y a survécu.
Je pense donc qu’il existe de nombreux domaines où la coopération est nécessaire dans cette partie de l’Europe par rapport à la position des autres parties de l’Europe concernant les problèmes internes de cette région. Le Groupe de Visegrád survivra, et j’espère que cette situation partiellement tendue causée par les différentes positions sur l’Ukraine sera surmontée très bientôt.
Ferenc Almássy : Plus tôt, vous avez dit que beaucoup de gens à l’Ouest ne sont pas conscients de la signification de ce qui se passe, en particulier en Ukraine. Vous venez également de dire qu’il y a d’autres groupes au sein de l’UE qui ne sont pas considérés comme un problème, comme le Benelux, alors que le V4 est souvent attaqué. Pensez-vous qu’il existe un deux poids, deux mesures en Europe occidentale par rapport aux pays d’Europe centrale et orientale ? Pensez-vous qu’il y a un problème de compréhension de leur part ? Comment voyez-vous cette situation ?
Janez Janša :
Je pense qu’il y a deux problèmes qui sont particulièrement dangereux pour l’existence de l’Union européenne. Le premier est l’intégration forcée.
L’Union européenne est une union de 27 États. Certains de ces États sont démocratiques depuis des siècles, d’autres depuis des décennies. Certains d’entre eux sont membres de l’Union européenne depuis longtemps, depuis près de deux tiers de siècle, tandis que d’autres pays l’ont rejoint récemment. Il n’est donc pas possible de forcer tout le monde à négocier sur la base des intérêts de ceux qui ont formé l’Union européenne, ou de ceux qui n’y sont entrés que récemment. Nous devons trouver une sorte de compromis.
Ainsi, ces propositions, émanant principalement de l’Allemagne, visant à annuler le processus de décision par consensus ou à introduire le vote à la majorité sur des questions cruciales concernant les droits souverains des États membres ne sont pas de nature à renforcer l’Union européenne. C’est l’un des plus grands dangers pour l’Union européenne. L’une des raisons pour lesquelles le Brexit a eu lieu est cette intégration forcée par certains États membres, et le Brexit a été le dernier avertissement. Nous devrions tirer une leçon du Brexit.
La deuxième chose la plus dangereuse qui menace l’existence de l’Union européenne est l’utilisation du deux poids, deux mesures.
Quand un journaliste est tué aux Pays-Bas, on fait pas toute une histoire. Ce n’est pas un problème. C’est un crime. Lorsque j’ai écrit un tweet pour me défendre contre les attaques désagréables de certains journalistes européens, il y a eu un tollé de la part de la Commission européenne qui a déclaré que nous menacions les journalistes.
Ferenc Almássy : Vous avez été accusé de porter atteinte à la liberté de la presse, d’essayer de l’intimider dans un tweet.
Janez Janša : Ce qui est complètement absurde, surtout si l’on prend en considération la situation en Slovénie, où la gauche domine les médias et ce depuis des décennies.
Rien n’a changé de manière significative depuis le système communiste. La gauche domine totalement le système judiciaire – les mêmes familles que par le passé : les personnes qui ont violé les droits de l’homme, les personnes qui nous ont envoyés en prison à l’époque communiste. Ils sont toujours présents dans notre système judiciaire. Mais lorsque nous essayons de faire quelques réformes démocratiques, nous sommes accusés d’interférer dans l’indépendance du pouvoir judiciaire.
J’ai été le premier à me battre pour l’indépendance du pouvoir judiciaire, mais ce n’est pas un pouvoir judiciaire indépendant. C’est la même chose en Pologne, par exemple.
Il est très difficile de comprendre pourquoi ils font cela.
Ce n’est pas quelque chose qui va rapprocher les membres de l’Union européenne. C’est son démantèlement que cela provoquera. Mais c’est un agenda politique qui domine les intérêts stratégiques. Même maintenant, alors que nous sommes en guerre, cette lutte idéologique au Parlement européen, poussée par certaines forces de gauche, se poursuit, ce qui est d’une incroyable stupidité.
Ferenc Almássy : Par exemple, la Pologne est évidemment le pays qui a apporté le plus de soutien à l’Ukraine, et ils sont toujours attaqués par la Commission européenne et les autres institutions européennes. Comment voyez-vous cela ? Pensez-vous qu’il s’agit uniquement d’un parti pris idéologique, ou voyez-vous autre chose ? Quel est le motif pour maintenir la pression sur la Pologne dans une telle situation ?
Janez Janša : La principale raison est le combat idéologique, mais cela n’est possible que parce que ces processus politiques en Europe, au cours des quinze dernières années, se sont détournés de la démocratie.
Ces forces de gauche parlent de démocratie libérale, de valeurs européennes et de droits de l’homme, mais presque jamais de manière concrète. Il s’agit simplement d’un type de formulation qui couvre parfois l’exact opposé.
Par exemple, si nous essayons de réformer le système judiciaire et de nous débarrasser des personnes qui ont violé les droits de l’homme, il ne s’agit pas d’une violation des droits de l’homme. C’est tout le contraire. Si nous nous battons pour plus d’équilibre dans l’espace médiatique, ce n’est pas tuer la liberté de la presse. C’est faire respecter la liberté de la presse et la liberté d’expression. Ils utilisent donc un langage dévoyé, pour ainsi dire.
Nous voyons clairement que c’est également le cas dans certaines législations. Ils ont essayé d’introduire le règne des personnes non élues – regardons par exemple combien d’argent va du budget européen à une variété d’ONG. Nous voyons que des milliards vont à certaines ONG qui sont nécessaires et qui sont bonnes, mais la grande majorité de cet argent va à des groupes de pression qui se font passer pour des ONG. C’est une attitude qui se répand également dans les États membres.
Nous en sommes arrivés à une situation où quelqu’un qui est élu, qui a le pouvoir du peuple derrière lui, est accusé d’être antidémocratique parce qu’il ne respecte pas la voix d’une ONG qui a été formée par un groupe de pression ou par le parti politique adverse. C’est très dangereux.
Cela détruit non seulement l’avenir de l’Union européenne, mais aussi la fibre même de la démocratie, car l’essence de la démocratie est de gouverner selon les lois du peuple, et non selon celles des ONG, des médias ou des multinationales.
Ferenc Almássy : J’aimerais revenir sur un sujet que les gens ne connaissent pas vraiment en France, ou en Europe occidentale plus généralement, à savoir l’intégration des autres pays des Balkans. C’est un sujet assez brûlant en Europe centrale. On en parle beaucoup en Hongrie, par exemple. Les pays du V4 soutiennent pleinement l’intégration des Balkans occidentaux dans l’UE. Quelle est votre position à ce sujet, et pourquoi est-ce un sujet important ?
Janez Janša :
Je suis en faveur de l’élargissement de l’Union européenne, et aussi de l’OTAN, depuis le début de ma vie politique, en partie parce que ce privilège nous a été accordé, alors pourquoi devrions-nous le refuser aux autres ? Pourquoi devrions-nous pratiquer le deux poids, deux mesures ?
Mais le plus important est qu’il est désormais évident que lorsque l’Union européenne et l’OTAN ne s’élargissent pas, quelqu’un d’autre le fait. Il est très clair que lorsque l’Ukraine a demandé à adhérer à l’OTAN en 2008, nous étions tous pour, sauf la France et l’Allemagne à l’époque. Elles ont dit : « Non, nous devons respecter les engagements de M. Poutine », etc., et nous avons reporté la décision – et la décision n’est jamais venue. Si nous avions fait cela lors du sommet de l’OTAN à Bucarest au printemps 2008, il n’y aurait pas de guerre en Ukraine aujourd’hui.
Bien sûr, nous aurions dû développer à ce moment-là, en 2008, – et c’était aussi une proposition du côté russe – une sorte de garantie de sécurité pour la Russie en même temps, et aussi accepter la Géorgie et l’Ukraine. Il n’y aurait alors pas de guerre là-bas maintenant.
Cette décision aurait été bien meilleure pour l’Europe. Nous aurions sauvé des centaines de milliers de vies et l’avenir de millions de personnes. Nous payons aujourd’hui le prix de décisions politiques erronées prises il y a une décennie et demie.
Ainsi, lorsque nous parlons de la crise énergétique aujourd’hui, rappelons-nous que la Russie a d’abord coupé le flux de gaz naturel vers l’Europe à Noël et au Nouvel An 2006. Il y a eu un énorme tollé à cette époque, et les Russes ont déclaré : « Nous arrêtons de fournir du gaz naturel à l’Europe parce que les Ukrainiens ne le paient pas ». À l’époque, le principal gazoduc passait par l’Ukraine. Ce qu’avançaient les Russes n’était pas vrai, mais le reste de l’Europe a cru à l’explication russe de la situation, et certains d’entre nous, surtout à l’Est, ont fait pression pour une décision différente. Nous avons poussé à la construction rapide de nouveaux gazoducs depuis le bassin de la Caspienne et à la construction de terminaux pour le gaz liquéfié. Mais la décision a été négative, et la construction de Nord Stream 2 a commencé. Nous avons dit : « D’accord, construisez Nord Stream 2, mais en même temps construisez aussi d’autres gazoducs, parce que si vous êtes dépendants d’une seule source en matière d’énergie, ce n’est pas seulement politiquement et stratégiquement mauvais, c’est aussi économiquement mauvais, parce que vous devrez payer le prix qu’ils demandent ». Mais la réponse, surtout du côté allemand, était que cela serait trop cher à court terme. Nous avons dit qu’à long terme, ce sera moins cher.
Lorsque nous avons discuté de cette question, la réponse a été la suivante : « Écoutez, notre mandat est de quatre ans, nous devons donc survivre quatre ans. Qui sait quel gouvernement il y aura dans 16 ans ? » Ces mauvaises décisions sont aussi le coût de la démocratie. Mais je pense tout de même qu’il s’agit d’un énorme échec de la classe politique de l’époque en Europe, et la génération actuelle paie le prix de ces deux principales mauvaises décisions qui ont été prises en 2006 et 2008.
Ferenc Almássy : Pour en revenir aux Balkans, y a-t-il un problème du point de vue slovène avec l’intégration de candidats comme la Serbie, la Bosnie, et d’autres ?
Janez Janša : Comme nous l’avons dit lorsque nous nous sommes battus pour le statut de candidat pour l’Ukraine, ce n’est pas la même chose que l’époque où nous sommes entrés dans l’Union européenne, qui était une époque dorée pour l’Europe : pas de menaces, et la prospérité économique partout. Aujourd’hui, la situation est différente. Il ne s’agit pas d’un processus bureaucratique, mais d’un processus stratégique. Il faut donc les accueillir le plus rapidement possible – mais bien sûr, nous ne devons pas les forcer à entrer. Ils doivent décider librement. Et s’ils décident librement, ils assument également la responsabilité de faire les réformes nécessaires.
Frenc Almássy : En ce qui concerne le passé, vous n’avez pas de problèmes avec la Serbie, par exemple, personnellement parlant ?
Janez Janša : Non. Les personnes qui ont déclenché la guerre contre la Slovénie sont pour la plupart déjà mortes. C’est une nouvelle situation aujourd’hui. La Slovénie est un fervent partisan de l’entrée de tous les pays des Balkans occidentaux dans l’Union européenne et l’OTAN.
Ferenc Almássy : La dernière question portera sur votre avenir. Vous avez été trois fois Premier ministre. Avez-vous l’intention de le devenir à nouveau ?
Janez Janša : En fait, je n’ai été Premier ministre avec un mandat complet qu’une seule fois, entre 2004 et 2008, et ensuite, à deux reprises, nous avons formé un gouvernement en raison des crises, malgré le fait que nous n’avions pas une forte majorité. Nous avons été appelés à réparer les choses pendant la crise économique [en 2012-2013]. Au début de 2020, le gouvernement de gauche, qui avait une forte majorité au parlement, s’est effondré parce qu’ils avaient peur de Covid, alors nous avons pris le relais pour tout arranger. Nous avons introduit les mesures nécessaires. Nous avons payé un prix politique pour cela. Nous avons encore besoin d’un mandat complet pour régler certaines choses. Nous avons raté l’occasion de les régler pendant la première partie de la période de transition. La Slovénie a donc encore besoin de certaines réformes qui avaient été promises lors de notre entrée dans l’Union européenne, mais qui n’ont jamais…
Ferenc Almássy : De quoi parlez-vous, précisément ?
Janez Janša : Je parle de l’amélioration de notre système fiscal, et de quelques autres questions concernant la création d’un espace vraiment libre pour le développement de notre économie, qui pourrait être beaucoup plus forte qu’elle ne l’est. Notre système est bon, mais nous devons encore réduire beaucoup la paperasse. Nous devons réformer le système judiciaire. C’est une condition préalable. Par exemple,
la Cour suprême et la Cour constitutionnelle sont deux organes politiques de gauche. Ce n’est pas un système judiciaire digne de ce nom que nous avons. Ils ont promis de le faire, et ils ont rempli ces tribunaux avec leurs gens. Ils l’ont fait. Personne n’a réagi en Europe lorsque nous avons essayé de les sensibiliser à ce sujet. Et bien sûr, nous devons faire quelque chose avec la pluralisation de l’espace médiatique, car tous les médias en Slovénie sont entre les mains des magnats de la gauche. C’est très évident pour quiconque vient en Slovénie, mais il n’y a toujours pas eu de réaction de l’UE.
Nous avons donc besoin d’un mandat complet avec une forte majorité pour régler ces problèmes et faire ce qui aurait dû être fait dans les premières années après l’indépendance. Mais comme je l’ai dit, les premières élections slovènes n’ont été libres qu’aux deux tiers parce que les communistes se sont réservés un tiers du parlement après les premières élections, ce qui nous a empêché d’adopter une nouvelle constitution, comme ils l’ont fait en Pologne et dans d’autres pays. Ils ont protégé certains de leurs privilèges. Après cela, nous n’avons jamais été assez forts pour obtenir une forte majorité, ou une majorité des deux tiers, pour changer cette constitution. Mais personne à l’Ouest n’est au courant de cela. Tout le monde sait que lorsque les électeurs polonais ont voté lors des premières élections, les communistes se sont réservés la moitié du parlement. En Slovénie, ils ont été plus malins, ils n’ont réservé qu’un tiers du parlement. (rires) Cela n’a pas été remarqué, mais c’était une manœuvre stratégique de leur part, car ils nous ont empêchés, nous, les forces démocratiques, d’adopter les réformes démocratiques vraiment nécessaires. Et nous en payons encore le prix. Lorsque nous parlons d’opportunités perdues et de mauvaises décisions, nous parlons aussi de notre situation intérieure, et pas seulement de celle des autres.
Ferenc Almássy : Merci beaucoup pour cet entretien pour TV Libertés et le Visegrád Post. Vous êtes très actif sur les réseaux sociaux, je suggère donc aux personnes qui veulent suivre votre travail de vous suivre sur Twitter notamment.
Janez Janša : Merci. C’est l’un de nos rares espaces libres où nous pouvons encore nous défendre.