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Árpád Göncz, La mémoire de la Hongrie démocratique

Temps de lecture : 3 minutes

Hongrie – Note de lecture par Philippe Boulanger sur le livre de Katy Cantagrel, Árpád Göncz. La mémoire de la Hongrie démocratique, biographie d’Árpád Göncz, premier président de la IIIe République de Hongrie au sortir du communisme.

Le 6 octobre 2015, Árpád Göncz décède. La Hongrie perd son premier président de l’ère post-communiste et démocratique. Traducteur, romancier et dramaturge, Göncz a joué un rôle similaire à celui rempli par Václav Havel en République tchèque. La transition démocratique, l’État de droit, la priorité donnée à l’éducation, la libre-pensée, les idées progressistes et l’assise populaire sont les principes qui ont bâti ses convictions et déterminé le sens de son engagement politique, éloigné de toute ambition personnelle.

Né le 10 février 1922 à Budapest, dans la Hongrie qui a perdu après la Première Guerre mondiale deux tiers de son territoire et de sa population (désormais sous souveraineté roumaine, tchécoslovaque, autrichienne ou yougoslave), Árpád Göncz se forme en droit à l’université Péter Pázmány, mais il est happé par l’accélération de l’histoire en Hongrie et en Europe dans les années trente. En 1941, il sert dans le 25e bataillon de réserve d’infanterie des montagnes, mais il déserte, hostile au nazisme avec lequel le régime hongrois s’est allié. Avant d’être un dissident anti-communiste, il est un résistant au nazisme.

L’après-guerre est une période qui façonne les convictions humanistes de Göncz. En 1945, il est séduit par le monde paysan. Alors qu’il collabore étroitement avec Béla Kovács, secrétaire général du Parti des petits paysans agraires (FKGP) expédié au goulag en 1947, il est interrogé par la police secrète (AVO). En 1949, la Hongrie devient la République populaire de Hongrie. Göncz se forme aux enjeux de l’agriculture, ce qui lui permettra non seulement de subvenir aux besoins de sa famille jusqu’en 1956 mais d’être en mesure d’acquérir un regard critique sur le modèle agricole soviétique, notamment au sein du Cercle de Petőfi (du nom du poète considéré comme l’inspirateur du nationalisme hongrois au XIXe siècle).

1956 constitue une année charnière dans l’histoire de la Hongrie. Avant que les jours révolutionnaires secouent le régime communiste, Göncz se rapproche d’Imre Nagy, aux idées réformistes, et d’István Bibó, docteur en droit et spécialiste en philosophie du droit, qui sera le grand intellectuel hongrois de ce siècle. Nagy, Bibó et Göncz prônent un socialisme démocratique et la réforme du régime depuis l’intérieur. Les États-Unis ayant informé Moscou que, sur fond de crise de Suez où se sont engagés les forces franco-britanniques, ils fermeront les yeux sur les opérations soviétiques dans le bloc de l’Est, les armées du pacte de Varsovie envahissent la Hongrie et répriment durement le mouvement (au départ étudiant) hongrois en novembre 1956. Nagy « disparaît » – sa dépouille ne sera identifiée qu’en 1990. Une rude épreuve afflige Göncz le « cinquante-sixard » : l’AVO l’arrache à sa femme et ses quatre enfants de 1957 à 1963. Après un procès truqué, il est incarcéré et n’échappe à la peine capitale que par miracle, sans doute par l’intervention directe ou indirecte du Premier ministre indien Jawaharlal Nehru.

La période carcérale comporte toutefois des éléments positifs : Göncz noue une complicité précieuse avec Bibó et perfectionne sa maîtrise de l’anglais. À la sortie de prison en 1963, à la suite d’un relatif dégel sous la direction de János Kádár, il s’installe comme traducteur de langue anglaise, ce qui lui donne une sécurité financière et une reconnaissance professionnelle dans les milieux littéraires. Il traduit en hongrois plus de cent-cinquante œuvres anglo-américaines, de James Baldwin à John Updike en passant par William Faulkner, Aldous Huxley, Susan Sontag et John R. R. Tolkien, qui l’inspire particulièrement. Il écrira dix-huit romans et nouvelles, rarement traduits en français.

Dans les années 1980, le régime de Budapest s’effrite. La Hongrie est travaillée à la fois par un courant réformiste et une indifférence à l’idéologie communiste. Vice-président du Comité pour la justice historique, Árpád Göncz cofonde le Réseau des initiatives libres et l’Alliance des démocrates libres (SZDSZ). Proche d’un certain populisme paysan après la guerre, il se range à présent sous la bannière euro-atlantiste et libérale, persuadé que l’avenir des Hongrois se situe dans l’OTAN et dans l’Union européenne. Le 2 mai 1990, il se hisse à la présidence de la République de Hongrie. Il use de son droit de grâce et de son droit de veto, s’opposant à des mesures du Premier ministre József Antall. Son action présidentielle durant deux mandats (1990-2000) est régie par la défense de la liberté, de l’indépendance nationale, de la conscience des responsabilités sociales et de l’humanisme.

Né dans la Hongrie de Trianon, Árpád Göncz meurt dans une Hongrie désormais membre de l’Union européenne, rejointe en 2004. Lors de son enterrement, un mois après son décès, assiste le Premier ministre Viktor Orbán, chantre de la démocratie illibérale avec lequel Göncz cohabite entre 1998 et 2000, et qui est réélu triomphalement pour un quatrième mandat consécutif le 3 avril 2022.

Katy Cantragrel, Árpád Göncz. La mémoire de la Hongrie démocratique, Paris, L’Harmattan, 2022, 138 pages, 15,50 €.