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Taxes réduites et subventions contre la crise de l’énergie en Pologne

Temps de lecture : 6 minutes

Pologne – L’envolée des prix de l’énergie avait commencé avant la guerre en Ukraine, et on ne le rappellera jamais assez. C’est ainsi qu’il y a un peu plus d’un an, au début du mois de décembre 2021, le premier ministre polonais Mateusz Morawiecki justifiait le « bouclier anti-inflation » mis en place par son gouvernement en assurant que l’inflation « a de nombreuses causes, et ses sources se trouvent principalement à l’étranger ». Ces causes, selon Morawiecki, c’était le chantage au gaz déjà exercé par la Russie (Gazprom avait fortement réduit ses livraisons par le gazoduc Yamal à un moment où l’Europe était en manque de gaz), la politique climatique de l’Union européenne et le Covid-19, ou plus exactement les politiques de confinement qui avaient rompu la chaîne d’approvisionnement en matières premières, mais aussi en carburants, avec notamment des raffineries qui avaient été fermées en Europe et en Amérique du Nord face à la baisse de la consommation et qui tardaient à redémarrer.

Un bouclier anti-inflation adopté dès l’automne 2021 et complété en janvier 2022

Ce bouclier anti-inflation mis en place alors que la Pologne enregistrait déjà une poussée de l’inflation à l’automne 2021 (l’inflation atteignait déjà 7 % sur un an) s’attaquait tout particulièrement aux prix de l’énergie, à la fois pour fournir une aide aux particuliers et aux entreprises et pour réduire l’inflation à venir. En ce qui concerne les carburants, le taux de TVA a été ramené de 23 % à 8 % et la taxe d’accise a été également réduite au minimum autorisé par l’UE. La TVA a aussi été réduite à 0 % sur le gaz naturel et les produits alimentaires ainsi que les engrais, et elle est passée de 23 % à 5 % sur l’électricité qui n’est plus soumise à la taxe d’accise quand elle est vendue aux particuliers.

Au départ prévu pour durer jusqu’au mois de juillet 2022, ce bouclier anti-inflation a ensuite vu son application prolongée jusqu’à la fin octobre puis jusqu’à la fin décembre 2022 en raison de l’aggravation de la situation consécutive à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. En janvier prochain, la TVA doit toutefois revenir à 23 % sur les carburants à la pompe et les stations d’essence anticipent déjà sur cette hausse puisque les prix à la pompe ne baissent plus depuis quelques semaines en Pologne malgré des cours du pétrole revenu à leur niveau d’avant la guerre en Ukraine et un taux de change du dollar revenu à des niveaux plus raisonnables après son pic de plus de 5 zlotys pour un dollar en septembre (contre environ 4 zlotys pour un dollar au début de l’année). Le dollar oscillait en effet dans la première quinzaine de décembre autour de 4,45 zlotys pour un dollar. Le gazole, comme le fioul domestique, reste quant à lui à des niveaux de prix très élevés du fait du manque de capacités de production de gazole par les raffineries européennes face à une demande qui est accrue cet automne par les besoins de la production d’électricité.

Le litre d’essence à la pompe coûtait en moyenne 1,39 € en Pologne début décembre contre 1,70 € en France et 1,74 € en Allemagne (source : GlobalPetroPrices.com, données pour le 5 décembre). Pour le gazole, le litre était en moyenne à 1,65 € en Pologne contre 1,82 € en France et 1,84 € en Allemagne. Les prix polonais devraient donc se rapprocher des prix français et allemands avec le rétablissement de la TVA à 23 % au 1er janvier : un retour au taux de base de la TVA imposé par la Commission européenne qui menaçait la Pologne d’une procédure d’infraction aux règles européennes. La même chose vaut pour le gaz naturel où un retour à la TVA à 23 % est aussi prévu à partir du 1er janvier sous la pression de la Commission européenne.

Des subventions pour l’achat du combustible de chauffage cet hiver

Après l’intervention sur les prix des carburants et du gaz, le gouvernement Morawiecki avait aussi dû réagir à l’envolée des prix du charbon consécutive à l’embargo sur le charbon russe introduit par la Pologne dès le mois d’avril 2022, afin de ne pas financer l’offensive russe en Ukraine en lui achetant cette matière première. Les discussions au sein de la majorité et avec l’opposition dans le cadre des débats parlementaires ont finalement abouti au début du mois d’août 2022 à une loi instaurant pour cette année à une subvention de 3000 zlotys (environ 640 euros, payables en une fois) par ménage qui se chauffe au charbon et qui en fait la demande.

Cette subvention a été plutôt bien accueillie, mais a immédiatement suscité des accusations de discrimination, y compris de la part du Défenseur des droits, à l’encontre des ménages se chauffant avec d’autres sources d’énergie, dont les prix ont eux aussi beaucoup augmenté. Le gouvernement Morawiecki s’est alors engagé à faire voter une loi pour accorder des subventions du même type en fonction du type de chauffage, et c’est ainsi que les Polonais ont pu demander une subvention de 3000 zlotys pour le bois et les granulés de bois ou autre type de biomasse, de 2000 zlotys (environ 425 euros) s’ils se chauffent au fioul et de 500 zlotys (environ 106 euros) pour le chauffage au GPL.

Contrairement à ce qu’on a pu constater par exemple en France, ces aides, tout comme le plafonnement des prix du gaz naturel, concernent tous les foyers, qu’il s’agisse de maisons individuelles, de copropriétés ou de coopératives résidentielles comme il en existe en Pologne. On évite ainsi en Pologne un phénomène observé en France ou au Royaume-Uni où les gens s’équipent massivement en radiateurs électriques alors que les capacités des centrales électriques risquent de ne pas suffire à couvrir les besoins en périodes de pointe cet hiver. Les coopératives résidentielles avaient certes été oubliées au départ par le gouvernement polonais, notamment quand il a été question de la subvention pour le chauffage au charbon, mais il a su réagir positivement aux critiques qui lui étaient adressées à ce sujet depuis la société civile et depuis les bancs de l’opposition.

Pour faire face aux problèmes de distribution et de spéculation liés aux difficultés rencontrées cette année, le gouvernement polonais a en outre mis en place à l’automne un programme de distribution de charbon subventionné aux communes aux fins de sa revente aux particuliers à 2000 zlotys la tonne maximum. Ce programme est en place jusqu’au 31 janvier prochain pour permettre aux plus de 4 millions de ménages polonais se chauffant encore au charbon de passer l’hiver.

Des prix réglementés du gaz qui coûtent très cher à l’État

Pour ce qui est des prix du gaz naturel, ceux-ci restent subventionnés par le biais des prix régulés. Le 1er décembre, la Diète a adopté avec 424 voix pour et 16 abstentions le projet de loi du gouvernement pour maintenir l’année prochaine le prix du gaz à 200,17 zlotys/MWh (un peu moins de 43 €) maximum pour le client final. Les tarifs de transport du gaz qui viennent s’ajouter à ce prix ont également été gelés. Le projet de loi est désormais entre les mains du Sénat.

Ce plafonnement concerne les particuliers, les utilisateurs « sensibles » (écoles, hôpitaux, établissements médico-sociaux, ONG, églises…) et il ne protège donc pas l’industrie. Pour les ménages, un remboursement de la TVA sur le gaz de chauffage est également prévu, mais sous condition de ressources. La loi prévoit jusqu’à 28 milliards de zlotys (près de 6 milliards d’euros) de compensations payées par le gouvernement aux entreprises gazières qui seront ainsi forcées de continuer à revendre leur gaz en dessous du prix d’achat, alors qu’en 2022 le gel des prix du gaz pour les particuliers aura coûté quelque 10 milliards de zlotys (environ 2,134 milliards d’euros).

Des prix de l’électricité qui tripleraient pour les consommateurs aux conditions du marché

En ce qui concerne l’électricité dont on craignait une explosion des prix du fait du triplement des prix du charbon au printemps et de la spéculation sur le marché européen des droits d’émissions de CO2 (plus de 70 % de l’électricité en Pologne provient des centrales à charbon), pour venir en aide aux ménages tout en promouvant les économies d’énergies, il a été décidé que les prix seraient gelés l’année prochaine au niveau de ceux de 2022, mais uniquement jusqu’à une consommation d’électricité de 2000 kWh sur l’année par foyer (ou 2600 kWh pour les familles nombreuses ou avec une personne handicapée et 3000 kWh pour les familles agricoles), et que la consommation au-dessus de cette limite verrait son prix augmenté jusqu’à un niveau plafonné. Pour les détenteurs de panneaux photovoltaïques, c’est la consommation nette de courant du réseau qui sera prise en compte pour le dépassement de cette consommation facturée au tarif de 2022.

Dans le cadre de cette politique qui a été cette fois baptisée « bouclier de solidarité », le tarif de l’électricité pour les usagers d’utilité publique ou autres entités « sensibles » ainsi que les PME et les collectivités locales est plafonné à 785 zlotys/MWh (environ 167 €) pour la consommation du 1er décembre 2022 au 31 décembre 2023. Pour les particuliers, le prix de l’électricité sera plafonné à 693 zlotys/MWh (environ 148 €) au-delà de la consommation concernée par le gel des prix au niveau de 2022.

Les tarifs régulés de l’électricité ont augmenté de près d’un quart en janvier 2022 par rapport à 2021 après des augmentations déjà conséquentes les deux années précédentes, et les compagnies d’électricité ont demandé pour 2023 à l’autorité de régulation du marché de l’électricité (URE) des hausses de 180 à 200 % des tarifs ! C’est des tarifs approuvés par l’URE que dépendront les compensations versées par l’État pour maintenir les prix payés par les usagers.

En novembre 2021, avant l’invasion de l’Ukraine, le Comité polonais de l’énergie électrique (PKEE), qui rassemble les principales compagnies du secteur polonais de l’électricité, alertait des risques liés à la politique climatique de l’UE en termes de coût pour les usagers et de l’impact négatif que cela pourrait avoir à terme sur la transformation énergétique. Le PKEE mettait notamment en garde contre l’effet lié à la volatilité des prix des droits d’émissions de CO2 dans le cadre du système européen de quotas d’émissions et aussi contre la tentation de l’UE d’accroître la taxation de l’énergie. Plutôt que d’avoir été un déclencheur de la crise énergétique, l’invasion de l’Ukraine en a été un révélateur et un facteur aggravant, et à défaut d’une politique de baisse des coûts de production, le budget des États membres ne pourra certainement pas continuer indéfiniment à subventionner l’énergie pour permettre aux gens de passer l’hiver.