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Les commémorations de Stepan Bandera en Ukraine passent mal en Pologne

Temps de lecture : 5 minutes

Pologne/Ukraine – Si, pour l’Ukraine, l’année a démarré avec les bombardements russes, le pays a aussi été le théâtre de nombreuses commémorations de Stepan Bandera, figure historique particulièrement controversée. Des cérémonies qui ne sont pas du goût des Polonais, qui se souviennent des abominables nettoyages ethniques des Polonais de Galicie durant la 2e Guerre mondiale, associés audit Bandera.

Une cicatrice douloureuse

Ce 1er janvier 2023 marqua le 114e anniversaire de Stepan Bandera. Depuis une dizaine d’années, défilés, marches et commémorations pullulent à travers le pays au premier jour de l’année, en particulier dans sa partie occidentale, pour célébrer cette figure majeure du nationalisme ukrainien.

Il est vrai qu’avec Roman Choukhevytch, Stepan Bandera est le père de l’indépendance ukrainienne, et ainsi une figure incontournable pour les Ukrainiens patriotes, en particulier dans une période d’épreuve aussi terrible – le conflit initié par la Russie durant en continu depuis le 24 février 2022 et de nombreux territoires d’Ukraine ayant été annexé par la Russie au moment où ces lignes sont écrites.

Mais le nom de Bandera n’est pas seulement associé à celui de l’indépendance ukrainienne et du patriotisme anti-communiste. Jusqu’à la 2e Guerre mondiale, l’ouest de l’actuelle Ukraine, la Galicie orientale et la Volhynie (anciennement, en français, Lodmérie), fut une terre multiethnique, multiculturelle et multiconfessionnelle appartenant à la République des Deux Nations (Pologne-Lituanie) entre les XIVe et XVIIIe siècles avant de devenir russe. Avant que la Pologne ne recouvre son indépendance à l’issue de la 1e Guerre mondiale et récupère ces territoires à la Russie, la partie occidentale de la Galicie et de la Volhynie appartint à la IIe République de Pologne durant l’entre-deux-guerres. Y cohabitait des Polonais, des Allemands, des Juifs, des Arméniens, des Grecs, et bien sûr des Ruthènes, plus tard assimilés aux Ukrainiens modernes.

Le recensement de 1931 indiquait que la Volhynie était peuplé à 64 % d’Ukrainiens, 15,6 % de Polonais, 10 % de Juifs, 2,3 % d’Allemands, et d’autres minorités moins importantes en nombre (Tchèques, Slovaques, Biélorusses, …).

Dans les années 1930, l’Organisation des Nationalistes Ukrainiens (OUN), créée en 1929, va structurer sa doctrine pour résister à l’emprise soviétique afin d’atteindre l’indépendance. Deux ennemis historiques sont alors désignés : l’URSS (la Russie) et la Pologne.

La violence et le terrorisme faisaient pleinement partie de la doctrine de l’OUN. Si la Pologne figurait parmi les ennemis externes, les Polonais d’Ukraine, eux, étaient désignés comme ennemis de l’intérieur. Durant la 2e Guerre mondiale, les nationalistes ukrainiens ont saisi leur chance pour lutter contre l’URSS et obtenir l’indépendance tant désirée de la Pologne et de l’URSS. Fin 1942 se forma l’Armée Insurrectionnelle Ukrainienne (UPA).

L’Allemagne était alors vue comme un allié pour se libérer de la domination soviétique, amenant les nationalistes ukrainiens à collaborer avec Hitler. La troisième clause de la Déclaration de l’Indépendance de l’Ukraine datant du 30 juin 1941 (8 jours après le début de l’invasion allemande de l’Union soviétique qui incluait alors les territoires ayant appartenu à la IIe République de Pologne) est sans équivoque :

« 3/ L’État ukrainien nouvellement formé travaillera en étroite collaboration avec le national-socialisme de la Grande Allemagne, sous la direction de son chef, Adolf Hitler, qui veut créer un nouvel ordre en Europe et dans le monde et aide les Ukrainiens à se libérer de l’occupation moscovite. (…) »

Un espoir qui déchantera vite, Hitler ayant d’autres projets pour le territoire ukrainien, n’impliquant pas la reconnaissance de l’indépendance ukrainienne.

Cela n’empêchera pas l’Ukraine d’avoir ensuite sa division SS, la « SS Galizien », qui participera activement au massacre des Juifs de Galicie. En Volhynie et en Galicie orientale, ce sont ensuite les Polonais qui seront visés, cette fois par les nationalistes ukrainiens de leur propre initiative.

Voici un extrait de l’ordre donné par l’OUN, le 2 février 1944, à ses membres :

« Liquidez toutes traces de polonité. Détruisez les églises catholiques et les autres lieux de prière polonais (…) Détruisez les habitations de sorte qu’il n’y ait plus aucune trace que quelqu’un vivait là (…) Gardez à l’esprit le fait que s’il reste quelque chose de Polonais, alors les Polonais viendront revendiquer nos terres ».

Entre 40 000 et 60 000 personnes, principalement des femmes et des enfants, furent alors massacrées par les nationalistes ukrainiens, de manière indicible. Le viol fut également employé comme arme de terreur, sur le modèle de ce que faisait l’Armée rouge. On estime à environ 100 000 le nombre des victimes polonaises tuées par les nationalistes ukrainiens durant la 2e Guerre mondiale.

Une provocation incompréhensible…

Malgré ce lourd passé, et malgré le soutien exceptionnel et sans faille de la Pologne à l’Ukraine dans le conflit actuel avec la Russie, ces commémorations continuent et bénéficient du soutien des autorités. Selon des chercheurs ukrainiens de Rating group, 74 % des Ukrainiens ont une opinion favorable de Stepan Bandera.

Le 1er janvier toujours, la Rada, le parlement ukrainien, a posté sur Twitter une publication commémorative de Stepan Bandera, où le général Valeriy Zaloujny, commandant en chef des forces armées ukrainiennes, apparaît tout sourire en photo avec un portrait de Stepan Bandera, le tout accompagné d’une citation de Bandera : « La victoire complète et finale du nationalisme ukrainien viendra lorsque l’empire russe aura cessé d’exister ».

En Ukraine, on argue que Bandera n’a ni soutenu ni condamné les nettoyages ethniques et que, emprisonné durant la majeure partie de la guerre, il n’était pas responsable directement des massacres. Sous le feu des critiques, en particulier venant de Pologne, le Tweet a cependant été effacé.

Car côté polonais, la glorification de Bandera passe mal. La chambre basse du parlement polonais, la Diète, a reconnu les massacres de Volhynie comme un génocide contre les Polonais. Le ministère des Affaires étrangères polonais a quant à lui protesté officiellement.

Kacper Płażyński, président de la Commission aux Affaires de l’UE de la Diète, et membre du PiS, le parti au pouvoir, a publié sur Twitter le 1er janvier, en réaction aux commémorations de Bandera en Ukraine : « Bandera était le meurtrier responsable du génocide des Polonais en 1943-44, lorsque les troupes de l’UPA ont tué d’horrible manière environ 100 000 civils polonais. Il est extrêmement surprenant qu’à un moment où nos amis ukrainiens combattent des bêtes sauvages semblables ils glorifient celle-là. »

Lundi 2 janvier, le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki a déclaré son intention de dire à son homologue ukrainien Denys Chmyal qu’il est inadmissible de glorifier Stepan Bandera, insistant sur le fait que la Pologne considérait les massacres de Volhynie comme un génocide et que le gouvernement polonais resterait ferme sur ce point.

…qui n’est pas isolée

Le président polonais Duda et le président ukrainien Zelensky ont toutefois entrepris de travailler sur la réconciliation. L’Ukraine a notamment concédé à la Pologne en 2020 le droit de réaliser des exhumations pour poursuivre le travail de recherche historique sur les massacres de Polonais, ce qu’auparavant bloquait la partie ukrainienne.

Mais malgré ce geste pour la réconciliation entre l’Ukraine et la Pologne, les provocations sont récurrentes du côté ukrainien.

Ainsi, la nomination de l’ancien ambassadeur d’Ukraine en Allemagne Andriy Melnyk, comme vice-ministre des Affaires étrangères, a provoqué du remous fin 2022. En effet, le diplomate ukrainien, habitué des réponses agressives et provocatrices sur les réseaux sociaux, est notamment connu pour son refus de considérer Bandera comme responsable des massacres de Juifs et de Polonais, et sa justification de la collaboration avec l’Allemagne.

Plus tôt, en 2021, la Pologne et Israël ont conjointement protesté contre l’initiative de nommer le stade de Ternopil d’après Roman Choukhevytch, le meneur de l’UPA, le bras armé de l’OUN de Stepan Bandera. Roman Choukhevytch, dans un ordre du 25 février 1944, avait déclaré : « À la vue des succès des forces soviétiques il est nécessaire d’accélérer la liquidation des Polonais, ils doivent être totalement annihilés, leurs villages brûlés… seules les populations polonaises doivent être détruites ».