Article paru sur le site de l’OJIM le 15 janvier 2023.
Courage ou conformisme ? Pendant le concert annuel « Saint Sylvestre de rêve » (Sylwester Marzeń) organisé par la télévision publique polonaise (TVP), les membres du groupe américain de hip hop Black Eyed Peas arboraient des brassards aux couleurs de l’arc-en-ciel LGBT et se sont fendus d’une critique des autorités du pays hôte : « Nous ne sommes pas Black Eyed PiS » aurait déclaré le leader du groupe aux représentants de la télévision TVP avant d’entrer en scène, jouant sur les mots Peas (pois) et PiS le nom du parti conservateur au pouvoir.
Déclaration d’amour anti polonaise
Après le concert, il a expliqué à ses fans : « Il faut parfois aller vers des gens qui n’ont pas les mêmes opinions pour les inspirer. Pour montrer ce qu’est la tolérance. C’était donc génial d’être ici, en Pologne, c’est un grand pays. » Et pendant le concert, avant d’interpréter un de leurs morceaux populaires intitulé « Where is the love » (Où est l’amour), ce même leader du groupe, qui se fait appeler « will.i.am. » a lancé : « Nous dédions la chanson suivante à tous ceux qui ont subi des attaques haineuses cette année : la communauté juive – nous vous aimons –, les gens d’origine africaine dans le monde entier – nous vous aimons –, la communauté LGBTQ – nous vous aimons. »
Les Polonais auront donc compris que ce groupe, qui aurait été payé un million de dollars, selon les informations données par les médias polonais, pour participer au concert de la Saint Sylvestre organisé par TVP, estime que les Juifs, les Africains et les personnes s’identifiant au sigle LGBTQ sont particulièrement visés en Pologne. Seul mot gentil à l’égard du pays qui les accueillait et les rémunérait pour ce réveillon du Jour de l’An : Will.i.am a remercié les Polonais pour leur aide à l’Ukraine en guerre. D’après le journal Gazeta Wyborcza, cela faisait partie du deal passé avec le président de la télévision publique TVP juste avant l’entrée en scène prévue des artistes qui menaçaient de boycotter le concert et rentrer chez eux si leur client leur refusait la possibilité de se passer ces brassards LGBT au bras.
Boycott d’une autre artiste
Les membres du groupe Black Eyed Peas ont ainsi mis leur client et hôte dans l’embarras alors qu’ils avaient justement été recrutés après le retrait brutal de « Mel C », ou Melanie Jayne Chrisholm, l’une des cinq Spice Girls. Mel C avait eu ouïe dire que TVP colportait des propos et contenus homophobes et avait sans doute craint pour sa réputation d’artiste tolérante et inclusive. La chanteuse britannique avait écrit sur son profil Facebook le 26 décembre (cinq jours seulement avant la date prévue du concert !) :
« À la lumière de certains problèmes qui ont été portés à mon attention et qui ne sont pas en accord avec les communautés que je soutiens, j’ai bien peur de ne plus pouvoir me produire en Pologne comme prévu le soir du Nouvel An. J’espère y retourner très bientôt. J’espère que vous passez tous un merveilleux Noël et je vous adresse mes meilleurs vœux pour 2023. »
Le deux poids deux mesures du lobby LGBT
La venue de Mel C avait été annoncée trois jours plus tôt dans la principale édition du journal télévisé de TVP. Si sa décision d’y renoncer a suscité l’enthousiasme des milieux gaucho-libéraux polonais, et plus encore des milieux LGBT ou « alliés » du lobby LGBT, d’autres – internautes, politiciens et médias – n’ont pas manqué de faire remarquer que la même artiste n’avait pas eu les mêmes états d’âmes avant de se produire en 2018 à Saint Pétersbourg, en Russie, pays où, contrairement à la Pologne, une loi interdit toute promotion de l’homosexualité à l’intention des mineurs. On trouve par exemple des vidéos de ce concert sur le site naszemiasto.pl, dans un article publié le lendemain de l’annonce par Melanie C de son retrait du concert organisé par TVP. La même année, la courageuse chanteuse se produisait aussi à Dubaï, aux Émirats arabes unis où, contrairement à la Pologne, l’homosexualité est un crime passible de peines pouvant aller de l’expulsion à la peine de mort en passant par la castration chimique et des amendes et des peines de réclusion pouvant atteindre dix ans de prison.
Les internautes et mêmes des membres du gouvernement polonais ont rapidement fait les mêmes remarques à propos de l’hypocrisie de Will.i.am. et de ses Black Eyed Peas quand ils se sont aperçus que les même artistes qui arboraient courageusement, sans prendre aucun risque, leurs brassards LGBT à Zakopane, en Pologne, avaient été moins courageux lorsqu’ils s’étaient produits à l’automne au Qatar, à l’occasion de la coupe du monde de football, puisqu’on peut les voir sur les vidéos circulant sur Internet sans ces fameux brassards. Pourtant, au Qatar aussi, contrairement à la situation polonaise, les relations homosexuelles sont interdites par la loi et passibles de 7 ans de prison ou même de la peine capitale pour les personnes de confession musulmane.
Le Qatar et l’Arabie saoudite sans brassard
« Hypocrisie des Black Eyed Peas – Concert Qatar – World Cup 2022 – Où sont les brassards ? » demandait le site wykop.pl sous une vidéo avec un court extrait du concert qatari quelques jours après le concert polonais du groupe. D’autres sites, tel upday.com, faisaient remarquer que les membres de Black Eyed Peas n’avaient non plus porté de brassard LGBT lors de leurs concerts en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis. Un secrétaire d’État du ministère de la Justice à Varsovie n’a pas tenu face à l’hypocrisie de ces représentants du show-biz anglo-saxon et il est entré en discussion avec Will.i.am sur Twitter en lui reprochant dans un tweet publié le 31 décembre à 23h59, alors que le concert organisé par TVP durait encore :
« Alors pourquoi n’avez-vous pas boycotté la Coupe du monde au Qatar en raison du traitement réservé par le pays aux femmes, aux migrants et à la communauté LGBTQ+ ? Vous avez vendu des principes pour le profit. Hypocrisie. »
L’université sous l’emprise LGBT
Dans un pays comme la Pologne, c’est d’ailleurs le secrétaire d’État en question, Marcin Warchoł, qui pourrait bien subir des discriminations pour avoir critiqué la promotion, par le biais du groupe Black Eyed Peas, de l’idéologie LGBT sur la deuxième chaîne de la télévision publique. Il est en effet professeur à l’université de Varsovie qui, comme les autres universités polonaises, adhère à une vision progressiste de gauche et supporte mal les points de vue conservateurs. Il s’est donc vite trouvé un collègue de la faculté de droit où enseigne le secrétaire d’État pour demander qu’une procédure disciplinaire soit entamée à l’encontre de ce membre du gouvernement qui a regretté que la Saint Sylvestre de rêve sur TVP soit en réalité une « Saint Sylvestre des perversions ». En conférence de presse, Warchoł a confirmé qu’il était sous le coup d’une menace d’expulsion de l’Université de Varsovie. Une situation dans une grande université publique qui ne colle pas vraiment avec l’image de « régime » autoritaire accolée par les médias français et occidentaux aux gouvernements du PiS en place depuis 2015.
Remous au gouvernement
L’affaire crée d’ailleurs des remous à l’intérieur même du gouvernement de Mateusz Morawiecki qui est en réalité soutenu par une coalition, la Droite Unie, certes dominée par le parti Droit et Justice (PiS) mais où les deux petits partis alliés aux PiS sont indispensables à sa majorité à la Diète. Un de ces partis alliés, c’est le parti Pologne solidaire du ministre de la Justice, auquel appartient Marcin Warchoł, mais aussi le vice-ministre de l’agriculture, Janusz Kowalski, qui a reproché au Premier ministre sa passivité face à la promotion de l’idéologie LGBT par la télévision publique. Pour Kowalski, « les médias publics doivent protéger les Polonais d’une idéologie dangereuse et ne pas permettre, sous couvert de tolérance infantile, l’affirmation d’une idéologie LGBT oppressive dont les militants veulent enfermer les catholiques en prison et forcer la société à consentir à l’adoption d’enfants par des couples homosexuels. » Le ministre de la Justice Zbigniew Ziobro est lui-même intervenu en conférence de presse en expliquant : « Nous avons été surpris que TVP, qui fait partie de cet agenda des valeurs, de la liberté, de la défense de ces valeurs sur lesquelles repose la constitution polonaise, ait décidé – selon les déclarations de ses représentants – de participer consciemment à la promotion de symboles et de valeurs qui sont une négation de la vision à laquelle nos cercles politiques ont constamment, à chaque occasion, assuré qu’ils seraient fidèles ». « Nous sommes contre l’hypocrisie et le mensonge, contre ceux qui parlent de tolérance et d’amour mais veulent en réalité imposer leurs propres vues aux autres », a également déclaré Ziobro qui a rappelé les actes de violence, de dégradation d’églises et d’actions volontairement blasphématoires (comme des parodies de messe pendant les marches LGBT ou des parodies de processions catholiques où le Saint Sacrement avait été remplacé par un vagin) commis au cours des années écoulées par des militants LGBT polonais.
Le Premier ministre Mateusz Morawiecki a quant a lui déclaré à propos de cette affaire de brassards au « concert de rêve » de TVP : « Nous sommes très tolérants, nous n’allons pas censurer les artistes. » Et c’est aussi la ligne adoptée par le PiS. D’après le site Wirtualne Media spécialisé dans l’actualité des médias polonais, décision a donc été prise au siège de la télévision publique, après les protestations des leaders du parti de Ziobro, de ne plus accueillir les politiciens de son parti Pologne solidaire sur les plateaux des chaînes de TVP.
Le PiS influencé par la gauche libérale libertaire ?
Il n’empêche que la nouvelle du un million de dollars payés avec, au moins en partie, l’argent du contribuable polonais (du fait de la redevance et des subventions publiques) à un groupe de hip hop américain connu pour sa propension à promouvoir l’agenda LGBT passe plutôt mal dans l’électorat conservateur et ses médias. C’est ainsi qu’un journaliste conservateur très connu comme Piotr Semka écrivait le 6 janvier dans l’hebdomadaire Do Rzeczy :
« Je ne chercherai pas à savoir qui, rue Woronicza [au siège de la télévision publique polonaise, ndlr.], est responsable du fait que, après le “râteau” que la télévision a reçue de Melania C, un groupe a été invité à la place pour une somme rondelette et dont on pouvait s’attendre à exactement le genre de démonstration que nous avons vu le soir du Nouvel An. Pour les électeurs de droite, il y a autre chose de beaucoup plus grave. Les principaux responsables politiques du PiS commencent à adhérer à la rhétorique imposée par la gauche selon laquelle les brassards arc-en-ciel ne doivent être associés par personne à une quelconque politique ou à un quelconque conflit de civilisation. »
Les électeurs de droite en Pologne, ayant donné la majorité absolue à la coalition portée par le PiS en 2015 et 2019, seraient en effet en droit d’attendre de la télévision publique qu’elle apporte un point de vue conservateur dans un paysage télévisuel dominé par les groupes de télévision privée – Polsat (à capitaux polonais) et TVN (propriété de l’Américain Discovery) – qui, eux, adhèrent à l’idéologie libertaire dominante en Europe. C’est ainsi que TVN ne vient de renoncer à la deuxième édition de son émission de télé réalité « Prince Charming » – où un prince charmant devait choisir son bien-aimé parmi un groupe d’hommes à force d’éliminer ceux qui ne lui plaisaient pas – que parce que la première édition n’avait pas fait assez d’audience. Les auteurs de l’émission soulignent que sa mission est d’éduquer la société à la tolérance, au quotidien et aux droits des personnes LGBT. La première édition, émise sur la chaîne TTV du groupe TVN, a suscité quatre plaintes reçues par le conseil national de la radiophonie et de la télévision (KRRiT), le CSA polonais. Les quatre plaintes ont été rejetées.
Malgré cela, c’est en Pologne, et pas dans les pays de la Péninsule arabique, que les artistes anglo-saxons du type Spice Girls ou Black Eyed Peas, viennent faire leur cirque en faveur des minorités sexuelles qu’ils estiment réprimées.