Article paru sur le site de l’OJIM le 18 janvier 2023.
Ce que les médias de grand chemin français ne vous diront jamais
Amnesty International (AI), c’est ce mastodonte au budget annuel de plus 300 millions d’euros distribuant les bons et les mauvais points sur la scène internationale en matière de droits de l’homme et gardant les totems de la bien-pensance. En Hongrie, cette ONG est très active aux cotés de l’ambassade des États-Unis à Budapest contre le gouvernement de Viktor Orbán. En toute indépendance et au nom de la Démocratie, bien sûr ! Aujourd’hui, la branche hongroise de cette organisation est accusée par d’anciennes employées de discrimination et de harcèlement. En Hongrie, cette ONG est tout sauf dormante, à tel point qu’il n’est pas exagéré de se demander si ses activités ne peuvent pas être qualifiées d’ingérence. La deuxième partie de notre enquête.
Au pays de Viktor Orbán tous les coups sont permis
Depuis le Paris bobo sous perfusion Médiapart-Libération-StreetPress, on imagine la Hongrie comme étant un pays fermé sous la coupe d’un homme aux ordres de son commanditaire Poutine. Il n’en est évidemment rien : les nouvelles générations urbaines sont biberonnées par des médias hongrois wokistes et orbanophobes, la capitale est dirigée depuis 2019 par une sorte de Hidalgo hongrois masculin qui, pour à peine caricaturer, voudrait faire de Budapest un safe-space LBGT interdit aux voitures, alors que les ONG d’obédiences bruxelloise et anglo-américaine disposent de la même liberté dans leurs activités qu’en Europe de l’Ouest.
Cette liberté d’activité des ONG en Hongrie concerne aussi une des plus influentes d’entre elles au niveau mondial, Amnesty International. Dans un quartier cossu de Budapest, à deux pas du Parlement, cette ONG dispose d’une section hongroise de plus de trente collaborateurs. Cette équipe a officiellement une casquette de défenseur des droits, mais la satisfaction que lui procure son glorieux combat en faveur des personnes lésées a tendance à lui monter à la tête et à lui donner d’autres idées. En Hongrie, AI se sent pousser des ailes et met le pieds dans le plat politique sans sourciller. Cette organisation est en première ligne de l’agit-prop anti-Orbán et son affiliation politique ne fait pas l’ombre d’un doute. La directrice adjointe d’AI Budapest, Edit Zgut-Przybylska, ne fait pas grand mystère de ses opinions politiques et s’en ouvre d’ailleurs sur le site de la fondation Heinrich Böll, affiliée aux Verts allemands, qui collabore par ailleurs avec le Courrier d’Europe centrale.
Amnesty en tête de cortège des manifestations
En octobre 2022, des manifestations d’enseignants et d’étudiants se sont tenues à Budapest et dans plusieurs villes de province pour demander une meilleure rémunération des professeurs et de meilleures conditions de travail. Ce mouvement s’est bien installé et il est vrai que certaines demandes des manifestants étaient incontestablement légitimes, les enseignants n’ayant pas bénéficié d’augmentation de leur traitement depuis belle lurette, alors que l’inflation en Hongrie caresse les 40% sur les produits alimentaires. D’ailleurs certains membres de la majorité gouvernementale avaient alors pris position pour des augmentations, qui devraient finalement intervenir sur les années 2023 et 2024.
Une fois la légitimité de ces manifestations actée, la forme sous laquelle elles ont lieu peut néanmoins interroger. En réalité, elles étaient bien plus que de simples revendications du corps enseignant et avaient tout l’air d’un mouvement destiné à déstabiliser le gouvernement Orbán. Ces manifestations ont bien sûr fait l’objet d’une récupération de la part des adversaires politiques du Premier ministre hongrois, qui savent pertinemment que leur chance d’accéder au pouvoir par les urnes sont réduites du fait de leur division, et de leur incapacité à porter un projet alternatif autre que celui consistant à vociférer contre Orbán. Mais cette récupération ne saurait être suffisante, tant l’opposition hongroise suinte l’amateurisme.
Place donc aux professionnels : Amnesty International était à la manœuvre dans les rangs des manifestants. Son personnel est formé, il sait comment sonder un mouvement, le manipuler, le canaliser pour le faire prendre, décupler de sa forcer, et pourquoi pas, entraîner des remous politiques irréversibles. Une autre ONG, Action for Democracy, a quant à elle, selon l’aveu de l’ancien candidat de l’opposition unie, permis de proposer une aide financière, dès septembre, aux enseignants qui se verraient licencier pour désobéissance civile. Notons que c’est cette même ONG américaine qui a mis la main à la poche pour financer la campagne de l’opposition aux législatives d’avril 2022 à hauteur de plus de 7 millions.
La méthode « non-gouvernementale » de déstabilisation
Encadrer des manifestants, les couvrir financièrement, financer la campagne électorale d’opposants à un gouvernement, etc. En bon français, il faudrait appeler cela une ingérence. Oui, sauf qu’aux manettes on ne trouve pas directement un ou des États étrangers, mais des organisations juridiquement non-gouvernementales. Certes, les sources de financement de campagne électorale sont en Hongrie aussi encadrées, et l’affaire Action for Democracy fait l’objet d’une enquête. Mais pour ce qui est du reste, les activités des ces ONG en Hongrie sont légales et ne peut être directement qualifiées d’ingérence sur le plan juridique.
On touche là au cœur d’une méthode bien répandue dans les pays post-socialistes : la méthode de la révolution orange, la méthode du Maïdan. N’en déplaise aux adeptes de discrédit jeté par le qualificatif « complotiste », ces procédés sont employés depuis deux décennies et ont été théorisées en 2015 par l’activiste serbe Srdja Popovic dans un ouvrage intitulé Comment faire tomber un dictateur quand on est seul, tout petit et sans armes (« Blueprint for Revolution » dans son original anglais). Il s’agit des principes tactiques des réseaux Otpor, qui ont joué un grand rôle dans la chute de Slobodan Milošević. Ces méthodes sont en bonne partie dues au politologue américain Gene Sharp, surnommé le « Machiavel de la lutte non-violente » ou le « Clausewitz de la guerre nonviolente ».
Ces procédés sont ouvertement assumés par l’ONG fondée par Popovic, le CANVAS (Centre pour les actions et stratégies non violentes appliquées). Or, qui tient les finances de cette brave entreprise de salut public ? L’Open Society de George Soros, bien sûr, mais aussi l’International Republican Institute et la Freedom House. Popovic est d’ailleurs, selon WikiLeaks, un ancien employé de la firme de renseignement américaine Stratfor, un bras de la CIA, alors que le travail d’Otpor était financé par la National Endowment for Democracy, une émanation des services américains, qui met aussi la main à la poche pour financer AI. La boucle est bouclée !
AI se place clairement dans cet héritage d’agitation orchestrée par les services américains sous couvert d’action non-gouvernementale. Mais attention, il ne faudrait pas penser que ce genre de mouvement est susceptible de naître du néant. Popovic insiste d’ailleurs sur ce point dans son ouvrage : l’organisation d’un mouvement — comprendre sa manipulation au service d’intérêts américains et/ou mondialistes — doit s’appuyer sur des revendications bien réelles dans la société du pays concerné. Force est de constater qu’au vu de la situation économique et internationale, ces revendications réelles ne risquent que d’augmenter dans les mois à venir en Hongrie. Il y aura ainsi plus de points d’entrée pour ces actions proxy destinées à faire chavirer le gouvernement Orbán, qui a bien une peur bleue qu’un « Maïdan hongrois » ne se produise. Une ambiance que reflète bien un article, paru en octobre en pleine période de gronde des enseignants, de Márton Békés, un historien proche du gouvernement hongrois, au titre sans détour : Államcsínytevők, à traduire par « Les putschistes » ou « Les faiseurs de coups d’État ».
Quand Amnesty pose avec l’ambassadeur US à Budapest
Deux jours après la manifestation du 23 octobre 2022, l’ambassadeur des États-Unis en Hongrie, David Pressmann, accueille dans son bureau trois personnalités hongroises de ce que la bien-pensance nous demande d’appeler la « société civile » : Stefánia Kapronczay, directrice de TASZ Hongrie (une association hongroise de défense des droits dont la majeure partie des fonds provient de l’étranger), András Kováts, directeur du Menedék Migránsokat Segítő Egyesület (une association de défense des migrants) et Dávid Víg, directeur d’AI Hongrie.
Faut-il avoir le cerveau malade pour voir dans cette rencontre des obligés venant prendre leurs ordres dans les quartiers de leur maître ? Deux jours après la date anniversaire de la révolte de 1956, il s’agissait peut-être d’une discussion détendues entre amateurs d’histoire sur la manière avec laquelle les Américains ont sans trembler laissé tomber ces braves insurgés hongrois de 1956 après les avoir chauffés à blanc et encouragés à aller au carton avec les colons moscovites.
Saint David Pressman, profession : provocateur
L’histoire des ambassadeurs US en Hongrie pourrait faire l’objet d’une étude séparée. Les Hongrois ayant connu le changement de 1989 se souviennent encore de Mark Palmer, véritable homme-clé du passage de la Hongrie dans la « famille démocratique ». Deux décennies plus tard, les Hongrois ont eu le droit au chargé d’affaires André Goodfriend, ce mal-nommé qui aimait particulièrement jouer avec les nerfs du gouvernement. Sous Trump, les relations ont en revanche été bonnes entre le gouvernement hongrois et l’homme de Washington, l’homme d’affaires républicain et bijoutier new-yorkais David Cornstein. Remplacé par un chargé d’affaires en octobre 2020, ce dernier a pour successeur David Pressman, en place depuis le 14 septembre 2022.
David Pressman ne s’est depuis pas seulement illustré par ses échanges avec AI. Cet avocat spécialiste des droits de l’homme et ancien conseiller de Madeleine Albright multiplie les provocations depuis sa prise de fonction. Il s’est pris de passion pour des rencontres avec des juges et des membres de la magistrature hongroise, ne manquant jamais de publier sur les réseaux sociaux des photographies de ces discussions.
La vie privée de cet ambassadeur provocateur — que l’intéressé a choisi de rendre publique— a aussi du mal à passer en Hongrie. David Pressman est en effet parent 1 d’une « famille arc-en-ciel » se composant de deux petits garçons et de leur parent 2, le mari de l’ambassadeur. Notons que parent 1 et parent 2, Messieurs les Ambassadeurs, ont déjà rencontré la Présidente hongroise Novák, la ministre de la Justice Varga, mais pas encore officiellement le Premier ministre Orbán. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’étant donné la position officielle du gouvernement hongrois sur la question LBGT, ce nouvel envoyé de l’ami américain est un véritable casse-tête pour le gouvernement hongrois, pour parler poliment.
My family and I are looking forward to meeting President Novak. pic.twitter.com/klI9Yjn2u7
— Ambassador David Pressman (@USAmbHungary) September 14, 2022
Que fait la Hongrie face à tout cela ?
Pas grand-chose. Elle n’en a évidemment pas la marge et les moyens politiques. C’est là que la narration selon laquelle Orbán serait un dictateur aux mains de Poutine tombe comme un château de cartes. En Hongrie, l’opposition est financée depuis l’étranger, Amnesty International et consorts sont presque chez eux, l’ami américain provoque et a la capacité de mettre aisément Budapest dans un corner. Avec des amis pareils, pas besoin d’ennemis.
Tout cela sans oublier que ces dangers qui planent sur la Hongrie se complexifient. Amnesty International est bien plus qu’une arme classique de l’impérialisme US et de ses services. Trump n’avait jamais vraiment la main sur ce type d’armes, il était l’homme d’un impérialisme US classique, dont il ne maîtrisait d’ailleurs pas l’intégralité des vecteurs. Sa chute s’explique en partie pour cette raison, elle marque le passage à une autre version du mondialisme, qui ne transite pas nécessairement par les canaux impérialistes de Washington. À ce titre, il n’est pas anodin de constater qu’Anjhula Mya Singh Bais, l’actuelle directrice du bureau exécutif international d’AI ne soit pas issue des chapelles de l’impérialisme US, mais soit une ancienne du Forum économique mondial de Davos (et pas de n’importe quelle branche : la Plateforme de mobilisation du secteur social sur le Covid, une initiative en collaboration avec l’OMS).
Ce serait une erreur que de considérer les projets bio-sécuritaires récents et autres mesures saccageant nos économies comme des coups portés par Washington. Biden et son équipe sont clairement les hommes de ce nouveau pouvoir qui ne se résume pas aux intérêts US. Pour grossir le trait, on pourrait dire que Trump, c’était l’Empire, alors que Biden, c’est Davos. Ce nouveau pouvoir est diffus, il ne procède pas d’une logique de blocs, mais de réseaux. Son action peut s’avérer bien plus pernicieuse pour le gouvernement hongrois que ne l’était la simple projection impériale américaine. Amnesty International dispose de cette souplesse lui permettant à la fois de servir d’outil à l’impérialisme US mais aussi — et peut-être surtout — à des réseaux mondialistes dépassant les intérêts américains stricto sensu. Il n’est donc pas étonnant que le gouvernement hongrois s’en méfie tout particulièrement. À suivre…
Les points de vue et opinions exprimés dans cette tribune libre sont ceux de l’auteur, n’engagent que lui et ne reflètent pas nécessairement la position du comité de rédaction.