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Pour la Pologne, retrouver les victimes du totalitarisme est un devoir

Sovereignty.pl est un site d'opinion en langue anglaise avec des chroniqueurs et commentateurs conservateurs polonais qui écrivent sur les grands sujets alimentant le débat public dans leur pays.

Temps de lecture : 4 minutes

Un entretien de Radosław Wojtas avec le professeur Krzysztof Szwagrzyk, directeur du Bureau de recherche et d’identification de l’Institut de la mémoire nationale (IPN) polonais. Le professeur Szwagrzyk  est aussi vice-président de l’IPN.

Entretien publié en anglais sur le site de Sovereignty.pl. Pour voir la version intégrale en anglais sur Sovereignty.pl, cliquez ici.

 

Radosław Wojtas : Je voudrais commencer par revenir sur les efforts déployés par l’État polonais pour rechercher les dépouilles de ses citoyens assassinés par les criminels aux ordres des divers totalitarismes. « Les funérailles de Danuta Siedzikówna, alias « Inka », et de Feliks Selmanowicz, alias « Zagończyk » rendent leur dignité non pas à eux-mêmes, car ils ne l’ont jamais perdue, mais à l’État polonais qui, pendant des années, même après la transition démocratique de 1989, a été incapable d’honorer ses héros », a déclaré le président Andrzej Duda lors de la cérémonie funéraire des deux victimes du communisme dont les restes avaient été retrouvés par une équipe de l’Institut de la mémoire nationale (IPN) dirigée par vos soins.

Krzysztof Szwagrzyk : Je suis tout à fait d’accord avec ces paroles. Prononcés par le président lors des funérailles de Danuta Siedzikówna « Inka » et Feliks Selmanowicz « Zagończyk » en 2016, elles reflètent pleinement la situation dans laquelle l’État polonais, par le biais de recherches, d’identifications, d’analyses puis de funérailles, s’acquitte de son devoir et le fait de manière très tangible. Et il est vrai que ce ne sont pas les victimes qui ont perdu leur dignité, mais l’État polonais qui, en assumant ce devoir – certes tardivement, mais tout de même – retrouve sa dignité. Cela montre qu’il se soucie des Polonais, de ceux qui ont donné leur vie, qui ont été tués au XXe siècle. Ce sont des mots extrêmement importants, pertinents, très souvent cités dans le discours public, et qui accentuent peut-être ce changement comme aucun autre.

Radosław Wojtas : En Pologne, les personnages d’Inka et de Zagończyk sont bien connus, mais les lecteurs étrangers en entendent parler peut-être pour la première fois. Présentons-les donc brièvement.

Krzysztof Szwagrzyk : D’emblée, il convient de souligner que les funérailles d’Inka et de Zagończyk à Gdańsk en 2016 ont rassemblé plus de 50 000 personnes venues les accompagner vers leur lieu d’éternel repos. Danuta Siedzikówna et Feliks Selmanowicz étaient membres de l’une des unités de la résistance anticommuniste. Une unité commandée par Zygmunt Szendzielarz, alias « Łupaszka ». Cette unité débuta ses opérations en 1943 dans la région de Vilnius et mit fin à sa lutte en 1948, bien que certains de ses membres restes aient continué à se battre jusqu’au début des années 1950. En août 1946, dans la prison de la rue Kurkowa à Gdańsk, ces deux partisans furent exécutés. Danuta Siedzikówna, alias Inka, n’avait pas encore 18 ans au moment de sa mort. Elle a été exécutée avec son camarade de l’organisation clandestine, qui était, lui, âgé de 42 ans.

Il y eut de très nombreuses condamnations à mort prononcées par le système communiste polonais à l’encontre de soldats de la résistance anticommuniste. Cette résistance a existé en Pologne de 1944 presque jusqu’au milieu des années 1950, et elle menait une lutte armée contre les Soviétiques et leurs collaborateurs polonais. On estime que plusieurs dizaines de milliers de personnes sont passées par ses rangs. À son apogée, 30 000 personnes poursuivaient la lutte armée en Pologne dans la période d’après-guerre. Aujourd’hui, on les appelle « Soldats maudits » ou encore « Soldats inflexibles ». Dans d’autres pays du bloc de l’Est, d’autres termes ont été utilisés pour désigner ceux qui ont poursuivi la lutte contre le communisme après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le plus souvent, on parlait de « Frères de la forêt ».

Radosław Wojtas : Et ce sont les restes de ces Soldats maudits qui sont recherchés par le Bureau de recherche et d’identification de l’Institut de la mémoire nationale que vous dirigez. Depuis quand l’État polonais effectue-t-il de telles recherches ?

Krzysztof Szwagrzyk : L’expérience polonaise en matière de recherche des victimes du système communiste remonte à 20 ans. En septembre 2003, la première victime que nous recherchions, une personne condamnée à mort et exécutée, a été retrouvée dans le cimetière d’Osobowicki à Wrocław. Nous avons ensuite étendu nos activités à d’autres sites, et pas seulement dans la région de Basse-Silésie où se trouve Wrocław. Ce processus, né dans la douleur et avec de grandes difficultés  était mené au départ par un petit groupe de personnes mais a une toute autre ampleur aujourd’hui. Il s’agit désormais d’activités institutionnelles de l’État, auxquelles un caractère particulier a été donné en 2016, lorsque le parlement polonais a décidé d’amender la loi sur l’Institut de la mémoire nationale, l’IPN, en créant en son sein un bureau spécial de recherche et d’identification. Cette loi précisait le calendrier et les responsabilités que ce bureau doit assumer. Le parlement polonais a déclaré qu’il était de notre devoir de chercher, de retrouver, d’analyser et d’identifier les Polonais morts en luttant pour la liberté de la Pologne, ces Polonais tués par les différents oppresseurs et occupants de la Pologne entre 1917 et 1990. Notre tâche consiste à retrouver ceux qui ont été tués par les bolcheviks, les Allemands, les communistes, mais aussi les Ukrainiens. Connaissant l’histoire de la Pologne, l’ampleur des tragédies qui nous ont frappés au XXe siècle, l’ampleur des crimes commis, nous sommes conscients que la tâche que nous avons entreprise doit être menée à bien sur de nombreuses années. Ce n’est pas un défi qui peut être relevé en l’espace d’une génération. Mais force est de constater que beaucoup a été fait ces dernières années, depuis la création de notre Bureau. Nous avons retrouvé les restes d’environ deux mille victimes à travers la Pologne et aussi en Lituanie, au Biélorussie et en Allemagne. Nous nous sommes intéressés à plus de 300 sites sur lesquels nous avons fait des fouilles. Chaque année, nous effectuons des travaux de recherche et d’exhumation sur des dizaines de sites, parfois jusqu’à soixante-dix.

[…]

Radosław Wojtas : Le nombre de ceux qui attendent encore est énorme et probablement impossible à estimer.

Krzysztof Szwagrzyk : Permettez-moi de prendre un seul exemple. L’exemple du massacre de Volhynie perpétré par les nationalistes ukrainiens contre la population polonaise pendant la Seconde Guerre mondiale. Selon les diverses sources, entre 140 000 et 200 000 civils ont été massacrés par ces nationalistes ukrainiens en 1943-44. Et ce n’est là qu’un des très nombreux événements tragiques de l’histoire de la Pologne où les victimes se comptent par dizaines ou centaines de milliers. Il s’agit de chiffres énormes et d’une tâche gigantesque pour l’État polonais. Mais cette tâche est en cours de réalisation. Et elle sera menée à bien. Quels que soient les partis au pouvoir en Pologne à l’avenir, quelle que soit l’option choisie par les Polonais, je suis convaincu que personne ne dira que ce processus ne vaut pas la peine d’être poursuivi, qu’il n’est pas nécessaire de revenir sur le passé, que les recherches doivent s’arrêter. Je suis convaincu que personne ne choisira de faire cela et que ce processus sera mené à bien par nous-mêmes et par les générations qui nous succéderont.

 

Version intégrale (en anglais) sur Sovereignty.pl

Traduit du polonais par le Visegrád Post