Par Raoul Weiss.
Roumanie – Pendant que Paris brûle, l’actualité des dernières semaines en Roumanie a été dominée par un thème pour le moins étrange vu de l’extérieur : les maires des quatre plus grandes villes de l’Ouest du pays (Cluj, capitale de la Transylvanie historique, Timișoara, capitale du Banat, et Arad et Oradea, principales villes du sud de cette frange de la puszta hongroise qui, appartenant depuis 1918 à la Roumanie, a donc fini par s’intégrer à une Transylvanie lato sensu) ont annoncé la création d’une « alliance de l’Ouest » unissant leurs villes. Ce genre d’associations de métropoles est monnaie courante en Europe de l’Ouest, où elle s’inscrivent dans une tendance de retour à la cité-État dont la réalité et les dangers ont été décrits, entre autres, par Christophe Guilluy, mais passent généralement inaperçues dans l’actualité politique. La presse roumaine, en revanche, s’est emparée du sujet dans une ambiance de paranoïa frénétique, parlant aussitôt de « sécession de l’Ouest » et – fait encore plus étrange – ces exagérations manifestes n’ont suscité aucune dénégation de la part des concernés.
Il s’agit, en effet, avant tout d’une bombe médiatique : dans cet État considérablement centralisé, les municipalités, confédérées ou non, ont peu de pouvoir, et même la réalisation des grands projets d’infrastructure (trains à grande vitesse etc.) qu’agitent les quatre maires dépendra avant tout d’une volonté politique nationale (et régionale), bien plus que de cette fumeuse « ligue de l’Ouest ». En réalité, ces quatre maires, tous issus de la « droite » roumaine telle qu’elle se survit à elle-même depuis le naufrage du système Băsescu, cherchent de toute évidence justement à faire planer une crainte (au demeurant, peu fondée) de sécession de la Transylvanie dans le cas où le pouvoir parlementaire en place à Bucarest déciderait de prêter l’oreille aux voix de la société civile qui, de plus en plus nombreuses, appellent au « Roexit » – l’apparence d’une volonté locale couvrant mal la réalité de machinations qui servent en réalité un agenda strictement national : celui de l’État profond roumain, et de sa volonté de maintenir la Roumanie « dans les clous » du carcan euro-atlantique.
Deux enseignements peuvent être tirés de cette vraie-fausse fake news :
1. Les quatre maires en question sont roumains, issus de partis qui ne cachent en rien leur hostilité, et à l’encontre des velléités d’autonomie de la minorité hongroise de Roumanie, et à l’encontre de la Hongrie populiste de Viktor Orbán. Je ne peux donc que les remercier d’apporter une confirmation – à peine tardive – à la thèse que je défends depuis des mois dans mes éditoriaux : le « séparatisme transylvain » (ou du moins l’hologramme médiatique portant ce nom) n’est pas une affaire hongroise, mais roumano-roumaine, et complètement instrumentalisée par l’État profond roumain.
2. En jouant désormais, de ce point de vue du moins, cartes sur table, ledit État profond reconnaît ipso facto la défaite de sa stratégie précédente, qui consistait, à force de provocations répressives, à réveiller « l’irrédentisme hongrois » ; elle s’est fracassée contre l’intelligence collective des hongrois des deux pays et la discipline de fer du parti de la minorité hongroise (UDMR/RMDSZ) ; c’est en vain que István Beke et Zoltán Szőcs ont passé Noël en prison, en vain qu’Attila Dabis et moi-même avons été expulsés : la diversion n’a pas pris.
Le spectacle dans sa nouvelle variante n’est d’ailleurs guère plus convaincant que dans l’ancienne : combien de roumains réussiront à adhérer à cette mise en scène dans laquelle une partie de l’État profond joue au sécessionnisme pro-Bruxelles pendant qu’une autre partie (l’appareil répressif) joue au jacobinisme comprador (donc, encore une fois, pro-Bruxelles) ? A priori assez peu. Loin de gagner du terrain, l’État profond roumain semble actuellement vouloir, au mieux, négocier sa capitulation – au pire : vendre chèrement sa peau.