Pologne – Le 24 novembre, le Parlement européen tenait un débat consacré à la situation en Biélorussie et à sa frontière avec l’Union européenne ainsi qu’aux implications pour la sécurité et la situation humanitaire. Bien que la discussion se soit déroulée dans une ambiance particulièrement calme et caractérisée par une convergence de vues inhabituelle contre l’immigration illégale, les députés n’ont pas évité un accroc au départ de la réunion en refusant, sous prétexte du respect des procédures du Parlement Européen, au Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki la possibilité de prendre part au débat et de présenter sa vision de la crise et des mesures à prendre pour la contenir. Sa lettre a donc été lue par le député PiS Ryszard Legutko du groupe des Conservateurs et Réformistes Européens (CRE).
Le chef du gouvernement polonais y fait remarquer que la voix de la Pologne, pays aux frontières duquel « se joue le spectacle du régime biélorusse, se devait d’être présente aujourd’hui à Strasbourg car la situation concerne non seulement Varsovie, Vilnius ou Riga mais constitue une menace pour toute l’Union Européenne (…). Depuis plusieurs semaines Alexandre Loukachenko envoie chaque jour des centaines de civils à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie. Ce que nous observons, à première vue, ressemble à la crise migratoire de 2015. Cependant la vérité est différente. Nous avons affaire à une provocation planifiée où les migrants ne sont que des outils de Loukachenko. Et son objectif est de déstabiliser la situation en Europe. » Mateusz Morawiecki a attiré l’attention sur le fait que la force de Loukachenko et de Poutine résulte du manque de solidarité au sein de l’Union européenne et de la passivité de ses dirigeants qui, dans le passé, n’ont pas su s’opposer quand la Russie arrachait la Crimée à l’Ukraine, quand Alexandre Loukachenko falsifiait les élections ou pour arrêter la construction du gazoduc Nord Stream 2.
« Les choses sont déjà allées trop loin. La Russie et le Biélorussie ont franchi toutes les frontières possibles. Nous ne pouvons plus le leur permettre », a-t-il conclu à la fin de sa lettre en proposant en 7 points les actions à entreprendre pour arrêter l’offensive de Minsk et du Kremlin, parmi lesquelles un renforcement des sanctions économiques contre les deux pays, une collaboration plus étroite dans le cadre de l’OTAN et la solidarité énergétique au sein de l’UE. Une fois n’est pas coutume, le point de vue polonais a semblé partagé par la plupart des députés européens des grands groupes politiques et les commentaires critiques à l’égard de l’analyse présentée par le grand absent Mateusz Morawiecki étaient peu nombreux et consistaient principalement à présenter le problème comme une simple crise humanitaire et migratoire dont la responsabilité retomberait sur la Pologne.
Les intervenants se sont en général abstenus d’utiliser le terme de « réfugiés » pour nommer les migrants forçant la frontière polonaise. Le Parlement européen est donc bien conscient de la dimension politique de la crise actuelle et de nombreux députés, y compris ceux qui insistent pour sanctionner la Pologne sous prétexte de non-respect de « l’état de droit » et des « valeurs européennes » ont reproché à la Commission européenne le soutien financier insuffisant accordé à la Pologne et ont demandé une réaction résolue et des mesures concrètes à appliquer contre les agresseurs, et notamment des sanctions contre les lignes aériennes qui participent au trafic de migrants du Moyen-Orient. L’accent a été mis sur l’unité et la solidarité des pays européens, et il y a eu des voix critiques à l’égard de ceux qui entreprennent des négociations avec la Biélorussie en contournant l’UE et les pays directement impliqués dans la crise, à savoir la Pologne, la Lituanie et la Lettonie. A notamment été visée l’initiative de la chancelière allemande sur le départ Angela Merkel qui a parlé à deux reprises avec Alexandre Loukachenko au téléphone, malgré de nombreuses voix critiques aussi bien en Allemagne qu’en Pologne ou dans les pays baltes. C’était le premier contact avec le président biélorusse initié par un homme politique occidental de haut niveau depuis les élections présidentielles jugées frauduleuses qui se sont tenues en Biélorussie en août 2020. Les dirigeants des pays de l’Union européenne ne reconnaissent pas la victoire de Loukachenko à l’élection présidentielle biélorusse d’août 2020 et l’action de la chancelière sortante a été perçue comme contribuant à légitimer le régime du dictateur biélorusse. Le ministre des affaires extérieures de la Lituanie, Gabrielius Landsbergis, a déclaré que les négociations avec Loukachenko sont une « voie dangereuse » car « les dictateurs sont connus pour leur non-respect du droit (…). Donc même si quelque chose est convenu cela ne veut pas dire que ce sera respecté ». Ces discussions entre Merkel et Loukachenko ont aussi été très critiquées en Pologne, aussi bien par le gouvernement que dans l’opposition.
La Pologne a de son côté eu la semaine dernière une action diplomatique particulièrement intense. En quelques jours, le premier ministre polonais Mateusz Morawiecki a visité 9 capitales européennes et a rencontré 11 chefs d’État et de gouvernement, parmi lesquels Emmanuel Macron, Angela Merkel et Boris Johnson. Le président polonais Andrzej Duda s’est rendu pour sa part au siège de l’OTAN à Bruxelles pour s’entretenir avec le secrétaire général de l’organisation, Jens Stoltenberg d’une utilisation éventuelle de l’article 4 du Traité de l’Atlantique Nord permettant de lancer une procédure de consultations internationales au plus haut niveau en cas de menace pour l’intégrité et la sécurité d’un des pays membre de l’Alliance. Cette éventualité a toutefois été jugée prématurée pour l’instant.
La situation à la frontière reste tendue. Le ministère de la Défense a informé le 29 novembre sur Twitter que les services biélorusses endommagent la clôture frontalière presque chaque nuit pour permettre aux migrants de passer illégalement en Pologne. Selon les gardes-frontières, la veille près de 100 personnes avaient tenté de franchir la frontière avec la Pologne, confirmant la tendance à la baisse du nombre de tentatives observée depuis quelques semaines même si les Polonais remarquent que les Biélorusses en uniforme ne se cachent même plus de l’aide qu’ils apportent aux migrants tentant de franchir la clôture provisoire de barbelés déployée fin août. D’ici le milieu de l’année prochaine, en vertu d’une loi spéciale, une clôture de 5 mètres de haut surmontée de barbelés et équipée de dispositifs électroniques sera érigée le long de la frontière avec la Biélorussie. La barrière, longue de 180 km et haute de 5,5 mètres, sera construite dans la voïvodie de Podlachie tandis que dans la voïvodie de Lublin, plus au sud, il existe déjà une barrière naturelle sous la forme de la rivière Bug.
Il est à craindre cependant que le programme du prochain gouvernement allemand annoncé la semaine dernière par le SPD, le FDP et les Verts et censé faciliter l’obtention de la nationalité et le regroupement familial risque de faire remonter la pression à la frontière. Car c’est l’Allemagne qui est le principal objectif de ces « migrants » et pas la Pologne et les pays baltes.