Par Ferenc Almássy.
Autriche, Vienne – Entre deux et quatre milles manifestants et activistes violents antifas, 2.700 policiers mobilisés, tout le centre ville fermé à la circulation pendant près d’une demi-journée… Vienne a connu encore, ce vendredi 3 février, un climat délétère qui ne sied pas à son architecture et à son statut d’ancienne capitale impériale, ni à la réputation d’amateurs d’ordre des Germains.
L’Akademikerball, prétexte de ces débordements nécessitant une intervention lourde de l’État, seyait en revanche bien plus à l’image d’Épinal qu’on se fait de Vienne. Dans le palais de Hofburg, en centre-ville, une salle de bal accueillait vendredi soir environ 2.500 participants, dont certains ont réservé leur table pour la modique somme de 2.000€.
En tant que rédacteur en chef du Visegrád Post, j’ai eu la chance d’y être invité, pour voir par moi-même ce qu’était cet événement, et accessoirement, apprécier une soirée viennoise aux accents de nostalgie impériale… ce qui, je l’avoue, n’est pas pour me déplaire.
La Tradition avant tout
L’organisation de ce bal n’est pas si ancienne : le premier a eu lieu en 1952. Mais l’objectif du bal est de réunir annuellement les membres des fraternités estudiantines germaniques (d’Autriche et d’Allemagne) qui elles remontent à la période napoléonienne.
Noyaux du nationalisme des peuples allemands, irrités par la domination impériale française de Napoléon Ier, les Burschenschaften vont se mettre en place pour former également les étudiants patriotes au combat et à une discipline de corps.
Aujourd’hui encore, on ne devient membre à part entière de certaines de ces fraternités qu’en passant l’épreuve du combat au sabre. Et outre le bandeau à trois couleurs porté sur la poitrine lors des cérémonies, l’autre preuve de l’appartenance pleine et entière à cette fraternité est la balafre portée sur le visage, protégé lors du combat qu’au niveau des yeux et du nez.
200 ans appuient donc l’organisation annuelle de ce bal, relativement peu dansant mais haut moment de réseautage et de camaraderie pour ces gardiens d’une tradition patriotique.
Les fraternités sont toutefois assez diverses de nos jours. Tant dans leurs activités que politiquement. Et force est de constater que l’Akademikerball de Vienne est résolument « de droite », au sens large. Des nostalgiques de l’Empire au centre-droit, on y trouve de tout.
Les organisateurs du bal semblent d’ailleurs vouloir faire plaisir à tout le monde. Alors que je m’attendais à quelque chose de très classique, de très impérial dans le style, j’ai été désagréablement surpris d’assister au cours de la cérémonie à un show avec chanteuse à la Céline Dion, violoniste se déhanchant et acrobate à la corde lisse… « kitsch » est le mot qui me vient à l’esprit pour ce moment décalé et surprenant. Mais je suppose que c’est une question de goût.
Cela mis à part, le reste de la soirée aura été particulièrement plaisant et agréable. Démonstration de polonaise par des couples d’étudiants, initiation à la quadrille et orchestres variant valse et cha-cha-cha ont comblé les invités en smocking et casquettes de fraternités, et robes de soirée pour les dames. Un bal viennois pas si différent des autres, au final.
Car si des membres du FPÖ ont fait un discours au début, il ne s’agit pas d’un meeting politique. Ne serait-ce que la présence de non-Autrichiens en grand nombre montre bien que le FPÖ n’a pas cherché à transformer ce bal en réunion politique à son compte. Tout au plus peut-on le suspecter d’avoir voulu devenir le parrain d’une tradition en danger, cohérent en cela avec son idéologie patriotique.
Un événement pourtant de facto politisé
Pour autant, l’événement est évidemment politique désormais. En 2011, les critiques devenant de plus en plus fortes, et suite au refus du Hofburg, le palais recevant ces bals, de mettre les lieux à disposition des fraternités, le bal annuel risquait de disparaître.
Le FPÖ, parti national-libéral, dont le candidat Norbert Hofer a récemment perdu de peu l’élection présidentielle autrichienne, a sauvé l’événement en reprenant l’organisation, le Hofburg ne refusant pas les événements de partis politiques présents au parlement.
De nouveaux invités ont alors fait leur apparition, connotant aux yeux des antifas et de la gauche radicale cet événement comme étant une « réunion d’extrême-droite ». Parmi les invités qui sont passés au bal depuis 2012, le penseur russe A. Douguine, le sécessionniste flamand F. Dewinter, mais également Marine Le Pen.
À la tradition du bal s’est donc désormais ajouté la tradition des excès de violence des antifas et autres militants d’extrême-gauche. Jets de pierre sur les taxis, crachats, insultes, menaces, les militants de la tolérance ne renoncent à aucune méthode pour empêcher les gens de vivre une tradition bon enfant dans un endroit privé.
En parallèle, la presse autrichienne mainstream, à la tendance lourdement militante libérale-libertaire, aura également politisé de façon irrégulière la soirée de vendredi. Nul cri de pasdamalgame dans cette affaire : reconnu sur un quai par des antifas, le dirigeant des militants identitaires d’Autriche, Martin Sellner a été agressé par quatre individus cagoulés.
Usant d’un spray au poivre en forme d’arme de poing pour éviter le conflit, il s’est ensuite fait attaquer de nouveau par quatre autres individus qui ont cherché à le jeter dans les escaliers de la station. Il n’avait pourtant rien à voir avec le bal. Ça n’aura pas empêché la presse de titrer « qu’après le bal, un identitaire a tiré autour de lui ».
Un événement métapolitique ?
Pour la très grande majorité des participants, ce bal est toujours fidèle à la tradition des fraternités et n’est pas un événement politique. Mais le FPÖ et les activistes d’extrême-gauche utilisent pourtant tous deux ce bal pas comme les autres.
Il faut dire que le principe même d’événement traditionnel est devenu, dans un monde occidental en proie à la globalisation forcenée, un acte subversif, et en cela, indirectement politisé.
Les amoureux de la tradition du bal des fraternités devront donc garder à l’esprit qu’ils auront beau s’en défendre, ils sont également des acteurs politisés, et ils doivent en tirer les conséquences.
Nul ne parle ici de politique de partis, mais plutôt d’un combat métapolitique qui déterminera le monde dans lequel vivront nos descendants. Et des amateurs de valses aux sabreurs estudiantins, tous devront se souvenir que vénérer la tradition, c’est transmettre la flamme, et non vénérer des cendres.