Par Olivier Bault.
Pologne – Comme beaucoup de pays, la Pologne a fait de la négation ou de la minimisation des crimes nazis, et notamment de la Shoah, un délit passible de prison. Deux amendements votés par la Diète le 26 janvier puis par le Sénat le 31 janvier font des remous à l’international. Si le PiS s’attendait sans doute à des réactions hostiles en Ukraine en étendant le délit de révisionnisme et de négationnisme à la glorification de l’UPA et de l’OUN, les organisations nationalistes ukrainiennes coupables du génocide des Polonais de Volhynie et de Galicie occidentale en 1943-44, il a été très visiblement pris de court par la violence des réactions israéliennes à l’autre amendement à sa loi mémorielle. Cet amendement étend le délit mémoriel concernant les crimes nazis au fait de minimiser la responsabilité des auteurs de ces crimes en faisant porter « à la nation polonaise ou à l’État polonais la responsabilité ou la coresponsabilité des crimes nazis commis par le IIIe Reich allemand ». Pourtant, comme le rappelait le Jérusalem Post lui-même le 29 janvier, c’est un fait historique établi que la Pologne en tant qu’État et en tant que nation n’a pas collaboré, au contraire de beaucoup d’autres pays, avec l’occupant nazi. Et si les juifs, qui ont le plus souffert des crimes nazis, sont chatouilleux quand on parle de la Shoah, les Polonais, dont le pays a payé le plus lourd tribut à la Deuxième guerre mondiale (6 millions de morts – dont 3 millions de juifs – sur 35 millions de citoyens), ne le sont pas moins quand on parle des crimes nazis.
Ainsi, alors que la Pologne et Israël entretenaient jusqu’ici d’excellentes relations, les dirigeants israéliens semblent s’appliquer depuis une semaine à tout faire pour se brouiller définitivement avec les Polonais, en faisant semblant de croire qu’il ne sera plus possible de remettre en cause le comportement vis-à-vis des juifs polonais pendant la Deuxième guerre mondiale de leurs compatriotes non-juifs. L’ambassade d’Israël a même émis un communiqué le 2 février pour accuser les médias polonais d’antisémitisme pour avoir posé la question du lien entre cette hystérie collective face à une loi mémorielle somme toute normale (Israël en a une aussi, qui punit de 5 ans de prison le fait de nier ou minimiser la Shoah) et la question des restitutions de biens. Car contrairement à ce qui a été dit par l’ambassadrice d’Israël en Pologne et par plusieurs dirigeants israéliens, dont le premier ministre Benjamin Netanyahou, la nouvelle mouture de la loi mémorielle polonaise ne remet pas en cause la vérité historique sur la Shoah (une évidence pour les Polonais qui ont encore en tête les histoires racontées par leurs parents et grands-parents !) ni le fait qu’il y a eu plusieurs massacres de juifs par des Polonais et aussi de nombreux Polonais qui dénoncèrent des juifs aux Allemands. La nouvelle loi mémorielle n’interdit pas de le dire ni même d’exagérer leur nombre, puisqu’elle n’interdit que de faire porter la responsabilité ou la coresponsabilité du génocide des juifs à la nation polonaise ou à l’État polonais, pas à des individus polonais ou à des groupes de Polonais.
L’État clandestin polonais condamnait à mort et exécutait les Polonais qui tuaient ou dénonçaient des juifs, et la règle allemande en Pologne occupée, c’était, quand quelqu’un se faisait prendre à aider ou abriter des juifs, de l’exécuter avec toute sa famille, enfants compris. Alors qu’un seul dénonciateur pouvait faire perdre la vie à de nombreux juifs, il fallait souvent plusieurs familles polonaises pour aider un seul juif tant il était difficile de cacher des gens souvent facilement reconnaissables à une époque où l’on manquait de tout. C’est ainsi que Władysław Szpilman, le Pianiste du film de Polański, déclarait en 2000 dans un entretien : « La Pologne n’est pas un pays antisémite. Ceux qui disent le contraire racontent des mensonges et rendent un très mauvais service à la Pologne. N’oublions pas que participer à une action pour sauver des juifs signifiait risquer sa vie. Ce n’est pas tout le monde qui avait le courage de prendre un tel risque. Tous ne naissent pas héros. Moi, j’ai été sauvé par au moins trente Polonais. Au moins trente, qui ont risqué leur vie. »
Face aux attaques israéliennes soutenues par plusieurs organisations juives et, on s’en serait douté, par Washington (ce qui pose un vrai problème à la Pologne), le premier ministre Mateusz Morawiecki est intervenu jeudi soir à la télévision publique pour expliquer la nouvelle loi mémorielle aux Polonais. Selon un sondage sorti après le vote de la loi, ceux-ci soutiennent majoritairement l’idée de punir ceux qui emploient l’odieuse expression de « camps de la mort polonais » utilisée par certains médias, notamment allemands (!), pour parler des camps d’extermination allemands en Pologne occupée. Cette expression tombera désormais sous le coup de la loi mémorielle puisqu’elle implique, au mépris de la vérité historique, une responsabilité de la nation polonaise dans le fonctionnement de ces camps.
Plusieurs médias français ont parlé d’une tentative de « réécriture » de l’histoire de la Pologne par les « ultra-nationalistes » du PiS. Le problème des journalistes français est qu’ils sont nourris de livres qu’ils croient autobiographiques et qui sont en réalité des romans de fiction – comme L’Oiseau bariolé du juif polonais Jerzy Kosiński (qui n’est pas le petit juif persécuté du livre puisqu’il a en réalité passé la guerre caché avec sa famille dans des familles catholiques, avec plusieurs autres familles juives, grâce à une action coordonnée par le curé de sa paroisse) – ou des autobiographies où la réalité semble se mêler à la confabulation, comme dans Au nom de tous les miens du juif polonais Mieczysław Grajewski alias Martin Gray, écrit avec l’historien français Max Gallo, mais il faut connaître un peu l’histoire de Pologne et aller fouiller les sources anglophones et polonophones pour s’apercevoir de la falsification.
Espérons pour les Polonais que le feu nourri des attaques à leur encontre à l’occasion de cette nouvelle loi mémorielle sera l’occasion de faire connaître un peu mieux l’histoire complexe de leur pays, y compris en Israël. Car selon toute probabilité, le président Andrzej Duda n’opposera pas son veto à cette loi.