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La politique « d’ouverture à l’Est » de la Hongrie

Temps de lecture : 5 minutes

Par Gábor Tóth, président de Gateway to Europe V4-China Association.

Hongrie – Cela fait sept ans que le deuxième gouvernement Orbán (2010-2014, ndlr) a annoncé son ambitieuse orientation de politique étrangère intitulée « Ouverture à l’Est ». Comme la plupart des autres politiques « peu orthodoxes » de l’administration régnante, celle-ci a également fait l’objet de discussions, de débats, de critiques et de controverses. Comme d’habitude, le gouvernement hongrois et le Premier ministre lui-même ont été longuement critiqués pour « se détourner de l’Europe » et « se ranger du côté de régimes autoritaires » comme la Chine, la Russie et d’autres. Les détracteurs et les opposants à cette politique prétendent que peu de fruits en ont été récoltés et que trop peu de projets ont été concrétisés. Il s’agirait donc d’un échec et la stratégie serait elle-même erronée. En d’autres termes, s’ouvrir à l’Est serait une erreur. La communication officielle du gouvernement met l’accent sur les quelques résultats probants, tandis que l’opposition souligne combien il aurait fallu faire plus et combien de promesses restent en suspens.

Les libéraux sont les critiques les plus virulents de cette idée d’ouverture à l’Est. Ils citent les violations des droits de l’Homme, l’absence de libertés, dénoncent les régimes oppressifs et invoquent d’autres raisons analogues, tandis que certains d’entre eux avancent que les calculs économiques sont la preuve irréfutable que ce n’est pas la bonne façon de faire pour que la Hongrie aille de l’avant.

Cependant, l’aspect le plus important de la question est en grande partie négligé ou minimisé, peut-être parce qu’il est le plus sensible. C’est la dimension politique. Seuls quelques chercheurs et analystes écrivent sur ce sujet, car il est très compliqué à aborder. Il n’est pas facile de comprendre, par exemple, ce que veulent les Chinois dans notre région. La plupart d’entre nous ne peuvent donc que spéculer, tout simplement parce que nous ne pouvons pas connaître l’avenir. Cela m’amène à mon point et au thème de l’article : la prévision, la préparation et la prévision.

Viktor Orbán a écopé de nombreux qualificatifs par toutes les parties, mais bien peu sont ceux qui remettraient en doute sa capacité de prévoir les tendances mondiales et les changements politiques. Certains vont même jusqu’à le qualifier de « visionnaire » ou de « prophétique ». Bien que controversée, sa pensée et ses activités dites « non conventionnelles » ont gagné des millions de partisans en Europe et même au-delà. Son assise politique semble être solide en Hongrie, ses partisans étant convaincus qu’il choisit la bonne voie pour que le pays entame le XXIe siècle. Les relations de la Hongrie avec la Chine sont au cœur de la politique « d’Ouverture à l’Est ». D’aucuns ont même affirmé qu’elle avait été créée spécialement à cause de la Chine. Bien que de nombreux autres pays soient impliqués, il ne peut certainement pas y avoir d’ouverture réussie vers l’Est sans gagner d’une manière ou d’une autre la Chine et en faire un solide allié sur le long terme.

La restructuration de l’ordre mondial, la montée en puissance de l’Est, les désaccords de la Hongrie avec Bruxelles et le fossé idéologique entre l’élite européenne et les Européens ordinaires, à l’instar des Hongrois, ont créé une situation dans laquelle Orbán n’avait d’autre choix que de se préparer au pire : un possible divorce de l’Union européenne sous une forme ou une autre. Bien que personne de sensé ne veuille que cela se produise sans faire tout ce qui est en son pouvoir pour réformer le système de l’intérieur, des dirigeants forts se préparent toujours au pire des scénarios.

La Chine est un géant qui bouge lentement. Il faut du temps, généralement plusieurs années, pour nouer des relations, même personnelles ou à petite échelle, sans parler des liens intergouvernementaux. À cet égard, la Hongrie pourrait facilement bénéficier d’une décennie d’avantage sur d’autres pays d’Europe si elle se retrouvait dans une situation où elle ne pourrait plus être d’accord avec Bruxelles et en venait à subir un divorce douloureux. L’ouverture de chambres de commerce nationales, le renforcement des liens politiques, commerciaux, financiers et éducatifs, la facilitation des échanges culturels et la promotion des exportations vers la Chine sont autant d’éléments de cet avantage. Ceux qui connaissent les bases à propos de la Chine savent que l’on obtient tout simplement pas de résultats en quelques années avec eux. Il n’est donc pas à exclure de se montrer patient, mais tout cela prouve encore une fois la faible profondeur des connaissances de l’opposition sur la Chine et la façon dont les Chinois font des affaires.

D’autres opposants encore affirment que la Chine a l’intention de diviser et de conquérir à travers ses activités en Europe, tels que l’initiative de la Ceinture et de la Route ou la plate-forme 16 + 1. Ma réaction à cela : « Merci, nous n’avons pas besoin de la Chine pour nous diviser, nous, les Européens, pouvons nous en occuper nous-mêmes ». Si triste, mais si vrai. La Chine aimerait voir un continent uni ressusciter l’ancienne Route de la Soie et commercer librement avec les nations européennes. En fait, c’est le seul moyen de réaliser un projet de cette envergure. Cependant, certains des dirigeants occidentaux se concentrent trop sur une rhétorique vide sur les droits de l’Homme et la « presse libre », au lieu de développer des relations pragmatiques qui profitent à leur propre peuple, à leur propre société et à leurs citoyens. Ironiquement, il s’agit pour la plupart des mêmes hommes politiques soutenus par les analystes qui reprochent à Viktor Orbán d’avoir utilisé les relations sino-hongroises comme un outil politique sans grand résultat jusqu’ici.

Bien sûr – ce n’est qu’un aparté – certains dirigeants occidentaux calomnient ouvertement la Chine, mais ne ressentent aucune honte lorsqu’ils signent des accords se chiffrant en milliards de dollars avec le « régime oppressif ». Pourtant, ils n’ont toujours pas de vision, ni stratégie à long terme de coopération avec la deuxième plus grande économie du monde. Ils pourraient signer des accords beaucoup plus importants et profitables, s’ils étaient capables de rester neutres, de se montrer mûrs et réalistes. Une Europe divisée sur le sujet ne peut tout simplement pas produire une politique commune à l’égard de la Chine, ce qui signifie également que le géant asiatique sera le plus souvent gagnant des négociations bilatérales avec chaque pays, tout simplement parce que les Chinois sont plus forts et plus riches. Des tentatives ont été faites pour rapprocher l’Europe et l’Asie, comme le récent sommet de Bruxelles, mais celles-ci n’offrent généralement pas de solutions, mais uniquement des tables rondes et d’autres événements officiels auxquels les deux parties ont de moins en moins envie de prendre part.

Alors, quelle est la conclusion à tirer de tout cela ? Le temps nous dira qui avait raison et qui n’a su percevoir le vent du changement assez habilement. Orbán et les Hongrois à ses côtés auront-ils raison et se retrouveront-ils en pole position lorsqu’une Europe réformée et nombre de ses pays commenceront à se rendre compte que la Chine a changé le jeu de la politique mondiale ainsi que celui de l’économie mondiale ? Une chose est sûre : le Premier ministre hongrois tant décrié semble se lever le matin plus tôt que ses amis européens. Sur de nombreuses questions, les faits lui ont donné raison, et il semblerait que la politique d’ouverture vers la Chine et la coopération dans l’établissement de la nouvelle Route de la soie pourraient très bien être la prochaine vision correcte d’Orbán. Ceux qui ne sont pas d’accord avec cette ouverture vers l’Est devraient commencer à se concentrer sur les aspects stratégiques et les angles géopolitiques. En outre, ils feraient mieux d’apprendre à être plus patients, sachant bien que ce n’est pas simplement un jeu de nombres et que les règles classiques en matière de constitution d’alliances ne s’appliquent pas ici. Non seulement pour la Hongrie, mais aussi pour le V4 et d’autres pays de la région et même d’Europe, l’initiative « la Ceinture et la Route » et la recherche de partenaires dans l’Orient ascendant peuvent devenir une priorité plus tôt que la plupart des gens ne le pensent.


Traduit de l’anglais par le Visegrád Post.