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Pourquoi le mécanisme des Spitzenkandidaten compromet l’impartialité de la Commission et est une cause des attaques de l’UE contre la  Pologne et la Hongrie

Temps de lecture : 7 minutes

Par Olivier Bault.

Article originellement publié en anglais sur Kurier.plus.

Union européenne – Réunis le 9 mai à Sibiu, en Roumanie, pour un Conseil européen, les chefs d’État et de gouvernement ont débattu pour savoir si le système des Spitzenkandidaten – utilisé pour la première fois en 2014 pour choisir le chef de la Commission européenne – devait pouvoir servir à nouveau après les élections des 23 au 26 mai au Parlement européen. Ce système est un processus par lequel le président de la Commission européenne est choisi par le Parlement européen parmi les candidats proposés par les grands groupes (Spitzenkandidaten est un mot allemand désignant les « têtes de liste »), ce choix devant être ensuite approuvé par le Conseil européen. Normalement, en vertu de l’article 17, par. 7, du Traité sur l’Union européenne, ce devrait être le Conseil européen qui propose au Parlement européen un candidat à la présidence de la Commission. Une fois le candidat du Conseil approuvé par un vote majoritaire au Parlement européen, « le Conseil, d’un commun accord avec le président élu, adopte la liste des autres personnalités qu’il propose de nommer membres de la Commission. Le choix de celles-ci s’effectue, sur la base des suggestions faites par les États membres ». Une fois cette procédure terminée, le Parlement européen doit donner son consentement à l’ensemble de la Commission pour permettre son investiture par le Conseil européen au moyen d’un vote à la majorité qualifiée.

Le système des Spitzenkandidaten a été proposé par la Commission européenne elle-même en 2013 sous prétexte de démocratiser le mode de nomination de la Commission. La proposition a reçu le soutien du socialiste et euro-fédéraliste allemand Martin Schulz, alors Président du Parlement européen, qui a été nommé Spitzenkandidat du Parti socialiste européen. Finalement, c’est le Spitzenkandidat du Parti populaire européen (PPE) qui l’a emporté et Jean-Claude Juncker a été proposé pour prendre la tête de la nouvelle Commission européenne formée après les élections de 2014. Toutefois, contrairement à une croyance commune, ce n’est pas forcément le candidat du plus gros groupe au Parlement européen qui doit remporter la mise, puisque pour revendiquer la victoire un candidat doit forcément obtenir des appuis au-delà de son propre groupe. Comme l’a souligné à juste titre un récent article publié par le New Federalist plaidant pour le système des Spitzenkandidaten, « même le Président Juncker, sans doute le plus socialiste des chrétiens-démocrates, a eu à négocier un accord politique entre le PPE et le S&D afin de s’assurer une majorité pour son élection. »

Avoir un candidat convenu par consensus entre tous les États membres et le Parlement européen, conformément au traité de Lisbonne, devrait normalement aboutir à la désignation d’un technocrate plutôt apolitique duquel on peut s’attendre qu’il soit respectueux des traités existants ainsi que des compétences respectives de l’Union européenne et des nations qui la composent. La procédure par laquelle le président de la Commission a son mot à dire dans la nomination des autres membres de la Commission, comme stipulé dans le traité sur l’Union européenne, devrait ensuite en favoriser la désignation d’une Commission qui « promeut l’intérêt général de l’Union » (art. 17, par. 1, du Traité sur l’Union européenne), avec des membres « choisis en raison de leur compétence générale et de leur engagement européen et parmi des personnalités offrant toutes garanties d’indépendance » qui « s’abstiennent de tout acte incompatible avec leurs fonctions ou l’exécution de leurs tâches » (art. 17, par. 3).

Outre les questions qui peuvent se poser concernant la légalité de la procédure des Spitzenkandidaten à la lumière des traités qui ont été dûment ratifié par les États membres, ce système alternatif favorise les candidats libéraux-libertaires, progressistes, qui prônent une intégration toujours plus poussée, allant bien au-delà des traités existants, car cela correspond aux vues d’une majorité de députés européens, du centre-droit à l’extrême-gauche en passant par les centristes de l’ALDE et le S&D de centre-gauche. « Je suis déjà en pourparlers avec les libéraux, avec les Verts, avec les socialistes, avec les partis européens en général pour parvenir à une majorité au Parlement européen », a déclaré le candidat du PPE Manfred Weber, tandis que son plus concurrent le plus sérieux, le socialiste Frans Timmermans, qui occupe actuellement le poste de premier vice-président de la Commission européenne pour l’État de droit, a appelé à une coalition après les élections européennes entre le PSE socialiste (groupe S&D), le PPE de centre-droit et les libéraux centristes de l’ALDE, pour former une alliance progressiste contre ce qu’il appelle « l’extrême droite ». Les Verts européens avaient fixé comme condition à des discussions avec Manfred Weber à propos de leur possible soutien à sa candidature qu’il ne penche pas à droite, et à la fin mars Weber s’est senti obligé de promettre qu’il préférait perdre la présidence de la Commission européenne plutôt que l’obtenir avec les votes du « Fidesz populiste ». Pour la même raison, cet Allemand de la CSU a soutenu la suspension des eurodéputés hongrois du PPE en mars, et il a voté en septembre dernier en faveur du rapport Sargentini contre la Hongrie en qualité de président du groupe PPE au Parlement européen et de futur Spitzenkandidat de son parti.

Lorsqu’en décembre 2018 à Lisbonne le premier vice-président de la Commission européenne a réalisé son ambition d’être désigné candidat du Parti socialiste européen (PSE) pour présider la prochaine Commission, il a déclaré dans son discours, à propos de la Pologne : « Je tiens à dire à nos amis de Pologne que je veux faire une promesse solennelle devant vous aujourd’hui : Je n’abandonnerai jamais les Polonais dans leur lutte pour la démocratie, la liberté et l’État de droit. » Il a également fait référence à la Hongrie : « Et je le dis aussi à nos amis hongrois : Les temps sont durs en Hongrie. M. Orbán a eu beaucoup de temps pour raconter à son peuple toutes sortes d’histoires horribles sur l’Europe. Et malgré tout cela, une très grande majorité de la population hongroise dit clairement : ‘nous appartenons à l’Europe, nous faisons partie de cette communauté de valeurs.’ Et donc en Hongrie aussi, nous l’emporterons. »

Ces déclarations sont manifestement faites pour plaire à la majorité nécessaire au Parlement européen, mais elles remettent en même temps en cause l’impartialité de Timmermans et son caractère désintéressé dans ses relations avec la Pologne et la Hongrie en tant que premier vice-président de la Commission européenne en charge des relations interinstitutionnelles, de l’État de droit et de la Charte des droits fondamentaux, d’autant plus qu’il semble mettre en doute la légitimité démocratique de la majorité parlementaire et du gouvernement au pouvoir en Pologne et en Hongrie. De plus, on peut facilement imaginer à quel point la relation entre la Commission et Varsovie et Budapest pourrait devenir tendue si Frans Timmermans ou Manfred Weber venait à être nommé président de la Commission européenne après une campagne politique fondée sur des attaques contre les gouvernements conservateurs de droite en place dans ces deux pays d’Europe centrale.

Le 21 mai, le commissaire Frans Timmermans a encore une fois pris part à un événement de campagne du parti polonais de gauche pro-LGBT Wiosna afin d’exprimer son soutien à ce parti pour les élections européennes. À cette occasion, il a déclaré publiquement qu’il avait combattu le gouvernement polonais pendant les trois années écoulées, et qu’il avait décidé d’apporter son soutien à Wiosna parce que les Polonais étaient de plus en plus en faveur de l’Europe et parce que Wiosna était un parti pour les gens à l’esprit ouvert avec des opinions libertaires de gauche. Il convient de rappeler que le premier vice-président de la Commission européenne s’est dans le passé dit d’avis que la Commission européenne devrait faire pression sur les États membres pour qu’ils légalisent le « mariage gay », ce que Wiosna voudrait justement faire en Pologne. Il faut également noter que Timmermans a remis en question la légitimité d’un gouvernement démocratiquement élu tout en prêtant son appui à un parti d’opposition qui, selon la plupart des sondages d’opinion, est soutenu par moins de 10 % des électeurs polonais. Quelques jours plus tôt, le 18 mai, le premier vice-président de la Commission et Spitzenkandidat du PSE avait pris part à un rassemblement électoral du parti socialiste hongrois MSZP. Il avait alors affirmé que le Premier ministre hongrois, Viktor Orbán, « et ses amis Strache, Salvini et Farage sont des admirateurs de Poutine, dont l’objectif est clairement l’affaiblissement et la désintégration de l’Europe ».

Certes, les vues libérales-libertaires, euro-fédéralistes et anti-PiS/Fidesz présentées par Timmermans et Weber sont partagées par une majorité au Parlement européen (et ce sera toujours le cas après les élections du 23 au 26 mai, à en croire les sondages) et par nombre d’habitants de l’UE, mais avoir une Commission européenne dirigée par un homme politique connu pour être un adversaire virulent du « Fidesz populiste » (ainsi que du « PiS populiste », de la « Lega populiste », et ainsi de suite) est incompatible avec la nécessaire neutralité et impartialité de la Commission européenne dans ses relations avec les gouvernements nationaux. Cela encourage en outre, dans le cadre de leur campagne politique pour devenir le candidat du Parlement européen au poste de président de la Commission européenne, les leaders du Parlement européen (tels que Manfred Weber de la CSU allemande) et les commissaires européens (tels que Frans Timmermans du parti travailliste néerlandais) à s’engager dans des conflits avec les gouvernements de droite démocratiquement élus qui sont impopulaires auprès d’une majorité d’eurodéputés. Même si Margrethe Vestager, commissaire à la concurrence et candidate danoise du groupe des libéraux ALDE, beaucoup moins virulente, devait l’emporter sur ses concurrents et devenir le Spitzenkandidat proposé par le Parlement européen, beaucoup de dégâts auront été faits dans les relations entre Bruxelles et certains États membres et, à la lumière du comportement de Frans Timmermans, de gros doutes subsisteront quant à l’impartialité de la Commission européenne. En outre, les futurs candidats au statut de Spitzenkandidat (parmi lesquels il pourra y avoir à nouveau des membres de la Commission européenne) seront toujours incités à attaquer les gouvernements qui sont populaires chez eux mais impopulaires au Parlement européen.

Outre sa nature clivante pour l’UE, et pour la même raison que celle décrite ci-dessus (la nécessité d’adopter les points de vue dominants au Parlement européen pour arracher le poste), le mécanisme des Spitzenkandidaten incite les candidats à la présidence de la Commission européenne à faire pression en faveur d’un transfert toujours plus poussé des pouvoirs vers Bruxelles, comme on peut le voir par exemple avec les efforts de Timmermans et de Weber pour lier les fonds de l’UE à l’État de droit et aux « valeurs européennes ».

Pour ces raisons, et aussi dans l’intérêt d’un meilleur respect des traités ratifiés (c’est-à-dire pour un respect de l’État de droit au niveau européen), les dirigeants européens seraient bien avisés de ne pas laisser le nouveau Parlement européen leur imposer son candidat au poste de président de la Commission européenne après les élections du 23 au 26 mai. Étant donné qu’aucune décision n’a été prise le 9 mai à Sibiu, cette question sera abordée à la prochaine réunion du Conseil européen, qui se tiendra le 28 mai.

« L’idée que la procédure des Spitzenkandidaten est d’une certaine manière plus démocratique est erronée », a estimé le président du Conseil européen, Donald Tusk, l’année dernière lors d’une réunion des chefs d’État et de gouvernement des 28 au cours de laquelle il a été convenu qu’il n’y aurait pas d’automatisme du mécanisme des Spitzenkandidaten. « Le traité dit que le président de la Commission européenne doit être proposé par les dirigeants démocratiquement élus des États membres », a ajouté Tusk, « et qu’il doit être élu par les membres démocratiquement élus du Parlement européen. C’est la double légitimité démocratique du président de la Commission. Écarter l’une de ces deux sources de légitimité rendrait la procédure moins démocratique, et non pas plus démocratique. »

 

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