Europe centrale et orientale – Dans un article précédent, j’ai évoqué le risque (fort sérieux à mon avis) de liquidation de l’Europe centrale (comme réalité politico-économique et comme construction idéologique) au terme de ce qu’il est désormais convenu d’appeler « la crise du Covid ». Je souhaite maintenant replacer cette hypothèse dans une histoire plus longue et moins événementielle, en me penchant sur la dimension politico-psychologique du phénomène.
Pendant les décennies précédant 1990, les populations des PECO (pays d’Europe centrale et orientale) ont vécu sous la coupe de régimes (dits du « socialisme réel ») qui pratiquaient le mensonge d’État. L’idéologie officielle de ces régimes (qu’il était au début rigoureusement interdit, puis, vers la fin, déconseillé de contredire) affirmait en effet qu’ils édifiaient des sociétés où
- les classes sociales allaient disparaître (héritage bolchévique) et
- le niveau de confort matériel rejoindrait bientôt celui de l’Occident (apport spécifique de la génération des komsomoltsy, à partir, donc, de Khrouchtchev et de ses émules des pays satellites).
La réalité était tout autre, étant donné que
- les partis uniques avaient produit leur bourgeoisie d’État, ou classe bureaucratique, qui – surtout à l’extérieur de l’URSS, c’est-à-dire dans des pays où le communisme constituait une importation tardive et superficielle – s’était effrontément coulée dans le moule culturel des bourgeoisies d’avant-guerre ; et que
- à partir de la démocratisation et de l’internationalisation des mass media, il était devenu facile de constater, sans même voyager, que les masses laborieuses occidentales (en partie, certes, du fait de la peur qu’inspirait encore le communisme à leurs bourgeoisies) jouissaient d’un niveau supérieur d’aisance matérielle, et que l’écart allait croissant.
C’est cette guerre que l’Est (militairement encore en état de se défendre) a perdue vers la fin des années 1980.
Après la défaite, les années 1990 ont été une période de sabotage et de braderie des industries crées par l’époque communiste. Les industries susceptibles de concurrencer leurs équivalentes occidentales sont fermées, puis remplacées par des sweat-shops intégrés à la supply chain occidentale (notamment allemande). Élément trop peu commenté de cet épisode, l’économie du mensonge y a joué un rôle important, en renforçant la passivité des masses est-européennes devant ce dépeçage dont elles étaient pourtant les premières victimes.
Les décennies du mensonge d’État avaient en effet durablement sapé la crédibilité des États et des élites de l’Europe orientale. En dépit des diverses gesticulations de ceux qui deviendraient, vingt ans plus tard, les « populistes centre-européens », ce n’est pas seulement le communisme qu’on jugeait irréformable, mais l’État en tant que tel. D’où, aussi, à partir des années 1970, la disparition (hors Pologne) des contestations populaires et/ou syndicales de masse, remplacées par l’émigration à l’Ouest de tous ceux qui ne supportaient plus le mensonge d’État.
La « solution » ultra-libérale s’imposait donc comme une solution de bon sens : faute de pouvoir le réformer, liquider l’État. Et les élites du communisme crépusculaire (qui ne croyaient plus depuis longtemps en leur propres mensonges), après leur transformation-éclair en « milieux d’affaires » ont préféré brader aux étrangers le butin de leurs privatisations frauduleuses, plutôt que de risquer une aventure capitaliste dont le cadre juridique et politique ne semblait pas pouvoir garantir à long terme leur prospérité, du fait de leur délégitimation totale. Laquelle découlait, avant tout, des décennies du mensonge d’État.
Or cette histoire semble vouloir se répéter.
Le nouveau mensonge totalitaire (importé, lui aussi, d’Occident) est la dictature pseudo-sanitaire imposée à l’occasion d’une épidémie grippale. Rappelons les éléments centraux de l’idéologie pseudo-sanitaire :
- il est possible de « faire disparaître » les virus, y compris des virus grippaux à incubation longue et mortalité réduite (d’où refus acharné des stratégies d’immunisation collective) ;
- il est possible de combattre une épidémie par confinement autoritaire de l’ensemble de la population (au mépris de tous les précédents historiques, et contre l’opinion des plus grands virologues du monde) ; et
- les gains « sanitaires » d’une telle politique équilibreraient (au nom d’un « caractère sacré de la vie humaine » – en l’occurrence défendu par ceux-là même qui ont imposé partout le droit à l’avortement de confort) les pertes économiques monumentales qu’elle cause.
Dans les PECO (et dans le Tiers-monde), il faut d’ailleurs ajouter à cette liste un quatrième mensonge, dont le déni public (même sur les réseaux sociaux) a d’ailleurs, au cours de la « crise », été puni dans la plupart de ces pays : l’existence même de l’épidémie. En effet, comme l’a rappelé le courageux chirurgien Alfréd Pócs, président d’une chambre départementale des médecins en Hongrie, même dans ce pays régionalement plus lourdement frappé que d’autres (la Pologne ou la Slovaquie, notamment, ont d’encore meilleurs chiffres), les chiffres de mortalité constatés (très bas, comme dans tous les PECO) n’auraient en principe pas permis à la Direction de la Santé Publique (en fonction de ses propres protocoles !) de déclarer l’état épidémique. Mais, comme partout ailleurs, l’idéologie pseudo-sanitaire a oblitéré la législation constituée, et les « pics exponentiels » prédits par le gourou Neil Ferguson ont justifié confinement, état d’exception et vidages d’hôpitaux.
Bien entendu, le dévoilement du mensonge pseudo-sanitaire est beaucoup plus rapide que celui du mensonge communiste : comme les fameux pics ne sont jamais arrivés, mais que le confinement généralisé détruisait l’économie à grands pas, dans presque tous les PECO, à la mi-avril 2020, les gouvernements avaient, sans l’avouer, pris conscience du caractère grippal et saisonnier de l’épidémie, et constaté que leurs populations étaient, de plus, nettement moins exposées que celles de l’Ouest. Les véritables raisons – avant tout démographiques – de ce décalage n’ont généralement pas été reconnues (même si un intellectuel roumain proche du régime les évoque dans un entretien publié dès le 10 mai), mais il est, en tout état de cause, devenu évident que le sabotage à grande échelle connu sous le nom de confinement – à supposer même qu’on lui attribue une quelconque efficacité épidémiologique – ne pourrait plus être politiquement défendu. Seul le président roumain Klaus Iohannis, politiquement acculé, continue à s’accrocher pathétiquement à la menace virale – craignant de toute évidence (peut-être à bon droit) que le déconfinement débouche sur la chute de son régime.
Dans la population, cette volte-face de facto n’est bien entendu pas passée inaperçue. Le mensonge n’a, en général, pas été publiquement dénoncé. En effet, dans la plupart de ces pays ayant conservé un caractère démocratique (soit : pratiquement tous, hors Roumanie), depuis l’arrivée au pouvoir des populistes, l’opposition est constituée par ces mêmes élites post-communistes des années 1990, qui avaient organisé sur place la braderie pour le compte de leurs nouveaux maîtres occidentaux. Une telle opposition, financée, soutenue et formée par l’Occident, ne peut naturellement pas prendre position contre un mensonge créé à Londres et Paris, même une fois qu’il est hélas devenu la doctrine officielle de gouvernements populistes qu’elle est censée combattre. En l’absence de médias indépendants, le silence est donc, pour l’instant, presque total. Mais le peuple n’est pas dupe. Tous ceux qui savent compter ont remarqué que, dans la plupart de ces pays, les chiffres officiels d’infections et de mortalité étaient plus élevés au moment du déconfinement qu’au moment du confinement, et que les « courbes » évoquées par les autorités pour sortir de ce mauvais pas n’apparaissent sur aucun graphique réel.
Encore assez fréquent (ou, en tout cas, en voie de généralisation) début mai, le port du masque, rendu entre temps obligatoire, a commencé à « s’assouplir de facto » : la plupart des gens, de toute évidence, n’y procèdent plus que dans un environnement où existe la possibilité (au moins théorique) d’une sanction, et classent cette obligation dans la même catégorie mentale que les diverses interdictions rituelles crées, au cours des vingt dernières années, par les politiques anti-tabagiques et anti-SIDA. Le fer de lance de cette adoption simiesque des modes occidentales (bannissement de la tabagie, port du préservatif, et maintenant du masque) reste d’ailleurs sociologiquement le même : la jeune fille féministe, culturellement reprogrammée par une surconsommation dévastatrice de contenus culturels occidentaux (des séries téléchargeables qui arrivent dans le plus petit des villages roumains jusque, pour les plus scolaires, aux proses du prophète transhumaniste Noah Harari). Rien de fondamentalement nouveau, donc – à ceci près que les lois antitabac et le pushing du préservatif n’ont affecté que ceux des fumeurs qui avaient des habitudes de sociabilité publique, et ceux des jeunes qui changent relativement souvent de partenaire sexuel, alors que le nouveau grigri de l’hygiénisme d’État s’applique autoritairement à la société tout entière, et « fait donc réfléchir » encore plus de gens…
Or, pourquoi s’attendre à ce que des causes semblables produisent des effets dissemblables ? Les peuples des PECO savent désormais (comme dans les années 1980 : sans trop le dire) que leurs gouvernements leur mentent. Décrédibilisé par sa brève, mais dévastatrice aventure dans le messianisme sanitaire, l’État cherche en ce moment à « se rattraper » en proclamant vaincue une épidémie « très dangereuse » (qui, en Europe de l’Est, n’existe pourtant pas davantage en ces derniers jours de mai qu’elle n’existait début avril), pour mieux se consacrer à des « politiques de relance » qui, sous le vernis de rhétoriques triomphalistes, avouent en creux l’étendue des dégâts socio-économiques de ladite aventure.
Les PECO abordent donc la phase de récession et le danger de leveraged buyout (entre autres) occidental qui l’accompagne dans un état de démoralisation complet, couvert, comme aux meilleurs jours des partis uniques, par une rhétorique unanimiste et triomphaliste. Autant dire que, autant il est facile de réduire les sceptiques au silence, autant il sera difficile de convaincre, par exemple, les capitalistes locaux de s’accrocher patriotiquement à leurs actifs quand les offres de rachat financées par la création monétaire occidentale pleuvront sur leurs usines d’ores et déjà vides de travailleurs – ou pleines de travailleurs… payés par l’État pour sauver provisoirement les apparences. Et la complicité généralisée des partis politiques (majorités et oppositions confondues) avec le mensonge d’État rendra aussi difficile qu’aux alentours de 1990 un renouveau du pouvoir susceptible de s’opposer politiquement à cette entropie dictée par les lois de l’économie et de la psychologie sociale.
En 1990, l’OPA hostile de l’Occident a été acceptée – entre autres – parce qu’elle n’a jamais été nommée et reconnue comme telle – ou uniquement par des marginaux politiques portant soit le sceau d’extrémismes du passé (notamment des nationalismes ethniques, si virulents en Europe de l’est), soit celui de la complicité avec les partis uniques, soit les deux (notamment dans le cas roumain). De ce point de vue, théoriquement, la situation de 2020 pourrait être meilleure : les populismes des années 2010 ont préparé le terrain d’une éventuelle rhétorique anti-occidentale, notamment en révisant l’histoire desdites années 1990. Il serait aujourd’hui parfaitement possible – et potentiellement rentable politiquement – d’expliquer aux peuples des PECO que leurs gouvernements ne portent pas la responsabilité principale de la crise qui les frappe. En effet, ils ne sont responsables que de l’imitation servile (mais quasi-généralisée) du modèle fergusonien, et pourraient facilement en rejeter la faute sur leurs administrations de la santé, incompétentes et téléguidées par la très critiquable OMS. Quant à l’impact économique, ils pourraient, au lieu de tenter de le dissimuler, en attribuer sans mentir la responsabilité à des phénomènes mondiaux qu’il ne contrôlent pas : récession mondiale (qui, nécessairement, frappera même les pays « non-alignés » comme la Suède ou la Biélorussie), disparition du tourisme, radicalisation des guerres commerciales (notamment USA-Chine), etc.. Ils ne semblent, pour l’instant, pas prendre la direction de le faire. Par cette deuxième négligence coupable, ils scellent le destin de leurs peuples – sans que ce forfait ne garantisse, pour eux, la conservation du pouvoir, au milieu des tempêtes politiques qui s’annoncent.
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