Hongrie – Si le gouvernement tient sa promesse, le salaire des médecins aura augmenté de 120% d’ici janvier 2023 et la pratique des dessous-de-table payés par les patients (hálapénz) sera formellement interdite et réprimée. Présentée par le gouvernement comme une avancée sans précédent et une œuvre de solidarité avec le corps médical en ces temps de « Covid-19 », cette réforme cache néanmoins des aspects qui peuvent potentiellement être dévastateurs pour le système de santé hongrois.
Abstraction faite de ce que pourrait encore signifier le mot « forint » dans quelques mois/années, cette augmentation des salaires et la fin des dessous-de-table ne peut être appréhendée sans faire l’économie d’une rapide sociologie du corps médical, qui laisse entrevoir trois catégories de médecins, plus ou moins réparties en proportions égales.
Premièrement, les médecins pour qui le malade est plus important que la maladie, c’est-à-dire ceux qui essayent d’exercer en ayant la vocation de soigner. Ils n’acceptent pas les dessous-de-table, y voyant un système biaisant la qualité des soins prodigués aux patients. Pour eux, cette augmentation est a priori une excellente nouvelle. Certes, mais c’est précisément cette catégorie qui pourrait potentiellement se rebeller contre ce qui faut bien appeler la dictature du Covid — des mesures délirantes privant d’accès aux soins une foule de patients. Pas sûr qu’une rallonge financière suffise à les faire taire sur ce point, puisqu’ils ont jusqu’à présent fait preuve d’assez de droiture pour refuser les dessous-de-table, ce qui, sur plusieurs années, peut représenter des dizaines de millions de forints. Leur relation à l’argent est un peu celle d’une certaine noblesse, aujourd’hui disparue. L’argent, quand il y en a, tant mieux, quand il n’y en a pas, tant pis.
Deuxièmement, les médecins qui sont là parce qu’il faut bien être quelque part. Ce sont les aspirants à un statut social, qui ne sont pas prioritairement intéressés par l’argent, ni par la médecine d’ailleurs. Ils entendent seulement mener une vie en ayant une devanture sociale respectable. Ils forment en quelque sorte une petite-bourgeoisie médicale et ne représentent en rien une menace pour la dictature du Covid. Désormais ils auront leur petit statut sans avoir à accepter les dessous-de-table.
Troisièmement, les médecins pour qui la maladie n’est pas seulement plus importante que le malade, mais aussi un moyen de s’enrichir dans des proportions dépassant toute forme de décence. Particulièrement présents dans les spécialités où les actes médicaux sont répétitifs et quasi-cérémoniaux (gynécologie, obstétrique et chirurgie), leur parc automobile n’a rien à envier à ceux des avocats d’affaires parisiens. De manière très surprenante, cette catégorie peut aussi représenter un danger pour la dictature du Covid, en ce que la diminution du nombre des actes médicaux — sauf les accouchements bien sûr, dont le nombre diminue, mais pour d’autres raisons — à cause des « restrictions sanitaires » représente pour eux une perte sèche… Ils ne peuvent néanmoins que susciter notre mépris, car à quoi bon souper une décennie d’études difficiles pour finalement se transformer en vulgaires kékés des plages ? Pour eux, la nouvelle réforme est a priori une très mauvaise nouvelle. En effet, une journée d’opérations bénignes ou d’accouchements peut facilement leur rapporter bien plus ce qu’ils gagneront désormais en mois. Étant donné le pouvoir de ces gens dans le corps médical et leur soif d’argent, il devient presque évident que derrière la réforme en cours se cache quelque chose de très peu reluisant. Le texte soumis au Parlement ce lundi vient confirmer ces doutes.
Deux points de ce texte peuvent engendrer des dérives malsaines :
Beaucoup de médecins hongrois cumulent plusieurs emplois pour gagner décemment leur vie. Cette possibilité sera désormais très fortement restreinte et les concernés devront choisir un seul et unique employeur. Conséquences : des services risquent de manquer cruellement d’effectifs et beaucoup de médecins risquent de se déporter sur le secteur privé. Il est impossible de ne pas voir ici une logique de privatisations des soins, que le Boston Consulting Group, cabinet conseillant le gouvernement sur la réforme de la santé, porte presque sans s’en cacher, ses accointances avec le capitalisme de prédation n’étant même pas à démontrer.
Sur décision de son employeur, un médecin du public pourra désormais être muté dans un autre hôpital pour un an, renouvelable une fois pour la même durée. Il est hélas ici impossible d’y voir une volonté d’arriver à une égalité de l’accès aux soins sur l’ensemble du territoire hongrois. Il s’agit bien plutôt d’un système permettant de mettre au pas les récalcitrants. Or, contre quoi les récalcitrants peuvent-ils aujourd’hui s’activer ? La dictature du Covid, à l’évidence. Un médecin de Budapest qui s’aventurerait à montrer son agacement concernant l’absurdité et la nocivité des « mesures de restrictions » pourrait donc se voir offrir un séjour de deux ans au fin fond de la campagne hongroise. Là aussi, ce système risque de provoquer des transferts vers le secteur privé. Et, pis encore, une intensification de l’émigration. Ou encore, triste ironie, le développement de la pratique des dessous-de-table… entre médecins.
N’est-ce pas plutôt tout cela qui risque de provoquer une crise sanitaire sans précédent ?