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La minorité polonaise toujours réprimée en Biélorussie en même temps que l’opposition démocratique

Temps de lecture : 5 minutes

Biélorussie / Pologne – La Pologne pourrait fermer ses derniers passages frontaliers encore ouverts avec la Biélorussie, par mesure de rétorsion, à en croire les propos tenus par le secrétaire d’État au ministère de l’Intérieur, Maciej Wąsik, à l’antenne de la télévision d’information polonaise Polsat News.

« Pour nous, [la Biélorussie] est une petite lucarne, tandis que la Pologne est pour elle une fenêtre sur le monde », a déclaré Wąsik. Les passages frontaliers avec la Pologne sont importants pour l’économie biélorusse et pour le soutien dont bénéficie Loukachenko dans la population, a souligné le secrétaire d’État. « Nous n’hésiterons pas. Si nécessaire, nous nous ferons également les porte-parole de la minorité polonaise », a-t-il prévenu en assurant que Varsovie « attend de voir ce que va faire Minsk » et que la situation pourrait tout à fait évoluer dans un sens plus positif si les autorités biélorusses démontrent que c’est ce qu’elles souhaitent.

Ces déclarations ont été faites juste après la condamnation par contumace à quinze ans de prison au début du mois de mars par un tribunal biélorusse de Svetlana Tikhanovskaïa, la principale opposante d’Alexandre Loukachenko à l’élection présidentielle d’août 2020. Des élections où les allégations de fraudes avaient déclenché une vague de manifestations dans le pays et un premier train de sanctions de la part de l’Union européenne. Il s’agissait alors principalement de sanctions individuelles visant les personnes considérées comme responsable de la fraude et des répressions brutales qui ont suivi.

Voir à ce sujet notre entretien avec la journaliste biélorusse Inna Kochetkova :
« Même la Russie est loin d’atteindre le niveau de répression en Biélorussie, explique une journaliste biélorusse » (26/03/2022)

On oublie en effet souvent que les vraies sanctions, celles visant l’économie et interdisant l’espace aérien de l’UE à la compagnie aérienne biélorusse, n’ont été décidées qu’après le détournement d’un avion civil européen en mai 2021 par les autorités biélorusses. Celles-ci avaient forcé un vol de la Ryanair entre Athènes et Vilnius à atterrir à Minsk afin de pouvoir arrêter un opposant qui se trouvait à bord. Il se trouve en outre que l’avion ainsi détourné était immatriculé en Pologne.

Suite aux nouvelles sanctions suscitées par cet acte de piraterie, le régime d’Alexandre Loukachenko avait entrepris, pour « punir » l’UE et en particulier la Pologne et la Lituanie qui avaient le plus poussé aux sanctions, de faire venir en masse des migrants du Moyen-Orient et d’Afrique pour les lancer à l’assaut des frontières de la Pologne et de la Lituanie. Ceci a en retour forcé ces deux pays à construire une clôture le long de leur frontière avec la Biélorussie, sur le modèle de celle construite par la Hongrie en 2015 pour stopper les migrants sur la route des Balkans. La Biélorussie s’est ainsi retrouvée davantage isolée et encore plus à la merci du soutien de la Russie. Moscou a d’ailleurs été soupçonné depuis le début par Varsovie et Vilnius d’être derrière cette utilisation de l’arme migratoire dans ce que les deux capitales européennes considèrent avoir été un acte de guerre hybride.

L’implication de la Biélorussie dans l’offensive militaire russe lancée le 24 février 2022 contre l’Ukraine, l’offensive malheureuse contre la capitale ukrainienne, Kiev, étant alors partie du territoire biélorusse, a fait que la Biélorussie a été visée au même titre que la Russie par les paquets successifs de sanctions adoptés par l’UE. Or la Pologne et la Lituanie sont ici aussi parmi les pays poussant aux sanctions les plus sévères depuis le début de la guerre déclenchée par le Kremlin, ce qui exacerbe encore plus les relations avec le régime de Minsk.

Le 9 février dernier, le ministre de l’Intérieur polonais, Mariusz Kamiński, a annoncé la fermeture du passage frontalier de Bobrowniki, à la frontière biélorusse, au transport de marchandises. Officiellement, il s’agissait d’une mesure de rétorsion face aux restrictions visant les camions polonais en Biélorussie, mais la décision est intervenue au lendemain de la condamnation par le tribunal de Hrodna (Grodno en polonais) d’Andrzej Poczobut, un journaliste biélorusse membre actif de la minorité polonaise.

Pour comprendre les répressions visant la minorité polonaise en Biélorussie, voir aussi :
« Pourquoi le régime de Loukachenko s’en prend à la minorité polonaise » (1/04/2021)

Poczobut a écopé d’une sentence de 8 ans de colonie pénitentiaire pour incitation à la haine, appel aux sanctions contre la Biélorussie, agissements au détriment de la Biélorussie et réhabilitation du nazisme. En Biélorussie comme en Russie, deux pays où l’historiographie soviétique est toujours de rigueur, évoquer l’alliance germano-soviétique de 1939-41 et montrer sous un jour positif la lutte contre l’occupant soviétique et contre le régime communiste des partisans polonais après la Deuxième guerre mondiale est considéré en soi comme une réhabilitation ou une glorification du nazisme. Ainsi, quand des représentants de la minorité polonaise en Biélorussie commémorent les « soldats maudits » (les partisans polonais qui ont continué le combat jusque dans les années 1950) ou même l’AK, l’Armée de l’intérieur polonaise qui a combattu les Allemands mais dont les membres ont été arrêtés, déportés et/ou exécutés par l’Armée rouge à la « libération » de la Pologne, ils encourent de lourdes peines de prison.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, la Biélorussie a aussi envoyé plusieurs fois des bulldozers détruire des cimetières où sont enterrés les soldats de l’AK, ce qui est un autre motif évoqué il y a quelques jours par le secrétaire d’État du ministère polonais de l’Intérieur pour brandir la menace de la fermeture de tous les passages frontaliers avec la Biélorussie.

Andrzej Poczobut avait été arrêté en mars 2021 en même temps que plusieurs autres représentants de la minorité polonaise, dont Andżelika Borys, la présidente de l’Union des Polonais de Biélorussie (ZPB, pour Związek Polaków na Białorusi), dans le collimateur du régime de Loukachenko depuis les premières répressions qui avaient visé cette organisation en 2005.

Un mois après Poczobut, c’est non seulement la leader de l’opposition biélorusse, Svetlana Tikhanovskaïa, qui a été condamnée par contumace alors qu’elle est réfugiée en Lituanie, mais aussi quatre autres opposants, dont Pavel Latouchka, un ancien ministre de la Culture et ancien ambassadeur de Biélorussie en Pologne de 2002 à 2008 (et plus tard en France, de 2012 à 2019), qui a été condamné de la même manière à 18 ans de colonie pénitentiaire.

« J’ai essayé de contacter mon avocat, mais il a refusé de communiquer. Je ne sais pas quelle était la base [de ma condamnation], je n’ai pas d’informations sur ce que contenait l’enquête, sur ce que contenait l’acte d’accusation, je ne connais pas les témoins, je ne connais pas les preuves », a déclaré Latouchka le 6 mars à la télévision polonais TVN24, en assurant que si la Pologne ne lui avait pas proposé l’asile en septembre 2020, il serait aujourd’hui en prison. Latouchka a toutefois dit craindre pour sa vie, même en Pologne et il assure avoir reçu des menaces : « Je reçois des signaux indiquant qu’ils veulent m’assassiner, qu’ils veulent m’enlever, m’emmener hors de Pologne dans un coffre. Ils ont même fait un film spécial soi-disant pour cette occasion, comme quoi ils m’emmènent à Minsk. »

Vendredi, le tribunal de Minsk a aussi condamné un défenseur des droits de l’homme titulaire du prix Nobel de la paix 2022, Alès Bialiatski, à dix ans de prison, pour « contrebande » et « financement des manifestations ». Bialiatski  est un ancien conseiller municipal de Minsk (de 1991 à 1996) qui a fondé en 1996 l’organisation Viasna (Printemps) pour aider les victimes des exactions du régime de Loukachenko. Il avait déjà fait de la prison de 2011 à 2014 pour des allégations de fraude fiscale. En 2012, il avait reçu le Prix Lech Walesa, une distinction polonaise créée en 2008 à l’occasion du 25e anniversaire de l’attribution du Prix Nobel de la Paix au leader du syndicat Solidarność, Lech Wałęsa, à l’époque des répressions du régime communiste en Pologne.