Pologne – « La scène politique polonaise est en proie à une certaine instabilité, tant du côté du gouvernement que de l’opposition », affirmait le 10 février sur Radio Wnet le sénateur du PSL Jan Filip Libicki. Libicki est un ancien transfuge du PiS passé par le parti libéral Plateforme civique (PO), un parti qu’il a quitté en 2018 en raison de sa dérive à gauche, alors que lui-même présente des vues conservatrices et pro-vie (handicapé lui-même, il se réjouit ouvertement de l’entrée en vigueur du jugement du Tribunal constitutionnel qui interdit l’avortement eugénique en Pologne). Il fait donc partie des plus sceptiques en ce qui concerne l’idée de créer une coalition gaucho-libérale, appelée « Coalition 276 » par la PO, qui risquerait aux yeux du PSL, parti « agraire » qui se veut d’inspiration démocrate-chrétienne, de reproduire l’expérience ratée de la « Coalition européenne » de 2019.
Mais si l’opposition du centre et de gauche est divisée face à la coalition Droite unie conduite par le PiS, ainsi que le faisait remarquer Libicki cette Droite unie n’est pas si unie que cela non plus.
Pour comprendre la situation, il faut d’abord savoir que la Droite unie, ce sont le PiS et deux petits partis alliés dont les députés ont été élus sur les listes du PiS et siègent au sein du groupe PiS à la Diète : le parti Solidarna Polska (Pologne solidaire) du ministre de la Justice Zbigniew Ziobro et le parti Porozumienie (Entente) du ministre du Développement, du travail et de la technologie Jarosław Gowin, qui a également le rang de vice-président du Conseil des ministres (vice-premier ministre). Sur les 234 députés du groupe PiS (3 de plus que la majorité absolue), 17 appartiennent à Porozumienie et 19 à Solidarna Polska. Chacun de ces deux partis est donc indispensable au maintien de la majorité absolue du groupe PiS à la Diète et à la stabilité du gouvernement Morawiecki.
Or depuis l’année dernière, cette « Droite unie » apparaît de plus en plus désunie. Il y a eu le conflit autour de la date de l’élection présidentielle dans le contexte de la pandémie de Covid, qui a vu Jarosław Gowin quitter le gouvernement et s’opposer frontalement au chef du PiS Jarosław Kaczyński. Puis il y a eu, entre l’été et l’automne, le conflit avec Zbigniew Ziobro et son parti sur la question de la Convention d’Istamboul (que Ziobro souhaiterait voir dénoncée par la Pologne) puis du projet d’interdiction de l’élevage des animaux pour leur fourrure et de l’abattage rituel (que Kaczyński, contrairement à Ziobro, voudrait interdire). À cette occasion, des divisions sont apparues au sein même du parti de Kaczyński, ce qui a provoqué le départ d’un ministre de l’Agriculture très apprécié et la suspension de quinze députés du PiS, vites réintégrés puisqu’indispensables pour préserver la majorité absolue. Seul le ministre de l’Agriculture Jan Krzysztof Ardanowski n’est pas revenu, et, dans l’opposition, le PSL y voit une chance de récupérer l’électorat rural que lui avait pris le PiS.
Les avis divergents sont récurrents entre le PiS et ses deux partenaires.
Récemment, c’étaient les membres du gouvernement appartenant à Solidarna Polska qui votaient en Conseil des ministres contre la stratégie énergétique verte voulue par le gouvernement Morawiecki (sous la pression de Bruxelles) et ces derniers jours, ce sont les membres de Porozumienie qui affirment ne pas avoir été informés du projet contesté de taxe sur la publicité et qui s’y disent hostiles.
Depuis la semaine dernière, le groupe PiS voit sa majorité menacée par un véritable vaudeville qui se déroule au sein du parti Porozumienie de Jarosław Gowin. Rappelons qu’il suffirait que quatre députés de Porozumienie décident de quitter leur parti et de rejoindre les bancs de l’opposition pour que le gouvernement de Mateusz Morawiecki perde sa majorité absolue. Cela ne conduirait pas forcément à la chute du gouvernement Morawiecki, car pour faire tomber ce gouvernement, il faudrait d’abord que l’opposition se mette d’accord sur un contre-candidat commun au poste de premier ministre. Il faudrait pour cela que le centre et la gauche (cette très virtuelle « Coalition 276 ») se mettent d’accord avec la droite nationaliste et libertarienne de Konfederacja (Confédération, 11 députés) ainsi qu’avec les conservateurs tendance souverainiste de Kukiz’15 (5 députés). Des élections anticipées ne seraient pas non plus à l’ordre du jour, sauf avec l’accord du groupe PiS, car pour convoquer des élections anticipées, il faut les deux tiers des voix à la Diète, soit 307 voix sur 460. Mais gouverner deviendrait difficile.
Le conflit qui se déroule en ce moment au sein du parti de Jarosław Gowin est typiquement un conflit de personnes.
Le 4 février, les médias informaient que l’eurodéputé Adam Bielan était suspendu du parti en même temps qu’un vice-président du parti et un secrétaire général adjoint. Certains membres de la présidence contestaient cette décision. Le lendemain, on apprenait que la suspension d’Adam Bielan avait été annulée par les organes du parti et que celui-ci exerçait désormais la présidence par intérim du parti de Gowin puisque celui-ci ne serait plus, selon les statuts du parti, président de Porozumienie, son mandat s’étant éteint il y a trois ans. Le lendemain, Bielan et son meilleur soutien au sein de la présidence de Porozumienie étaient exclus du parti, une décision que les intéressés ne reconnaissent pas. Depuis, Porozumienie est dirigé par deux organes parallèles. Le 9 février, la présidence dirigée par Bielan se débarrassait de la porte-parole du parti tandis que la présidence dirigée par Gowin et l’intéressée elle-même ne reconnaissaient pas cette décision.
« La lame, si ce n’est le cerveau, de l’attaque, ce sont nos anciens amis », a écrit Jarosław Gowin dans une lettre aux militants le 11 février, tandis que Bielan l’accuse dans les médias d’avoir voulu au printemps dernier, lors de son conflit avec Kaczyński sur la question des élections, s’entendre avec l’opposition pour former un gouvernement contre le PiS. Une accusation réfutée par Gowin tandis que certains commentateurs, dont le sénateur Jan Filip Libicki, jugent que Bielan n’aurait jamais agi seul et que l’on a plutôt affaire à une tentative maladroite de Jarosław Kaczyński pour prendre le contrôle du parti de Jarosław Gowin. Mais quel intérêt aurait Kaczyński à mettre aujourd’hui sa majorité en danger alors qu’il avait su reculer au printemps dernier face à Gowin sur la question des élections pour sauver cette même majorité ? En attendant, la majeure partie des parlementaires de Porozumienie ont apporté leur soutien à Gowin et Gowin ne parle pas de quitter le gouvernement.
Pour le moment au moins, la majorité reste majoritaire.