Dans le paysage politique polonais, vouloir la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse, c’est-à-dire de l’avortement à la demande, c’est se situer clairement à gauche de l’échiquier politique. Les sondages montrent d’ailleurs que plus des trois quarts des Polonais y sont hostiles. C’est pourtant le choix qu’a officialisé la Plateforme civique (PO) jeudi.
Pologne – Outre le rétablissement de la clause supprimée par le Tribunal constitutionnel,
l’ancien parti de Donald Tusk, dirigé aujourd’hui par Borys Budka, déclare désormais vouloir introduire dans la loi sur l’avortement de 1993 une nouvelle clause autorisant l’interruption de grossesse jusqu’à la 12e semaine de gestation pour cause de conditions de vie difficiles ou de risque pour la santé mentale de la femme enceinte.
L’expérience des autres pays montre bien que chacune de ces deux conditions suffit à elle seule à rendre dans les faits l’avortement possible à la demande, et les commentaires suscités dans les médias par cette annonce ont tout de suite montré que les Polonais ne sont pas dupes.
Cette nouvelle position de la PO, qui se déclarait jusqu’ici favorable au maintien de ce qu’on appelle en Pologne le compromis de 1993, a été présentée par Małgorzata Kidawa-Błońska. Kidawa-Błońska avait été la candidate des libéraux à l’élection présidentielle de 2020 avant d’être remplacée, à la faveur du report des élections en raison de la pandémie et pour cause de chute vertigineuse dans les sondages, par le maire de Varsovie Rafał Trzaskowski. C’est elle qui dirigeait l’équipe chargée au sein de la PO de redéfinir la position de son parti en matière d’avortement après le jugement du Tribunal constitutionnel d’octobre et le soutien de la PO aux manifestations de protestation qui avaient suivi l’annonce de ce jugement.
La loi polonaise de 1993, qui a interdit l’IVG introduite sous la dictature communiste, autorisait l’avortement dans trois cas de figure : jusqu’à la 12e semaine de grossesse si la grossesse est le fruit d’un viol ou d’un inceste, sans limite de délai si la grossesse met en danger la vie ou la santé physique de la femme enceinte et jusqu’à la 24e semaine si « les examens prénataux ou d’autres données médicales indiquent une forte probabilité de handicap grave et irréversible du fœtus ou de maladie incurable menaçant sa vie ». C’est ce troisième cas de figure, dont les premières victimes étaient les enfants touchés par le trisomie 21, qui a été considéré comme contraire à la constitution en octobre dernier.
Ce jugement est contesté par la PO qui remet en cause, depuis 2016, la légitimité-même du Tribunal constitutionnel. Il n’empêche que pour autoriser l’avortement pour cause de conditions de vie difficiles de la femme enceinte, il faudrait d’abord modifier la constitution. En 1997, le Tribunal constitutionnel polonais, où ne siégeaient bien évidemment pas encore les juges actuels nommés par la majorité parlementaire du PiS (les juges constitutionnels polonais sont élus à la majorité absolue par la Diète pour un mandat de neuf ans non renouvelable), avait déjà invalidé une disposition introduite en 1996 par la majorité parlementaire de gauche, post-communiste, autorisant l’avortement au motif de difficultés socio-économiques de la femme enceinte.
En revanche, cette annonce faite jeudi par la PO vient confirmer l’ancrage durable à gauche de ce parti créé au départ en tant que parti libéral-conservateur s’inspirant de la démocratie chrétienne. Alors que le parti Droit et Justice (PiS) de Kaczyński est resté ce qu’il était – un parti social-conservateur qui se réclame toujours de la démocratie chrétienne – l’ancien parti de Donald Tusk est aujourd’hui un parti ouvertement libéral-libertaire avec comme principal concurrent La Gauche (Lewica) sur son aile gauche et deux partis sur son aile droite qui occupent désormais le centre : le parti agraire PSL qui se présente à nouveau comme modérément conservateur et démocrate-chrétien après l’expérience ratée de la Coalition européenne, et le nouveau parti Polska 2050 de Szymon Hołownia, un présentateur de télévision bâtissant sa carrière politique sur son image de catholique progressiste.
Sur la question de l’avortement, par rapport à la PO depuis jeudi, le PSL et Polska 2050 souhaitent rétablir le fameux compromis de 1993 et éventuellement organiser un référendum sur cette question, ce qui leur permet de maintenir un certain flou mais ne résout pas non plus la question du caractère inconstitutionnel de l’avortement autorisé pour cause de handicap de l’enfant en gestation.
Après la présentation de sa nouvelle position officielle, la Plateforme civique va probablement perdre un petit nombre de parlementaires, c’est-à-dire les derniers parlementaires modérément conservateurs qui lui restaient. Certains avaient annoncé à l’avance leur départ si leur parti se prononçait pour la légalisation de l’avortement à la demande. Il ne doit toutefois pas en rester beaucoup, alors que le virage à gauche avait été amorcé quand Donald Tusk était encore premier ministre et chef incontesté du parti, et a été ensuite accentué après le passage dans l’opposition, après un bref interlude début 2016 quand Grzegorz Schetyna, le prédécesseur de Borys Budka, avait annoncé son intention de revenir à des valeurs plus conservatrices. Une promesse jamais mise en œuvre en réalité. Avec l’élection du candidat libéral-libertaire de la PO Rafał Trzaskowski à la mairie de Varsovie à l’automne 2018, sa Déclaration LGBT+, la Coalition européenne et les marches LGBT de 2019, ce parti anciennement libéral-conservateur (libéral pour les questions économiques, conservateur pour les questions sociétale) a épousé la cause LGBT. La déclaration de jeudi sur l’avortement vient compléter et sceller cette évolution.
De l’avis de Roman Giertych, avocat de Donald Tusk, ancien chef du parti souverainiste et conservateur Ligue des familles polonaises (LPR), allié au PiS en 2005-2007 mais passé depuis dans le camp libéral et devenu très hostile au PiS et à Jarosław Kaczyński, c’est une « erreur terrible » que la PO vient de commettre.
Une erreur qu’il a comparé aux précédentes : « Une erreur similaire a été commise par Ewa Kopacz [premier ministre en 2014-15, après le départ de Donald Tusk à Bruxelles, NDLR] et Małgorzata Kidawa-Błońska qui ont voulu faire passer un projet de loi sur le changement de sexe, et encore par [le maire de Varsovie] Trzaskowski et [son adjoint] Rabiej qui ont voulu enseigner aux enfants la possibilité de changer de sexe [avec la Déclaration LGBT+] ».
Pour récapituler, le paysage politique polonais, c’est donc, de gauche à droite : La Gauche (Lewica) sociale-libertaire à gauche, la Plateforme civique libérale-libertaire au centre-gauche, Polska 2050 et le PSL qui maintiennent le flou au centre, le PiS social-conservateur au centre-droit et les libéraux-conservateurs nationalistes et libertariens de la Confédération (Konfederacja) à droite.